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Nous vivons dans un âge de communication à haute puissance. Le téléphone relie les continents, la radio diffuse ses messages dans tous les pays, la télévision nous apporte les événements dans notre foyer, le télégraphe fonctionne avec la rapidité de l’éclair.

Nous essayons tous de nous exprimer et de nous faire comprendre. Dans nos rapports internationaux et nationaux, dans nos relations commerciales et sociales, c’est la parole ou la lettre qui nous sert d’instrument habituel.

Les mots ne coûtent rien, et peut-être sommes-nous trop portés à n’en pas estimer la valeur. Mais quand on songe que sans eux nous ne pourrions pas communiquer avec nos semblables, ni même avec nous-mêmes, il faut bien admettre qu’ils sont très précieux.

Les mots sont donc importants, et de plus, très puissants. En comprenons-nous bien l’importance et la force ? Dans quelle mesure faisons-nous comprendre nos paroles ou nos lettres ?

Rudyard Kipling raconte ainsi l’histoire de la première missive. Tegumai, qui vivait dans une ère primitive, ayant perdu son harpon, chargea sa fille d’écrire une lettre pour en demander un autre. La fillette s’acquitta de sa tâche en dessinant de rudes images sur une écorce de bouleau. La lettre fut reçue par la femme de Tegumai qui, croyant qu’il s’agissait d’une bataille, envoya toute la tribu au secours de son mari.

Comparez à cela l’histoire véridique de Tchaikovsky et de sa volumineuse correspondance avec Madame Nadejda von Meck, qui devint sa protectrice et meilleure amie. Ils échangèrent des centaines de lettres sans jamais se rencontrer.

C’est entre ces deux extrêmes que doivent s’exercer nos efforts dans le domaine des communications. Nous nous rendons compte de la nécessité de nous exprimer clairement et de mieux comprendre les autres ; nous essayons de communiquer – mais à en juger par tous les malentendus qui règnent dans le monde, nous avons grand besoin de perfectionner nos méthodes.

Qu’est-ce que la communication ?

Prenez les affaires. Les hommes d’affaires apprécient de plus en plus l’importance de la communication. Avant la guerre, le mot était surtout employé au pluriel pour désigner les moyens de communication comme les chemins de fer, la poste, le télégraphe, etc. Aujourd’hui, nous revenons à son sens primitif qui est de « rendre commun, répandre, échanger » les idées et les opinions.

La bonne marche d’une entreprise dépend dans une grande mesure de la manière dont les chefs apprennent à communiquer intelligemment, efficacement et rapidement, non seulement avec leurs clients, mais aussi avec leurs employés et leurs collègues. Celui qui sait s’expliquer obtient généralement ce qu’il désire ; celui qui ne réussit pas à se faire comprendre est réduit à ses propres ressources.

L’art de persuader les gens par la parole ou la machine à écrire est par conséquent un des principaux moyens de réussir dans la vie et dans les affaires.

Étant donné qu’une entreprise fait jusqu’à 85 ou 90 pour cent de ses affaires par correspondance, ce qui ne laisse que 10 à 15 pour cent par téléphone, télégramme ou entrevues, il est évident que la lettre tient le premier rang parmi les moyens de communication dans les affaires. George Cashman, ex-président de la Compagnie Eastman Kodak, disait ceci : « La plupart de nos clients n’ont jamais mis le pied dans notre usine et nos bureaux. Ils ne se rendent pas compte que nous avons des milliers de lettres à lire et à écrire tous les jours. Pour eux la Compagnie est un être réel. Quand vous écrivez, vous êtes la Compagnie, et vos lettres reflètent l’attitude et la réputation de tout l’organisme. » Chaque lettre, en d’autres termes, est la voix de la compagnie.

Cela une fois admis, il est difficile de nier que le travail le plus important de la journée est de répondre au courrier.

Les hommes d’affaires reconnaissent cette vérité fondamentale. Un grand nombre de compagnies ne se contentent pas de faire suivre des cours de correspondance et d’éloquence à leurs employés, mais elles se servent même de films à cette fin. Un de ces films, intitulé Prenez une lettre, s.v.p., est mis à la disposition des intéressés par le National Film Board. Il montre comment il ne faut pas dicter, et donne quelques règles pour mieux faire. Depuis quelques années, les cours de correspondance commerciale, donnes dans beaucoup de grandes villes aux États-Unis et au Canada, sont suivis par des milliers d’hommes d’affaires.

Le plus grand nombre de ces cours ne s’attachent pas à donner des règles à observer aveuglément, mais montrent la manière de mieux s’exprimer en anglais.

Avant le commencement

Une lettre semble facile à écrire ; elle a un commencement, un milieu et une fin. Mais la partie entre le commencement et la fin est semée de dangers.

Il faut réellement commencer avant le commencement et imiter l’architecte qui fait d’abord son plan et dessine tous les détails. Rudolf Flesch et A. H. Lass donnent les cinq règles suivantes à observer avant d’écrire, dans leur livre The Way to Write :

1. Réfléchissez à ce que vous allez dire.

2. Exprimez en paroles vos principales idées.

3. Décidez dans quel ordre vous devez les mettre.

4. Écrivez votre plan.

5. Ne commencez jamais à écrire sans avoir fait un plan.

Les auteurs de la fameuse pièce Life With Father ont trouvé avantage à prendre leur temps pour faire un plan. Le plan prit deux ans de préparation, mais il permit décrire la pièce en dix-sept jours. Un article comme celui-ci ne prend que quelques heures à écrire, mais il exige des années de lectures et trois ou quatre semaines d’intenses recherches.

Les hommes d’affaires ne sont pas des écrivains, le temps presse, et les lettres d’affaires ne sont pas supposées être des chefs-d’oeuvre. Mais quelques minutes de réflexion sur ce que vous allez dire et la manière dont vous allez vous exprimer selon à qui vous vous adressez, vous aideront à écrire des lettres qui sortent de l’ordinaire et qu’on lit avec plaisir et intérêt. Quelques lignes bien conçues et bien tournées valent mieux que de longs paragraphes embrouillés et ennuyeux.

Comment s’exprimer

Après avoir conçu le commencement, le milieu et la fin de votre lettre – annoncé l’idée principale au début, appuyé dessus à la fin, et l’avoir développé par stades naturels au milieu – comment allez-vous l’exprimer ?

Sir Arthur Quiller-Couch, dont nous avons souvent mentionné l’Art d’Écrire, dit que le premier but est de se faire comprendre, et que plus on est clair plus on est sûr d’être compris facilement.

La bonne prose est généralement simple ; sa qualité la plus naturelle est la simplicité. On a tort de croire que les grands mots et les notions abstraites sont des symboles de beau style. Les grands mots ont du bon, mais ce qui nous intéresse dans cet article est la manière de nous faire comprendre. Un homme est probablement flatté de s’entendre appeler « envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire », mais si vous voulez lui communiquer l’idée de sa position, appelez-le « ambassadeur ».

La simplicité du style ne s’acquiert pas sans travail ; cela demande de la discipline, de la réflexion et de l’ordre dans les idées.

Les bons auteurs ne cherchent pas à se distinguer par des prouesses de style, et souvent celui qui essaie d’être pittoresque et différent n’est que boursouflé et ridicule.

Évitons autant que possible les mots étrangers. C’est là une faiblesse à laquelle nous sommes parfois enclins. Il faut distinguer entre l’emploi occasionnel du latin qui est pardonnable, quoique un peu pédant, et, au Canada comme en France, l’abus de mots anglais. Mais quand l’équivalent nous manque ou nous échappe en français, il vaut cent fois mieux employer un mot anglais dans sa forme originale que de le massacrer en le francisant, car le résultat n’est ni chèvre ni chou.

Il en est de même des mots techniques. Généralement, ils ne sont pas compris du gros public et de la plupart des clients, et il vaut mieux les traduire en termes plus familiers. Si vous voulez vendre une laveuse électrique à une mère de famille, rappelez-vous que ce ne sont pas les technicalités qui l’intéressent, mais le temps et le travail que la machine lui économisera.

Employez de préférence des mots courts, et un seul mot au lieu de deux autant que possible pour rendre la même idée.

Faites des phrases courtes. Serrez le sens dans le moins de mots possibles. Plus une phrase est courte, plus elle a de force et de chances d’être comprise du premier coup. Mais n’exagérez pas cependant. Si toutes vos phrases sont trop courtes, votre style est saccadé et fatigant. Une bonne règle est de s’en tenir à une phrase par idée.

Mots concrets

Les mots concrets sont la base d’un style vigoureux. Ce sont les mots qui correspondent d’aussi près que possible à ce que nous sentons, voyons et pensons.

Un philosophe français a dit : « Un style abstrait est toujours mauvais. Vos phrases devraient être remplies de pierres, de métaux, de chaises, de tables, d’animaux, d’hommes et de femmes. »

Toutes ces fautes – l’emploi de longs mots, les termes techniques ou les mots inutilement obscurs, les longues phrases et le choix de termes abstraits au lieu d’images concrètes – abondent naturellement dans les jargons.

On a reproché à l’allemand d’être différent selon qu’il est écrit ou parlé, tant le langage écrit est guindé, ampoulé, peu naturel. Mais il en est plus ou moins ainsi de toutes les langues, et il suffit de mentionner en français ce que nous appelons poliment le style officiel et particulièrement le style du palais dans lequel sont dressés les actes judiciaires.

Le style

Le style, c’est l’homme, a dit Buffon. Le dictionnaire Larousse dit que c’est la manière d’écrire propre à un grand écrivain. En effet, le style est aussi personnel que les bonnes manières. Pour le commun des mortels, car nous ne sommes pas tous de grands écrivains, il s’acquiert en essayant de comprendre les autres, de penser à autrui plutôt qu’à soi, et de ne pas laisser la raison étouffer le coeur.

Le Dr Flesch dit dans son livre The Art of Readable Writing que notre langage diffère de celui des autres personnes. Il fait partie de notre personnalité. On y trouve des traces de la famille au sein de laquelle nous avons grandi, de l’endroit d’où nous venons, des gens que nous fréquentons, des emplois que nous avons occupés, des écoles dont nous sortons, des livres que nous avons lus, de nos distractions, nos sports, notre philosophie, notre religion, nos idées politiques, nos préjugés, nos souvenirs, nos ambitions, nos rêves et nos affections.

Cela rend le travail plus intéressant pour ceux qui écrivent des lettres d’affaires, car en écrivant au nom de leur compagnie, ils doivent faire sentir au lecteur que les sentiments qu’ils expriment sont également ceux de la compagnie ou vice-versa. En effet vous n’aidez pas à faire aimer votre compagnie si vous vous rendez antipathique au lecteur, et vous vous acquittez bien mal de votre tâche si vous vous attirez ses bonnes grâces tout en le laissant froid à l’égard de votre employeur.

Il est important d’adapter son style au sujet de la lettre et au caractère du lecteur. Il convient d’être généralement sérieux et réservé dans la correspondance commerciale, mais un ton léger n’est pas déplacé à l’occasion selon à qui on s’adresse.

C’est faire preuve de bonnes manières que de ménager les sentiments de votre lecteur. Rappelons-nous la fameuse définition d’un gentleman par le cardinal Newman. C’est celui, a-t-il dit, qui ne blesse jamais personne, qui est aimable pour tout le monde et qui vous fait sentir à l’aise. Efforçons-nous de vivre à la hauteur de cette définition dans notre correspondance.

Nous connaissons un chef d’entreprise qui garde toujours ce but en vue. Il écrit tous les trois mois dans son journal particulier : « Est-ce que j’écris la sorte de lettre qu’il aimerait recevoir, » et il relit sa correspondance avec cette idée à l’esprit.

Apprenez à connaître les gens

Le correspondant a de nombreuses obligations. Il doit faire passer les idées et les sentiments d’autrui avant les siens. Il faut qu’il adapte sa lettre aux connaissances du lecteur sans donner à celui-ci l’impression qu’il le juge ignorant ou inférieur. Il ne faut jamais qu’il s’abaisse à sa portée.

Aucun de nous n’aime les gens qui font preuve de condescendance à notre égard. Dans une lettre, c’est encore pire, car nous ne pouvons pas nous empêcher de penser qu’il y a préméditation.

Les grands auteurs, dit Emerson, ne condescendent jamais. En essayant de nous abaisser à la portée de nos lecteurs nous leur refusons pour ainsi dire l’occasion de s’élever à la nôtre. Nos lecteurs ne manquent pas d’intelligence, même si leurs connaissances ne sont pas très étendues, ce qui est bien différent. Et c’est justement notre tâche, dans nos communications, de leur fournir les renseignements qui leur font défaut.

Si nous étudions les gens à qui nous nous adressons, nous serons moins sujets à commettre des erreurs. Apprenons à connaître nos lecteurs et clients et à nous rendre compte de ce qu’ils savent, de ce qu’ils ne savent pas et de ce qu’ils aimeraient savoir. Nous saurons alors exactement ce qu’il faut leur dire, au lieu de deviner ce qu’il faudrait dire.

La lettre ne saurait avoir la même force que la parole ; on a dit que le langage écrit n’est qu’une pâle réflexion de la parole. Mais une lettre bien conçue et bien tournée a tout de même un certain poids et nous avons de plus l’avantage d’y réfléchir avant de l’écrire.

Plus nous fréquentons nos semblables et plus nous devenons familiers avec leurs manières, leurs goûts et leurs habitudes, plus nous devenons habiles à communiquer avec eux. Cela exige de la sympathie, car il faut aimer les gens pour les comprendre.

Nécessité de la lecture

Nous pouvons atteindre notre but d’une autre façon. La fréquentation de nos semblables nous apprend à connaître la nature humaine ; la fréquentation des bons auteurs nous enseigne leur manière de voir à cet égard et toute la littérature est à notre disposition.

La lecture élargit nos vues, provoque notre intérêt, augmente nos connaissances et notre plaisir. Non seulement nous nourrissons notre esprit mais nous apprenons à mieux nous exprimer. Et plus on est instruit, plus on aime à lire.

Mais, après tout, nous sommes humains et nous trouvons toutes sortes d’excuses pour ne pas lire autant que nous le devrions. La vie est courte et il y a tant de choses à lire qu’il est difficile de choisir.

Si nous voulons perfectionner notre style et la clarté de notre langage, lisons le plus possible ; lisons et relisons les classiques, car leurs oeuvres conservent leur fraîcheur à travers les âges. Lisons naturellement les auteurs modernes, sans omettre les magazines et les journaux, mais sachons choisir. Prenons le meilleur, c’est-à-dire ce qui nous fera le plus de bien. Il n’y a pas de mal à lire un roman policier à l’occasion, pour nous délasser l’esprit après une grosse journée de travail. Le lendemain on n’a plus qu’une vague idée de l’intrigue et pas une phrase ne vous reste à l’esprit. Comme diète ordinaire, c’est peu nourrissant pour un jeune homme ambitieux ou un homme tarir.

Y a-t-il des « trucs du métier » ?

Si vous écrivez des lettres, comment allez-vous vous assurer que vous communiquez réellement vos idées ?

Au moyen d’instruments ? Il y en a un en celluloïde, sur lequel vous enregistrez au moyen de syllabes et de symboles certains faits sur lesquels vous venez d’écrire. Vous pressez ensuite un bouton et dans une des petites ouvertures apparaît un verdict qui varie de « facile » à « très difficile ». Une machine américaine évidemment !

Au moyen de la sémantique ? Il y a un livre, également américain, qui donne le nombre de fois certains mots reviennent sur un million. Très intéressant, sans doute, mais franchement cela n’avance guère le correspondant.

Au moyen d’un dictionnaire des synonymes ? Ma foi, un dictionnaire des idées suggérées par les mots, à côté du Petit Larousse, peut rendre de grands services si on a le temps de le consulter.

Quand on hésite entre deux mots, un bon moyen est d’en dicter un et de demander à sa sténographe : « Qu’est-ce que vous en pensez ? »

Le fait qu’il existe des aides de ce genre, si on peut appeler cela des aides, prouve qu’on sent le besoin de perfectionner la correspondance.

On n’arrive pas à la perfection en observant des règles et en pressant le bouton d’une machine. Il faut forger pour devenir forgeron. Boileau n’a-t-il pas dit :

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage. Façonnez-le sans cesse et le refaçonnez.

Quelques idées ; l’intérêt de nos clients à coeur ; respect et connaissance de notre langue ; un fonds toujours croissant de bonnes lectures ; et peut-être un coup d’oeil rétroactif sur notre ouvrage, comme le chef d’entreprise mentionné plus haut, voilà tout ce qu’il nous faut pour devenir un bon correspondant.

Le côté du lecteur

Une lettre demande deux personnes – l’auteur et le lecteur. Nous n’avons parlé que des devoirs et des responsabilités de l’auteur dans cette question de communications ? Que dire du lecteur ?

Dans le domaine de l’art et de la littérature, c’est sur l’auteur que pèse la responsabilité de s’exprimer de manière à se faire comprendre. Il est l’expert en la matière. Mais dans les affaires nous sommes un jour auteur et le lendemain lecteur, de sorte que ce que nous avons dit au sujet de l’un s’applique également à l’autre.

Un lecteur dépouillé de préjugés collabore en réalité avec l’auteur qui, lui, pense principalement à servir celui à qui il écrit. Il est ainsi possible aux deux esprits de se rencontrer et de se mieux comprendre.

Comme l’a dit dernièrement le directeur général de la Banque Royale du Canada au sujet d’un recueil de Bulletins mensuels sur la Communication des idées : « Rien ne saurait rendre plus grand service à l’humanité de nos jours que l’art de communiquer les idées. Si nous savions ce que pensent les autres, et si les autres – dans les affaires, la société, au pays et à l’étranger – comprenaient nos idées, nos projets, nos espoirs, combien de malentendus ne seraient-ils pas évités. »

Après tout, pour arriver à s’aimer les uns les autres, comme l’enseigne l’Évangile, il est d’abord nécessaire de s’entendre.