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Nous pouvons vivre sans abri ou vêtements pendant des mois, sans manger pendant des jours mais, sans eau, la vie est une question d’heures et de minutes.

C’est un sujet auquel nous réfléchissons rarement. L’eau est une chose commune, à la portée de tous, et bon marché. Meilleur marché que la terre : l’eau qui coule des robinets dans nos villes ne coûte que cinq sous la tonne, tandis qu’un tombereau de terre ordinaire vaut au moins une piastre et le bon terreau une dizaine de dollars.

Ce n’est qu’en cas de crise que nous nous rendons compte combien l’eau nous est nécessaire. Même alors, nous nous contentons de défendre d’arroser les pelouses ou de couper l’eau pendant quelques heures par jour, ou bien, comme à New-York, il y a quelques années, de ne pas nous raser un jour par semaine.

Voici en quelques lignes dix des plus importants usages de l’eau, dont chacun a fourni le sujet de centaines de traités techniques : l’humidité de l’air rend la vie organique possible ; l’eau à boire est le plus grand besoin de notre corps ; les plantes, depuis les humbles lichens de la Gorge du Niagara aux gigantesques sapins de la Colombie-Britannique, ne poussent que dans les endroits où il y a de l’eau ; la mer nous donne les poissons et autres produits dont nous nous nourrissons ; c’est la source de la vapeur et de l’électricité ; les procédés mécaniques et chimiques de l’industrie ont besoin d’eau ; depuis l’époque la plus reculée, l’eau a servi de moyen de transport à l’humanité ; c’est l’eau qui décide le site des villes et des fermes ; sous forme de glace, l’eau est universellement employée pour la réfrigération et, le plus souvent, elle sert à déterminer les frontières politiques.

Utile à ce point, il n’est pas étonnant qu’il y ait concurrence entre ses différents usages. Les autorités municipales, provinciales ou fédérales sont parfois obligées d’intervenir et interdire l’arrosage des rues, réduire le montant disponible pour les usines hydroélectriques, ou rationner les industries.

Notre indifférence en ce qui concerne la pluie et l’abondance de l’eau est devenue un danger pour notre civilisation. Elle fausse nos idées économiques, nous induit en erreur sous le rapport de la colonisation et de l’immigration, nous aveugle sur les conséquences de construire les villes de plus en plus grandes, et nous fait faire des erreurs de jugement par rapport au site et à l’avenir des usines.

L’eau est bienfaisante, quand on en fait usage proprement. Elle apporte la fécondité et rend les communautés prospères si son débit est réglé avec soin. Nos difficultés sont causées par nos efforts d’adapter notre milieu à nos besoins économiques et sociaux, sans tenir suffisamment compte des lois de la nature.

En desséchant les marais et les étangs, nous avons détruit le nid et le repaire d’utiles oiseaux et animaux aquatiques. En coupant les arbustes sur les bords des lacs et des rivières, nous avons exposé l’eau au soleil qui l’a rendue trop chaude pour les meilleures sortes de poissons. En déboisant les collines, nous avons abaissé le niveau de l’eau dans le sol et les racines des plantes n’arrivent plus à trouver l’humidité nécessaire. Par faute de précautions, nous sommes à court d’eau pour nos usines électriques et pour la navigation.

La beauté de l’eau

Le rôle utilitaire de l’eau ne devrait pas nous faire perdre de vue la beauté qu’elle apporte au paysage. Imaginez-vous la banalité d’un monde sans eau !

L’eau est la source de tous les changements que nous observons dans les nuages et le réflecteur de merveilleuses teintes d’ombre et de lumière. Elle a modelé la surface de notre terre, découpé les gracieux escarpements de nos montagnes canadiennes et, quand vient la saison, les couvre d’un manteau blanc. Chaque cours d’eau a sa beauté propre, depuis le mince filet d’eau qui gazouille le long d’un chemin de montagne en Colombie-Britannique, jusqu’à la marche imposante et silencieuse du Saint-Laurent autour de l’Île d’Anticosti.

Les poètes, les philosophes et les tourneurs de films ont choisi les rives des fleuves pour situer les scènes d’amour, pour échapper aux banalités de la vie, et pour mettre en scène des événements dramatiques. Tout le monde trouve un voyage plus agréable quand le train suit le cours d’une rivière. Les gens qui ne font rien ou qui n’ont rien a faire vont généralement s’accouder au parapet d’un pont pour passer le temps, ou s’asseoient au bord d’un dock en laissant pendre leurs pieds au-dessus de l’eau.

Charles Darwin, le grand naturaliste auteur de l’Origine des Espèces écrivit un jour à sa femme qu’il s’était endormi au bord d’un ruisseau. « Quand je me suis éveillé, un choeur d’oiseaux chantait autour de moi ; les écureuils se poursuivaient dans les arbres et quelques piverts étaient en train de rire. Je n’ai jamais rien vu de plus rustique et plus agréable, et il ne m’est pas venu à l’idée de me demander d’où descendaient les oiseaux ou les animaux. »

C’est là l’effet des ruisseaux sur les gens observateurs. Ils vous chuchotent une vieille histoire ou en inventent une nouvelle ; ils accompagnent de leur murmure le chant des oiseaux, ou bavardent bruyamment le long des pentes.

Mais laissons là le côté poétique pour considérer les aspects plus sérieux et plus utilitaires de l’eau.

À l’origine

Toute l’eau au service des hommes est dérivée de la vapeur condensée dans l’atmosphère. La science de l’hydrologie, qui traite des différentes espèces et propriétés des eaux, a fait un grand progrès ces dernières années. Elle a découvert que la distribution et le transport de l’eau obéissent à une loi fondamentale d’équilibre. Le rapport qui existe entre (1) les océans, les lacs, les cours d’eau et les eaux souterraines, (2) la partie solide de la terre, et (3) l’atmosphère, est appelé le cycle hydrologique.

L’eau circule continuellement de la terre à l’atmosphère et de l’atmosphère à la terre. Quand elle s’évapore des étangs, des lacs, des cours d’eau et des océans, elle forme une vapeur dans l’air ; cette vapeur se condense en nuages et tombe sur la terre sous forme de pluie.

La pluie qui tombe sur la terre disparaît d’une des quatre manières suivantes : une partie s’évapore immédiatement ; une autre reste sur le sol pour être plus tard évaporée par les plantes ; une autre partie s’infiltre dans le sol jusqu’aux couches rocheuses, et le reste s’en va dans les cours d’eau. La quantité de pluie au service de l’humanité est déterminée par la température, la nature du sol, la végétation et autres caractéristiques géographiques.

La partie absorbée par le sol a une très grande importance. Elle va rejoindre le vaste réservoir souterrain qui s’étend sous presque toute la surface du globe. C’est cette eau souterraine qui alimente les sources, les puits et les rivières. Elle fournit l’eau aux plantes par capillarité. Elle dissout les matières chimiques du sol et nourrit ainsi les plantes.

La seule manière d’avoir plus d’eau est de l’empêcher de s’écouler, et c’est le premier pas de la conservation.

Évidemment, il ne sert à rien de souhaiter la pluie si nous la laissons couler à travers nos champs et s’en aller à la mer par une rivière. Notre ignorance a gaspillé des millions d’arpents de terre, diminué considérablement le rendement des récoltes, affamé les bestiaux, répandu les déserts sur la face de la terre et dévasté les régions industrielles.

Les eaux du Canada

Quelques autorités croient que nos eaux diminuent. Leur opinion est basée sur les résultats d’enquêtes en Ontario il y a quelques années. Depuis cent ans, entre 80 et 85 pour cent des cours d’eau qui coulaient continuellement à pleins bords sont devenus intermittents et sont à sec au moins une fois chaque été.

Mais la quantité d’eau terrestre est permanente et indestructible ; elle change seulement de place. La demande augmente en proportion de l’accroissement de population, des progrès industriels et de la hausse du niveau de la vie. Les perfectionnements tels que la climatisation et l’électrification rurale exigent de grandes quantités d’eau.

Ce sont là des changements légitimes. E. Newton-White dit dans son traité Canadian Restoration qu’ils auraient pu être effectués sans perte ou dommage grâce à un peu de sagesse et de soins. Mais en détruisant les barrières naturelles nous avons accéléré le mouvement des eaux au point qu’elles n’arrivent pas au réservoir souterrain. L’eau coule si rapidement de la surface qu’elle emporte le sol hors de toute portée économique.

De sorte que, malgré que le Canada soit richement doté sons le rapport des eaux, il n’y a pas lieu de nous endormir sur les deux oreilles. Nous avons 283,000 milles carrés d’eau douce dans notre pays. Le lac Supérieur, qui forme notre frontière sud, est la plus grande masse d’eau douce au monde. Nous avons de gros fleuves. Le Mackenzie, qui est le plus long, mesure 2,514 milles depuis le Grand Lac de l’Esclave jusqu’à l’océan arctique ; le Saint-Laurent et les Grands Lacs sont navigables sur 2,338 milles depuis le détroit de Belle-Isle jusqu’à la tête du Lac Supérieur, au centre même du continent. Notre rivage est un des plus longs au monde, 14,820 milles pour le continent et 34,650 milles pour les îles.

Assez, direz-vous pour tous les besoins humains. Assez pour nous donner l’humidité qui dissout l’oxygène que nous respirons, pour liquéfier nos aliments et les rendre digestibles, assez pour notre santé et nos besoins industriels.

Mais regardez un peu tout ce qu’elle a à faire. Il faut 300 tonnes de pluie bien utilisées pour faire pousser une tonne de maïs, et 700 gallons d’eau par jour pour les besoins alimentaires et autres de chaque personne.

C’est une tâche énorme d’amener l’eau dans les villes. Rome avait onze aqueducs qui apportaient chaque jour 40 millions de gallons d’eau à un million d’habitants ; à peu près la même quantité qu’à Montréal en 1869, mais aujourd’hui il faut à Montréal une moyenne de 120 gallons par jour par personne, à peu près comme à Toronto. Il faut 1,200,000,000 de gallons par jour à New-York.

Quand nous manquons d’eau

L’eau pose incontestablement un grand problème dans de nombreux endroits. Le manque d’eau potable ou utilisable arrête de plus en plus l’expansion de l’agriculture et de l’industrie et la croissance des collectivités. Beaucoup de villes qui avaient assez d’eau autrefois trouvent qu’elles n’en ont plus assez depuis que leur population a augmenté. Le cultivateur se trouve obligé de creuser des puits plus profonds. Dans les endroits où l’eau est tirée de réservoirs artificiels, la vase apportée par les érosions comble peu à peu le fond des réservoirs et en réduit la capacité.

Mais nous ne nous inquiétons guère. Il est difficile d’intéresser les gens à conserver l’eau. Nous ressemblons un peu sous ce rapport à la souris qui venait tous les jours se mettre sous un robinet fermé, dans l’espoir qu’un jour ou l’autre il en tomberait une goutte d’eau.

Ce qui est arrivé à New-York, il y a quelques années, n’est remarquable que par le fait que cela s’est produit sur une si grande échelle. Beaucoup d’autres villes en souffrent à un moindre degré seulement parce qu’elles sont moins grandes.

Aux environs de Baltimore le niveau de l’eau souterraine a tellement baissé qu’il faut creuser les puits 146 pieds plus profondément qu’en 1916. William Vogt, auteur de Road to Survival, dit qu’il n’y a rien de plus stupide dans l’histoire que la mise en valeur de la Santa Clara Valley en Californie. Des puits artésiens furent creusés mais sans essayer de préserver la source de l’eau, et ils furent à sec au bout d’une trentaine d’années. Le dernier tarît en 1930. Une fois l’eau partie, le sol de la vallée s’affaissa de 5 pieds en 20 ans, ce qui causa des millions de dollars de dégâts. Mais on ne fit rien pour y porter remède. En 1922, les colons votèrent $4,000,000 pour un plan de conservation et dans les vingt années suivantes dépensèrent $16,000,000 en nouveaux puits et installations. Ce n’est que lorsque l’eau salée de la baie de San Francisco commença à couler de leurs pompes qu’ils s’occupèrent de chercher à retenir l’eau de pluie dans le sol.

Au lieu de creuser des puits et d’amener l’eau des montagnes dans les villes par des aqueducs, des gens proposent des moyens fantastiques. L’eau ne manque pas dans les océans, disent-ils, pourquoi ne pas la distiller ? Un mémoire soumis au Conseil économique et social des Nations Unies dit que le coût est prohibitif et va de 25 cents à $1.25 par mille gallons. Prenez la moyenne, et cela coûterait $328,500,000 par an à New-York.

D’autres conseillent de recueillir la rosée. Le procédé était employé anciennement en Angleterre où l’on trouve encore des étangs pour cela dans les collines de craie. La proposition a été soumise sérieusement au Conseil économique et social des Nations Unies, et le représentant des États-Unis a été forcé d’admettre que la rosée n’était pas comptée comme source d’eau potable même dans les régions arides de l’Ouest.

L’autre extrême

Trop d’eau ne vaut guère mieux que pas assez. Les climats pluvieux des tropiques et les marécages sont impropres à la colonisation. Même les inondations temporaires causent des malheurs dans les villes et les campagnes.

Certaines inondations, comme celles de 1936 et 1937 à Port Hope, et de 1937 à London, le débordement de la South Sydenham et autres rivières, et surtout les crues de 1947 dans le sud-ouest de l’Ontario, ont causé de grands dégâts, sans compter les souffrances et l’arrêt des communications.

Dans certaines parties des États-Unis, l’équilibre de la nature a été bouleversé du sommet des montagnes au creux des vallées, et les pertes dues aux inondations et à la sédimentation se chiffrent en moyenne à $300,000,000 par an. L’épuisement du sol, le déboisement à outrance et le manque de précautions pour arrêter l’érosion ont contribué à faire déborder les cours d’eau.

Même quand il y a de l’eau en abondance, sans y en avoir trop, les hommes semblent se plaire à la gâter. Ils y jettent des millions de tonnes de saletés et de détritus. On voit sur nos rivages et sur les bords de nos rivières de belles plages avec l’avis « Défense de se baigner ; eau contaminée. »

On ne trouve de l’eau potable « à l’état naturel » que dans quelques parties de nos 3,690,000 milles carrés, surtout dans les hauts plateaux et les montagnes loin des endroits habités. Ce n’est que là, où l’eau a été filtrée en passant à travers des couches de sol vierge, ou qu’elle provient de la fonte des neiges, qu’on peut boire en toute sûreté à une source, un étang, un lac ou un torrent.

On peut classer en trois catégories l’effet nuisible de l’eau corrompue : dangers pour la santé, pertes économiques et tort aux ressources touristiques. La plus importante des impuretés est naturellement la présence de microbes.

C’est là un problème national dont l’importance varie selon le bassin des rivières et les localités. Dans certains bassins d’écoulement, le tout-à-l’égout contribue principalement à contaminer l’eau, et ailleurs ce sont les exploitations minières et industrielles.

Évidemment, nous ne pouvons pas rester sans rien faire pendant que des montagnes de détritus pleins de microbes sont déversés dans nos cours d’eau. Ce n’est pas seulement nous qui en souffrons, mais aussi le gibier et les poissons. L’eau d’irrigation tirée de canaux contaminés peut communiquer des germes aux produits du sol et répandre des maladies.

Notre devoir

Il est temps de nous rendre compte que les lois naturelles nous imposent des restrictions et des devoirs. Que cela nous plaise ou non, du point de vue personnel ou politique, l’eau continuera à suivre la pente des collines et sa force destructive à augmenter selon le degré de pente ; elle continuera à être impure si nous y jetons des impuretés ; le niveau des eaux souterraines diminuera si nous continuons à les épuiser sans leur donner le moyen de se renouveler.

Même si la nature était bienveillante au lieu d’être strictement et logiquement impartiale, elle ne pourrait pas remplacer le sol gaspillé sans recourir au procédé infiniment long qui a formé le sol en premier lieu au moyen des roches primitives, et elle ne peut pas non plus par ses doux procédés remédier au violent empoisonnement causé si impitoyablement par les hommes.

L’histoire nous offre des exemples classiques de civilisations détruites par l’emploi abusif de l’eau et du sol ; ce sont les villes enterrées sous le sable de la Chaldée et de l’Assyrie, et les vastes régions, autrefois riches et prospères, du nord-ouest de la Chine. L’érosion a détruit ou sapé toutes les civilisations de la Méditerranée, anciennes et modernes, depuis Athènes et Rome jusqu’à l’Italie et l’Espagne, sans compter les plaines fertiles de l’Afrique du Nord où florissait autrefois Carthage.

Nous vivons aujourd’hui à une époque où l’agriculture n’arrive pas à nourrir une population sans cesse croissante. Tout dépend de la façon dont nous arrivons à nous débrouiller quand nous avons trop d’eau ou pas assez.

La méthode de la nature

Nous étudierons un autre mois la question de l’irrigation. Elle a beaucoup d’importance dans l’Ouest du Canada. On y fait des prodiges, non seulement dans le cas de grands projets comprenant des milliers d’arpents mais pour les petites fermes. L’irrigation offre la perspective d’une vie nouvelle aux cultivateurs des plaines de l’Ouest, et nous y consacrerons prochainement un Bulletin mensuel.

Il est nécessaire, toutefois, de tirer du présent article sur l’importance de l’eau dans notre vie, une leçon et peut-être l’idée d’un plan pour la conserver. La méthode que nous avons en vue est celle de la nature.

Le plus grand dommage causé par l’homme civilisé sur son milieu est le bouleversement du cycle des eaux. Dans le Canada vierge, avant l’arrivée des blancs, il existait une société mutuelle d’équilibre entre l’eau, le sol, l’herbe, la forêt et la faune.

Son fonctionnement est expliqué dans le livre Canadian Restoration par Newton-White : À cette société, chaque membre contribuait une mesure de maîtrise et de protection, et en retour il jouissait d’une mesure de maîtrise et de protection. En conséquence, les cours d’eau étaient limpides, frais et constants, et emportaient, sans causer le moindre désordre, l’eau qui restait après avoir pourvu aux besoins des réservoirs naturels et de la vie animale et végétale.

Mais nous avons brisé notre contact avec la nature et nous nous abritons derrière nos trucs mécaniques avec un faux sentiment de sécurité. Nous récoltons le grain, faisons de la farine et du pain avec des machines et par l’électricité, mais nous oublions que pour faire un pain d’une livre il a fallu employer presque deux tonnes d’eau. Nous plantons des milles carrés de maïs pour notre table ou pour les bestiaux, sans songer que pour faire pousser un arpent de maïs, il faut 3,000 tonnes d’eau, ou environ 15 pouces de pluie.

Quand nous pensons aux aliments, commençons par l’ingrédient essentiel : l’eau. Quand nous pensons à la conservation du sol, commençons par l’élément qui est le plus grand ami ou le plus implacable ennemi de la formation du sol : l’eau. Et quand nous pensons à l’eau, commençons non pas par le robinet ou l’embouchure du fleuve, mais remontons à la source, sur le sommet des montagnes et au versant des collines.

L’objectif en vue

Le contrôle et la conservation des eaux de nos plaines de l’Ouest – la corbeille à pain du monde, comme nous nous flattons de les appeler – commencent au versant des montagnes Rocheuses. Leur déboisement cause de plus grandes crues au printemps et envoie dans les rivières l’eau qui devrait filtrer dans le sol pour alimenter nos réservoirs souterrains.

Rien ne sert de dépenser des millions pour endiguer les rivières et mettre en valeur les vallées, à moins d’adopter en même temps des méthodes efficaces pour enrayer la dévastation inutile des forêts. Les forêts bien aménagées sont le meilleur moyen de conserver l’eau et le sol. Les statistiques de 100 orages dans les monts Appalaches pendant deux ans révèlent que l’écoulement de l’eau dans les régions déboisées au plus fort des crues est de dix à vingt fois plus gros que dans les régions boisées. Les petits cours d’eau coulent généralement d’une manière continuelle dans les forêts, mais sont souvent à sec entre les pluies dans les régions sans arbres.

Les forêts font fonction de soupape de sûreté. Pendant les saisons de sécheresse, l’eau emmagasinée dans le sol dégoutte dans les sources et les cours d’eau, et le niveau hydrostatique est maintenu dans les terrains adjacents. Les forêts n’augmentent peut-être pas le montant de pluie, mais elles aident certainement à la distribuer plus avantageusement que les terrains déboisés.

Cela ne signifie pas que nous devrions pousser les choses au point de reboiser des terrains consacrés à l’agriculture, quoique cela soit nécessaire dans certains cas. Contentons-nous de faire sagement usage de chaque terrain selon ses aptitudes naturelles.

Il y a lieu d’admirer les gros barrages et les immenses réservoirs. Ces masses monumentales de béton, comme A. H. Carhart les appelle dans un article publié dans The Atlantic, sont destinées à servir à l’irrigation, à contrôler les crues et à produire de l’énergie – admirables objectifs. Mais si l’eau manque en amont, leurs jours sont comptés.

Conserver l’eau par la méthode de la nature n’est pas une petite affaire. Il faudra le concours éclairé de toutes les sciences naturelles pour déchiffrer la subtile énigme des rapports entre le sol, l’eau, les animaux et les végétaux. Les sciences sociales auront une noble tâche à faire comprendre aux hommes la sagesse de collaborer et de ménager leurs ressources pour le bien commun. Et les gouvernement devront déployer leurs meilleurs efforts pour contenter les divers besoins actuels de l’agriculture et de l’industrie sans empiéter sur l’avenir.