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Polonius indique, au deuxième acte d’Hamlet, l’une des conditions essentielles de la clarté et de l’élégance dans le style : « En conséquence, dit-il à Horatio, puisque la brièveté est l’âme du discours et que la prolixité en est le corps et la floraison extérieure, je serai bref. » Mais qu’est-ce que la brièveté ?

Aucun article n’est trop long s’il dit ce que vous avez à dire et pas davantage. On est bref quand il ne nous faut pas dix pages pour dire ce qui pourrait tenir dans une, mais il ne faut pas non plus essayer de condenser un article de dix pages en une seule.

Un rapport de 3,000 mots peut être bref, et une note de 100 mots trop longue : le premier, parce qu’il contient de nombreux faits, plusieurs points de vue et différentes solutions ; la seconde, parce qu’elle est dénuée de faits, vaguement exprimée et sans conclusion.

Employer trop de mots pour exprimer ses pensées est un signe de médiocrité, tandis que l’art de condenser ce qu’on veut dire en quelques mots clairs et précis dénote le génie administratif.

Les chefs ont un devoir spécial. Les sévères réprimandes ne sont pas adoucies par le fait qu’elles sont dictées à une charmante sténographe.

Ce que vous avez écrit n’est peut-être pas si mal, mais il y a fort à parier que vous auriez pu mieux l’exprimer.

Vous êtes-vous trop hâté ? À quoi bon passer une heure à chercher comment répondre à une question ou à une plainte, si vous ne prenez que dix minutes pour dicter une réponse capable de satisfaire votre correspondant.

Quand Churchill était premier ministre, il écrivit un jour au bas d’un mémoire : c’est pure paresse que de ne pas condenser ses pensées dans un espace raisonnable.

Pourquoi écrivez-vous ?

Avant d’écrire, sachez exactement ce que vous voulez dire. Les hommes d’affaires n’écrivent généralement pas pour le plaisir de s’exprimer. Ils désirent se faire comprendre, inspirer confiance et faire agir les gens.

Il se peut qu’une lettre manque son but parce que l’auteur n’a pas une claire idée de ce qu’il veut dire. Il écrit ou dicte un tas de mots tout en cherchant dans son esprit comment s’exprimer explicitement. La première règle à observer pour écrire une lettre est donc d’avoir une claire idée de ce qu’on veut dire.

Vous n’écrivez pas pour produire de l’effet, mais pour vous faire comprendre. Il s’agit de transmettre votre message de façon à lui donner les meilleures chances de remplir sa mission. John Ball et Cecil B. Williams en donnent un excellent exemple dans leur livre Report Writing (Ronald’s Press Co., New York, 1955) : « Le quart-arrière doit lancer le ballon où se trouve le receveur, sinon la passe n’est pas bonne. Naturellement, il ne peut pas attraper le ballon pour l’aile extérieure ou le lui faire attraper… mais il peut le mettre entre ses mains. Après cela, c’est l’affaire de l’aile extérieure. »

L’important est d’avoir une idée à transmettre, d’employer des mots que le lecteur peut comprendre et de les disposer en petits groupes qu’il pourra assimiler facilement.

Soyez précis

Cet article n’est pas un recueil de règles sur la façon d’écrire les lettres, mais il faut cependant en mentionner quelques-unes, particulièrement celle qui concerne la précision.

Quand vous écrivez avec des mots simples et précis, votre style est vivant, de sorte que les mots s’agitent dans l’esprit du lecteur. La brièveté donne du mouvement à ce que vous écrivez.

La première qualité d’un style viril est la brièveté, et c’est l’emploi de verbes actifs et de mots concrets qui en font la force. Ce qui intéresse le plus les gens, c’est la vie, l’action, la vue et les sons, – les événements. Vous avez sans doute remarqué que les petits récits qu’on appelle paraboles ne parlent que de choses qu’on peut voir et toucher, et de ce qui leur arrive.

Vos lettres seront diffuses et prosaïques tant que vous emploierez des mots abstraits au lieu de mots concrets. Pourtant, la plupart des hommes d’affaires n’ont aucun penchant pour les abstractions ; alors tâchez donc d’être naturel. C’est le naturel et la simplicité du style qui en font la force. « Il faut avoir le chaos dans le corps pour donner naissance à une danseuse, » a dit Nietzsche. L’homme d’affaires réduit ses pensées chaotiques en phrases exactes, concrètes et brèves.

Soyez élégant

La brièveté n’exclut pas l’élégance. Les aménités de style s’accordent bien avec la correspondance sociale et les récits descriptifs. Il est permis de dévier des règles dans toutes les lettres destinées à gagner l’amitié des gens et, tout en restant bref, de faire preuve d’amabilité.

Tâchons de faire sortir nos lettres de l’ordinaire. Il est permis, sans trop s’éloigner de la règle imposée par la brièveté, d’ajouter quelques mots qui donnent un ton personnel en rapport avec le but et le contenu de la lettre.

Il est possible d’écrire exactement ce qu’on veut dire dans un style harmonieux et courtois. Mais cela demande beaucoup de travail.

Quel est notre idéal ? Nous désirons tous écrire des lettres, des rapports et des articles qui se distinguent par le style, la brièveté, l’intérêt, la beauté du rythme et la nouveauté des idées et des expressions. Nous en sommes capables. En observant quelques règles et en appliquant quelques principes nous pouvons arriver à perfectionner peu à peu notre style jusqu’au point où l’art d’écrire cessera d’être un mystère pour nous.

Soyez clair

Il n’est pas donné à tout le monde d’écrire avec élégance et précision, mais chacun devrait tout au moins s’efforcer d’ordonner ses idées de manière à ne pas imposer au lecteur la tâche de les débrouiller. Celui qui sait écrire, qui est soucieux de son style et qui désire que sa lettre produise le résultat voulu ne laisse pas le lecteur dans l’incertitude de ce qu’il a voulu dire.

Quel est le premier but d’une machine ? Le bon rendement. Le manufacturier cherche à éliminer la friction, la raideur et le jeu. La machine qui marche parfaitement transmet son énergie et concourt ainsi à la production.

Quel est le premier objet d’une lettre ? Transmettre des idées. L’auteur cherche à arranger ses phrases de telle sorte qu’elles trouvent le moins d’obstruction possible dans l’esprit du lecteur.

Dans les deux cas, il s’agit d’obtenir le maximum de force disponible en réduisant ce qui est absorbé dans la transmission. Evidemment, dit un traité de style d’il y a une cinquantaine d’années, si le lecteur est occupé à tirer au clair une phrase dont le sens devrait être reflété comme dans un miroir, l’effort intellectuel que cela demande diminue d’autant la quantité d’énergie qu’il peut consacrer au sujet.

Si votre lettre traite de sujets techniques, prenez soin de les expliquer simplement. Rappelez-vous que vous êtes le spécialiste en la matière et qui votre correspondant s’attend à des éclaircissements.

Cela ne veut pas dire qu’il faut toujours écrire pour des ignorants. Evitez l’emploi de grands mots et jetez des ponts entre les différents sujets de votre lettre. En « condensant » votre lettre, prenez soin de ne pas démolir les ponts et de laisser ainsi le lecteur flotter entre deux idées. Supprimez les ornements superflus et dépouillez votre lettre des images et des expressions qui n’en sont que « la floraison extérieure », comme dit Polonius.

Un auteur du 17e siècle fait tenir le récit de la Rébellion de Monmouth dans 68 lignes de son journal intime, y compris les faits essentiels. Homère condensa dix années d’aventures épiques dans son Odyssée, et Aristote en fit le résumé en 79 mots. Le discours de Lincoln à Gettysburg ne contient que 266 mots. Les Dix commandements en ont 297 et la Déclaration d’indépendance des États-Unis 300. D’un autre côté, dit le journaliste américain, Walter Winchell, une ordonnance des États-Unis pour réduire le prix des choux, contient 26,911 mots.

Effets de la longueur

Les gens n’aiment pas lire une lettre paresseusement longue. Ils sont portés à s’exclamer à la fin, comme un philosophe dans un grand temple égyptien construit pour un petit singe : « Quel palais magnifique pour un habitant si ridicule ! »

Vous n’aimeriez certainement pas qu’on en dise autant de ce que vous écrivez. Les mots superflus causent une perte de temps dont les lecteurs finissent par s’irriter. Votre objet – vente de marchandises, recouvrements, réponses aux critiques ou offres de service – sera mieux atteint par des lettres concises, dynamiques, qui vont droit au but, et qui disent au lecteur exactement ce qu’il veut savoir.

La longueur est souvent coûteuse autant qu’inefficace. Prenez un mémoire destiné à 1,000 personnes, disons vos employés ou vos agents. Vous avez mis une heure à rédiger ce mémoire, et il faut en moyenne 5 minutes à chaque personne pour le lire et le comprendre. D’un autre côté, supposons que vous preniez deux heures pour composer le mémoire et le rendre si bref et si simple que vos lecteurs puissent le digérer en 4 minutes. Vous aurez pris 60 minutes de plus de votre temps, mais vos lecteurs en auront économisé 1,000.

La valeur de la simplicité

Les grands écrivains s’efforcent d’exprimer leurs pensées aussi clairement et brièvement que possible. La simplicité a toujours été un signe de vérité, et on peut dire qu’elle est maintenant reconnue comme un signe de génie.

La simplicité est le signe extérieur de la profondeur de pensée. Elle n’a pas besoin d’ornements. Vous n’y arrivez pas par des règles de grammaire. Ce qui vous fait croire par votre lecteur, c’est la sincérité même des mots qu’il emploie dans le même sens que vous et qui montrent l’intérêt que vous éprouvez pour lui.

Les exemples de simplicité dans le style abondent dans toutes les littératures, et la nôtre est particulièrement riche à cet égard grâce à ce bon La Fontaine, dont presque toutes les fables contiennent des vers passés en proverbes. Il est généralement impossible d’exprimer la même idée sous une autre forme, et quand on cherche à trouver d’autres mots on tombe dans le pathos et la confusion.

Ce n’est pas ainsi qu’on perfectionne son style. Les idées confuses ne font pas marcher les affaires. Les ornements fatiguent la vue et émoussent l’esprit. Un style fleuri dans une lettre d’affaires nous dégoûte. Chaque mot qui n’ajoute rien à l’objet et au plan de la lettre est un mot de trop.

Evitez les superlatifs. Ils sont inutiles et souvent trompeurs, non seulement pour le lecteur mais aussi pour l’auteur. Quand celui-ci dit : « J’ai étudié très minutieusement la question », il s’imagine probablement qu’il a fait tout son possible.

L’exagération est un signe d’ignorance. Nous essayons de remplacer notre pauvreté d’idées ou de langage par l’emploi de grands mots. Nous arriverons à un meilleur résultat en nous exprimant simplement et en expliquant les faits de manière à les faire comprendre.

Prenez soin particulièrement de ne pas abuser des adjectifs, parce que c’est généralement ce qui arrive à ceux qui aspirent à bien écrire. Une lettre qui regorge d’adjectifs tombe dans l’affectation.

Il est bon de réserver les adjectifs pour les occasions où ils précisent le sens et de les éviter quand ils sont superflus. Les mots concrets, soigneusement choisis, et les verbes actifs suffisent généralement à donner à vos phrases la force et le mouvement nécessaires.

Mots et phrases

Avec quoi écrit-on ? Avec des mots, des phrases et des paragraphes. C’est un vrai plaisir que de trouver le mot juste, dans le cadre qui lui convient, pour exprimer nos pensées.

Les meilleurs mots font image dans l’esprit du lecteur sans le fatiguer et sans lui faire perdre de temps. L’homme d’affaires commet une erreur quand il emploie un mot recherché au lieu du mot ordinaire qui convient à ses besoins. Il s’expose à deux dangers : celui d’être entraîné à écrire quelque chose qu’il n’avait pas l’intention d’écrire, ou celui de créer une situation dans laquelle il puisse faire entrer le mot qui lui plaît.

Après tout ce que nous venons de dire, il est évident que la brièveté ne consiste pas seulement à supprimer un mot ici et là comme dans un télégramme, mais à choisir ceux qui expriment notre pensée avec clarté et précision. Les mots qui introduisent des nuances dans nos idées nous aident à écrire avec concision. Quand un mot qui sort de l’ordinaire rend mieux notre idée, n’hésitons pas à l’employer. Ne craignons pas d’employer un mot parce qu’il est long, s’il exprime exactement ce que nous désirons et s’il parait familier.

Coupons nos phrases en morceaux faciles à avaler. Pour éviter de paraître affecté, évitons les phrases pompeuses. Au lieu de chanter les louanges de sa maison ou de son produit en dix belles phrases, un bon homme d’affaires écrit dix simples petites phrases qui contiennent chacune des renseignements intéressants.

La longueur moyenne des phrases dans cinq des magazines les plus populaires est de 18 mots. Si vous écrivez de longues phrases, cherchez à en découvrir les joints, afin de les raccourcir au besoin. Vous serez agréablement surpris, en relisant les lettres de la veille, de voir comme c’est facile. Chaque phrase qui contient un « et » peut en faire deux. Mais nous semblons avoir peur qu’une phrase soit trop courte, de sorte que nous ajoutons « et… »

Plus une phrase est longue, plus il est difficile de la lire et de la comprendre. Une phrase devrait réellement n’exprimer qu’une idée. D’un autre côté, il faut qu’elle soit harmonieuse et qu’elle coule au lieu de progresser par bonds et par sauts. Un trop grand nombre de phrases courtes nous fatigue. Mettons de la variété dans notre style. Chaque phrase raconte une partie de l’ensemble et nous amène à ce qui suit.

La réunion des phrases en bons paragraphes est un art qui n’est pas à dédaigner. On y réussit en prenant pour chaque paragraphe un aspect essentiel du sujet, ou un point de vue. En coupant nos lettres en paragraphes de longueur raisonnable, nous atteignons deux résultats : nos lettres ont meilleure apparence et nous appuyons sur les points importants.

La lettre

Votre lettre sera bien écrite si elle remplit ces simples conditions : si elle a l’air naturel, sans montrer qu’on s’est donné du mal à l’écrire ; si elle n’a rien de pompeux, et si elle s’exprime sans exagération ; si elle est simple dans sa construction et explique ce qui pourrait paraître obscur au lecteur ; si ses mots correspondent à nos pensées et s’ils ne sont pas trop grands, comme les vêtements d’un géant sur un corps de nain, ou trop étriqués comme ceux d’un enfant sur un corps d’adulte ; et si vous avez réussi à condenser ce que vous avez à dire dans le minimum d’espace nécessaire pour l’exprimer clairement.

Réfléchissez avant d’écrire. De même que la perspective est la bride et le gouvernail de l’artiste, l’écrivain est guidé par le but qu’il a en vue. Il faut qu’il connaisse son public et son sujet, et qu’il ait une claire idée des points sur lesquels il se propose de renseigner ses lecteurs.

Une petite analyse vous aidera à écrire avec brièveté. Demandez-vous : à qui vais-je écrire ? a-t-il des connaissances à ce sujet que je n’ai pas besoin de répéter ? Que pense-t-il de cette affaire ? Sur quels points sommes-nous d’accord ? d’avis contraire ? Quels sont les points sur lesquels je désire le renseigner ? Qu’est-ce que je veux l’amener à faire ?

Commencez votre lettre au point qui intéresse le lecteur. Il n’est pas poli de traiter le lecteur comme s’il était obligé de lire ce que vous écrivez, sans avoir besoin d’en être prié. Personne n’est assez sage ou assez important pour pouvoir se passer d’être courtois.

Dans le corps de votre lettre, exposez le problème ou le plan sous un jour intéressant. Qu’est-il arrivé à cette commande, à ce paiement, à cette livraison ? Qu’en pense votre correspondant ? Il faut que vous ayez quelque chose d’important à dire, sans cela pas besoin d’écrire : n’ayez pas peur de le dire. Soyez aussi bref que possible sur ce point, mais prenez soin de ne rien oublier.

Soyez exact. L’exactitude conduit à la brièveté. Il y a des cas où l’austérité s’impose, où le style doit être sans ornements ni fioritures, mais même alors – peut-être plus qu’en toute autre occasion – il faut être précis dans l’emploi des mots.

Relisez vos lettres

Si vous avez l’impression que votre correspondance, ou celle de vos employés, est susceptible de perfectionnement, prenez garde aux solutions élégantes. Il n’existe en ce domaine aucune méthode qui soit en même temps bonne et rapide. Pour faire de bonnes lettres, il faut prendre le temps de les préparer.

Quand vous relisez votre lettre, ne cherchez pas seulement à découvrir les erreurs typographiques. Demandez-vous si elle transmet votre message de manière à provoquer la réponse favorable que vous espérez. Dit-elle en aussi peu de mots que possible exactement ce que vous avez à dire ? N’avez-vous pas encombré certains points importants de détails inutiles ? L’avez-vous débarrassée de tout ce qui n’est pas essentiel ? Contient-elle quelque chose dont elle pourrait se passer ?

La plupart des grands écrivains font d’abord un brouillon et suppriment ensuite les parties inutiles.

C’est probablement votre méthode. Écrivez d’abord tout ce qui vous vient à l’esprit et condensez ensuite votre manuscrit.

Lisez également votre lettre en vous demandant l’effet qu’elle produit sur vous. Vous vous habituerez ainsi à chercher la perfection, à faire de votre mieux avec le moins de mots possible, ce qui ne saurait avoir qu’un effet bienfaisant. Les idées vaguement exprimées dénotent un esprit confus, mais la précision engendre le bon ordre.

Louez le bon style

Il convient d’estimer le bon style et de montrer qu’on l’apprécie. Les éloges sont un encouragement magique.

Pourquoi ne pas faire, de temps à autre, des compliments à ceux qui vous écrivent. Non pas des compliments généraux, mais des compliments sur tel ou tel point particulier. L’auteur sait probablement qu’il a bien traité le côté technique de sa question. Dites-lui, par exemple, que son article vous a donné un nouveau point de vue, qu’il a résolu un problème, ou vous a fait plaisir. André Maurois dit quelque part : « Le général ne me remercia pas de lui parler de ses victoires, mais sa gratitude ne connut plus de bornes quand une dame fit allusion au pétillement de son regard. »

L’intérêt que nous prendrons aux lettres d’autrui nous fera désirer d’en écrire de meilleures nous-même.

Il nous sera alors facile de distinguer entre les lettres qui « sont trop longues d’un demi-mille », comme dit Shakespeare, et celles que l’on ne trouve jamais assez longues. Et c’est en cela que réside le secret de l’art, difficile entre tous, d’écrire une lettre.