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Il y a des gens qui considèrent la culture comme un avoir, plutôt qu’une manière d’être. D’autres pensent qu’elle se divise en culture des gens bien élevés, culture des masses, culture des gens instruits, culture des reclus, ainsi de suite. Pour d’autres encore, elle est fractionnée en musique, poésie, sculpture, peinture et toutes sortes d’arts et de métiers.

La culture propre au Canada comprendra les arts, les métiers et les coutumes, renforcés par la tradition et la foi. Elle tiendra compte de nos ressources matérielles, de nos connaissances scientifiques, de nos pratiques religieuses, de nos organisations familiales et sociales et de notre gouvernement ; en un mot les choses pratiques de la vie ainsi que son côté esthétique. La culture est un mélange de tout cela et des autres ingrédients de la vie qui expriment l’élan vital actuel de notre peuple.

On ne peut pas être « cultivé » de temps à autre, quand l’occasion le demande. La culture est dans un état constant d’évolution. Nous autres Canadiens n’avons pas encore, Dieu merci, atteint tout notre développement artistique, religieux, scientifique et intellectuel. Il est bon, pour une nation qui prend le castor comme emblème, de marcher vers un idéal au lieu de se contenter de ses biens matériels.

Si le Canada est destiné à demeurer une nation importante, notre progrès culturel ne saurait être regardé comme fortuit et comme ayant moins d’importance que l’un de ses ingrédients.

Une des beautés de la culture est qu’elle est indéfinissable. Elle participe trop de l’esprit d’un peuple pour se laisser circonscrire par les mots.

On ne réussit jamais à analyser les réalités transcendantes de la vie comme la foi, l’amour, le patriotisme, la religion et la beauté, parce que ces parties constituantes de la culture ne peuvent être réduites en termes plus simples.

La culture n’est pas fixe

On ne saurait accepter la culture comme un code immuable de la vie. Loin d’être stagnante, elle est dynamique. Elle nous ouvre de vastes horizons. La culture canadienne n’aurait aucune noblesse si nous pouvions dire : « Voilà les préceptes absolus de culture que nous acceptons comme règles. »

La culture ne consiste pas, comme d’aucuns se l’imaginent, à siéger sur un piédestal élevé par nos ancêtres, mais à y conquérir chaque jour notre place au risque de la perdre.

Notre culture est le résultat de notre évolution sociale. Elle comprend nos inventions et nos découvertes, les gains de nos efforts, la conception philosophique de nos idées et de nos actes, les institutions qui forment la base ouvrable de notre société, nos sentiments et nos manières de voir. Tout le passé de l’humanité fait partie de la culture, y compris les récents apports des peuples de toutes les nations qui ont découvert, colonisé et développé le Canada.

Il faut toutefois ajouter à la culture quelques caractéristiques fondamentales dont l’art, la musique, la culture, les lettres, la philosophie, la science, la vie de famille et les coutumes sociales sont les principaux symboles.

La base d’une culture durable est la recherche du vrai. L’étroitesse d’esprit s’oppose à la culture, et ceux qui refusent de voir les deux côté d’une question ou de tolérer ce qui leur déplaît, n’ont aucun droit de prétendre à la culture.

Compréhension de la vie

L’intelligence fait partie de la culture. Quand nous commençons à comprendre le sens, le but et les conditions de la vie, c’est notre intelligence qui s’éveille. Nous faisons des progrès en intelligence culturelle à mesure que nous en faisons usage et que nous acceptons la responsabilité des conséquences.

L’intelligence refrène nos inclinations violentes et antisociales, nous pousse à rechercher de plus nobles plaisirs que les satisfactions physiques et nous fait voir les choses sous leur vrai jour. Et pourtant, tout en nous permettant de connaître les merveilles des astres, de l’air et de la terre, elle nous laisse libres d’apprécier la beauté d’un coucher de soleil.

Il n’est pas nécessaire d’avoir des diplômes pour posséder cette sorte d’intelligence. On rencontre souvent des personnes relativement illettrées capables de concevoir de profondes pensées et de sentir la poésie des choses, tandis que des gens instruits, dont l’esprit est capable d’une foule de tours de force, n’ont qu’un sens superficiel de la valeur de l’existence.

Une grande partie de la culture est simplement une chaîne de traditions. Nos rapports avec nos semblables sont plus ou moins régis par la société dans laquelle nous voyons le jour. Nos ancêtres nous ont légué certaines manières de gagner notre vie et certaines règles de conduite.

Sans ce point de départ, le progrès serait inconcevable. La culture moderne du Canada repose sur la préservation de tout ce que nos prédécesseurs ont contribué au développement de notre pays, et la culture de demain dépend de ce que nous ajouterons à cet héritage, non tant sous le rapport des us et coutumes, que sous celui des idées.

Le monde change

Toutefois, le respect des traditions a quelque peu perdu de sa force dans notre monde changeant. La nouvelle génération abandonne en partie les anciennes coutumes comme elle a déjà abandonné le style traditionnel en musique, danse, peinture et sculpture.

Arnold J. Toynbee dit dans A Study of History : « La tendance courante à abandonner nos traditions artistiques n’est pas due à l’incompétence technique ; c’est l’abandon délibéré d’un style qui a cessé de plaire à une nouvelle génération parce que cette génération cesse de cultiver son sens esthétique à la manière traditionnelle de l’Occident. » Il est possible que la jeunesse d’aujourd’hui s’insurge contre le respect des traditions parce qu’elle y voit un culte des conventions.

Nous n’acceptons pas vite les changements. Nous trouvons nos habitudes plus commodes que les nouveautés qu’on nous offre. Ce qui est matériel, comme un outil, un instrument de cuisine, un calculateur électronique pour le bureau, s’installe facilement dans notre vie. Les avantages en sont démontrables. Le sentiment n’entrant pas enjeu, il n’y a pas de résistance sentimentale. Mais dans le domaine des idées et de la vie intime les nouveautés pénètrent lentement.

Certains adversaires de l’orientation moderne des arts prétendent que le sens esthétique de notre époque est inférieur à celui des anciens. Mais les goûts varient selon les époques et selon les continents. Ce qui était du meilleur goût pendant l’âge de Périclès, au siècle de Louis XIV, ou l’an dernier en Angleterre, ne plaît pas nécessairement aux Canadiens d’aujourd’hui.

« Le goût, dit Ruskin dans Le Vrai et le Beau, est la préférence instinctive et immédiate d’un objet matériel à un autre sans raison apparente. » Ce qui parle en nous, c’est tout notre passé aux prises avec un nouveau milieu.

Développement du Canada

Au milieu de la grande prospérité dont nous jouissons il serait dommage de perdre les joies et les satisfactions fondamentales qui forment une partie si importante de notre culture. Tout en profitant des grands avantages que nous offrent la radio, la télévision, le cinéma et les voyages, il serait absurde d’oublier qu’aux premières années de notre siècle nous goûtions le charme et l’exaltation de formes plus simples de musique et d’art.

Dans les petites villes et les villages du Québec, de l’Ontario et des Provinces maritimes, la musique était le patrimoine de la paroisse, car presque toute la vie gravitait alors autour de la paroisse. C’est dans la salle paroissiale qu’avaient lieu les conférences, que fonctionnait la lanterne magique, et que se tenaient les expositions culinaires où se manifestaient l’art et la science des ménagères de l’époque. L’école était le centre intellectuel, avec sa bibliothèque et son habitude de créer et de satisfaire le goût de la bonne lecture. Le journal local, contenant les nouvelles de l’endroit, était lu jusqu’à la dernière ligne.

Les deux cultures

Quand nous avons institué une Commission royale en 1949 pour étudier la vie culturelle du Canada, nous ne l’avons pas appelée une commission pour la culture, mais « la Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, lettres et sciences au Canada. » Le résultat, sous forme d’un rapport de plus de 500 pages, fournit aux intéressés l’histoire de l’état actuel des arts culturels au Canada.

Le premier paragraphe du décret instituant la Commission mentionne les éléments d’une culture nationale. « Il importe que les Canadiens connaissent le plus possible leur propre pays, qu’ils soient renseignés sur son histoire et ses traditions, et qu’ils soient éclairés sur la vie et sur les réalisations collectives de leur propre nation. »

Cela conduit naturellement à l’examen de l’idéal cité par le Dr A. R. M. Lower, professeur d’histoire du Canada à Queen’s University, dans son livre Canada, Nation and Neighbour. Le Dr Lower dit : « La nouvelle nation du Canada ne sera pas érigée sur l’oubli du passé, mais sur son incorporation en deux traditions vivantes qui, peut-être un jour, partageront une culture commune sans que chacune perde la sienne. »

Le Canada est, d’après un autre auteur, Bruce Hutchison, « comme un adolescent qui, en se mettant en route, aperçoit par-dessus son épaule le glorieux passé de sa patrie en France ou en Grande-Bretagne et, devant lui, l’éblouissant éclat des États-Unis. »

Une culture nationale doit remplir deux conditions pour être saine : il faut qu’elle soit originale et non pas calquée servilement sur celle de l’une ou l’autre de ses sources principales, et que les deux cultures amalgamées tiennent compte de leurs rapports entre elles, à la fois de ce qu’elles apportent et de ce qu’elles embrassent.

Notre situation n’est pas exceptionnelle. Beaucoup d’autres nations ont eu le même problème de réunir des individualités apparemment contradictoires en une loyauté commune. Il n’existe pas encore de symbole communément accepté d’unité canadienne, mais cela viendra, et nous verrons fleurir des traditions qui lieront notre peuple en une union permanente.

Le seul obstacle à ce résultat serait de vivre à l’écart les uns des autres. Il est essentiel que nous restions libres d’emprunter à l’occasion ce qu’il y a de meilleur dans la culture de toutes les nationalités qui composent notre population.

Un auteur a dit dans un style imagé au sujet de l’Utopie : « Une bonne culture fait constamment des emprunts aux autres cultures, mais comme l’abeille qui va à la fleur pour en recueillir le pollen, et non pas comme l’apiculteur qui va à la ruche pour en prendre le miel. »

Si les habitants de deux parties du Canada ont des idées et des croyances réellement inconciliables, des relations plus étroites et le sincère désir de s’entendre arriveront à inspirer un respect mutuel et à amener un compromis honorable.

Les manifestations de bons sentiments sont excellentes, mais on n’érige pas une culture nationale sur un échange de civilités. Il est impossible d’ignorer certaines différences, plus importantes que la question du langage. George J. Lavere dit dans un article du numéro d’été de Culture : « C’est dans la façon de juger les choses que réside la vraie différence. »

Les habitants des autres provinces du Canada respectent les idées du peuple du Québec, particulièrement en ce qui concerne son idéal de la famille comme base essentielle de notre société. De leur côté, les Canadiens français admirent les nouvelles manières de voir et de faire, la fécondité d’invention et la diversité de talent des Canadiens de langue anglaise et des nouveaux immigrants des autres pays.

Trop de simplicité ?

La culture canadienne n’en est pas encore arrivée au point de pouvoir être qualifiée de propre à notre pays, mais elle est en train de forger, au moyen de ses héritages et de ses emprunts, quelque chose de distinctement nouveau-monde.

Nous sommes simples, dit-on parfois ; nous sommes encore trop près de la nature. Ces critiques voudraient que nos artistes, nos poètes et nos romanciers se détournent de la contemplation de la forêt et des montagnes, des prairies et des toundras, pour dépeindre plus artistiquement ce qu’on appelle vaguement « l’âme » du pays. Mais ces forêts et ces montagnes, ainsi que ces prairies et ces broussailles, ont servi de fondement à la vie canadienne. Les économistes et les présidents des grandes entreprises les appellent le pilier de notre économie, la raison pour l’existence et la préservation de notre manière de vivre.

La nature a énergiquement résisté à la colonisation du Canada par les aventuriers français et anglais, et l’histoire en est encore si récente qu’il serait étonnant que nous fussions déjà devenus un peuple gai et frivole, oublieux de nos débuts et insouciants de ce qui forme la base et le soutien de notre prospérité. Peut-être que de notre simplicité sortira une culture exceptionnelle, entièrement différente des cultures inspirées par les mythes et les légendes, les histoires de batailles, de pompe et de conquêtes.

Nos ancêtres étaient habiles, et c’est ce qui leur a permis de survivre malgré toutes les rigueurs ; nous sommes arrivés à un confort relatif dans une société basée matériellement sur l’invention et l’adaptation. Si nous apprenons à mêler un peu de poésie à notre respect du passé et à notre contentement du présent, nous serons en bonne voie de trouver la culture distinctive que nous cherchons.

La hâte n’est pas nécessaire et ne serait pas sage. Nous n’avons pas demandé aux articles de l’Acte constitutif de la Confédération ni aux dispositions du Statut de Westminster de nous faire passer automatiquement et rapidement de l’adolescence à la maturité.

On trouve au Canada, dit M. Lavere, une vie intellectuelle et artistique aussi bien sur le plan professionnel que sur le plan amateur. Cette vitalité culturelle est d’excellente qualité et suffisamment sévère envers elle-même pour chercher à faire de mieux en mieux. Les Canadiens écrivent de bons livres et composent de la bonne musique ; ils commencent à réussir dans le théâtre et le ballet ; nous avons des peintres distingués ; nos films ont une réputation internationale ; notre radio découvre des artistes de talent. « Nous n’avons plus besoin, dit l’introduction à l’article de Robert Weaver dans le numéro du 60e anniversaire de Queen’s Quarterly, de nous excuser au sujet de nos arts récréatifs ».

La famille

La famille est de beaucoup la plus importante voie de transmission de la culture. Le modeste ameublement d’une hutte de sauvage acquiert une immense portée parce qu’il est groupé autour du foyer, symbole des relations intimes de la vie de famille.

Les idées, les préjugés et les sentiments acquis dans le foyer se font sentir sur nos pensées et nos actions au cours de la vie. Les hommes d’État et les financiers, les éducateurs et les artisans, les hommes et les femmes dans tous les domaines de la vie, sont influencés dans leurs décisions et dans leurs actions par l’empreinte qu’ont laissée les années vécues au sein de la famille.

La culture s’accroît en passant de l’intimité de la famille à la collectivité, à la province et à la nation. Saint Augustin dit que la nation est une association d’êtres raisonnables liés les uns aux autres par leur accord sur ce qu’ils aiment. Le contraire de la culture est la barbarie, et les barbares sont des gens qui tiennent à faire ce qui leur plaît, sans obéir à aucune règle.

Les gens cultivés se distinguent par la supériorité de leurs idées, la jouissance du beau, leur effort de se perfectionner et d’améliorer leur milieu, et leur disposition à examiner les nouveautés.

La largeur d’esprit est un pilier de la culture. Le don de juger les choses à leur juste valeur en est un autre. Clive Bell dit dans Civilisation que la curiosité intellectuelle de l’homme cultivé est non seulement infinie, mais courageuse et désintéressée. C’est un homme tolérant, généreux et inébranlable. S’il n’est pas toujours affable et courtois, du moins il n’est pas truculent, soupçonneux ou arrogant. Il distingue entre la fin et les moyens, méprise les chinoiseries, et crève les bulles d’indignation morale avec la pointe aiguisée de son jugement.

Être ce qu’on est

La meilleure recette pour une culture canadienne est peut-être simplement d’avoir le courage d’être naturels. Il faut nous tenir libres intellectuellement d’agir selon les besoins de l’occasion. Un volume d’essais canadiens, édité par Malcolm Ross, professeur de littérature anglaise à Queen’s University est intitulé bien à propos Our Sense of Identity.

Inutile de nous préoccuper du résultat de nos efforts ou de l’importance de notre concours individuel tant que nous agissons avec sincérité conformément à notre sens des valeurs. Nos vies, individuellement, sont les maillons d’une chaîne, et ce que nous faisons a une portée nationale et universelle.

Si chaque Canadien exerce de son mieux son sens des valeurs, la culture de notre pays ne risquera pas de dégénérer en mélange compliqué d’atours criards recueillis çà et la.

Il est impossible de faire des plans en matière de culture comme en politique ou en affaires. La culture n’est jamais entièrement consciente. Mais si nous voulons donner un sens à la vie, et peut-être un sens spécial à la vie canadienne, il est essentiel de prendre des mesures pour profiter de tout ce qui peut servir à alimenter et développer notre culture.

La vie est bonne au Canada

Personne n’est obligé de vivre misérablement au Canada, sauf par préférence. Ceux qui font trop de cas du confort, des biens matériels de ce monde, et des heures de loisir, mènent de ce fait une piètre existence culturelle et ne sont pas cotés très haut dans l’échelle de la civilisation. La vie n’est plus aussi dure qu’au temps de nos ancêtres, mais si nous oublions leurs épreuves, nous nous privons de ce qui constitue la base la plus logique, la meilleure et la plus émouvante de notre culture.

On a trouvé dans la péninsule de Gaspé un des premiers spécimens de la végétation terrestre. C’est une pauvre petite plante, haute d’un pied et sans feuilles. Sir John William Dawson l’a découverte vers l’époque de la Confédération. Elle a précédé d’environ soixante-quinze millions d’années les arbres touffus et les belles fleurs de l’époque carbonifère.

Cette découverte donnera peut-être à réfléchir à ceux qui sont impatients de voir la culture faire des progrès au Canada. Elle ne prendra pas aussi longtemps à se développer que la grêle petite tige de sir John n’en a mis à produire nos vastes forêts, mais cela prendra du temps. Pas plus que les arbres et les fleurs, la culture ne se fabrique par enchantement.

Nous cherchons une culture dans laquelle s’harmonisent quatre qualités, la vérité, la beauté, l’aventure et l’art, et cette harmonie qui exclut l’égotisme, l’intérêt personnel et la hâte, ne saurait être réalisée que par une lente croissance.