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Il peut sembler absurde, à notre époque de prospérité relative, que nous ayons du mal à joindre les deux bouts. Les embarras du budget familial étaient choses courantes pendant la crise, mais, dira-t-on, les salaires sont aujourd’hui si élevés que nous devrions assurément vivre dans l’aisance.

Le fait est, naturellement, que si nous avons atteint un nouveau niveau de vie, les impulsions fondamentales de la nature humaine, elles, demeurent toujours les mêmes.

Notre soif de luxe et de prodigalité semble croître plus vite que nos revenus. Nos désirs deviennent des nécessités. Lorsque nous gagnons $100 par mois, nous nous plaignons d’avoir tout juste de quoi vivre ; mais si notre salaire mensuel est de $300 quelques années plus tard, nous continuons à nous lamenter. Quand notre table est chargée de mets délicieux, nous allons pleurnicher devant le buffet vide.

Alors que le niveau d’existence est à peine suffisant pour vivre dans beaucoup de parties du monde, le Canada a atteint, grâce à son prodigieux essor industriel, un degré de bien-être qui compte parmi les plus élevés du monde.

Nos progrès ont été si rapides que nous n’y sommes pas encore habitués. Au cours des cent dernières années, le Canada est devenu un pays où les hommes peuvent avoir de quoi manger sans être obligés de se lever à cinq heures pour traire la vache et rentrer fourbus à la nuit tombée. Au lieu de s’échelonner sur plusieurs siècles, comme dans d’autres pays, ce changement s’est produit chez nous en une ou deux générations.

Entre 1926 et 1956, le revenu des particuliers, au Canada, est monté de 4,092 millions de dollars à 21,706 millions, soit une augmentation de 430 p. 100. Ceci représente un accroissement de pouvoir d’achat de plus de $560 par personne et par année, même si l’on tient compte de la hausse du coût de la vie. Pendant la même période, les revenus en espèces provenant de la vente des produits agricoles passaient de 966 millions à 2,662 millions de dollars.

Jetons un coup d’oeil sur l’augmentation de nos acquisitions en moins d’une génération.

  Il y a vingt ans Dernières statistiques
automobiles immatriculées 1,279,536 3,187,099
maisons particulières 1,459,357 2,685,000
aspirateurs électriques 624,178 2,199,000
téléphones 1,037,298 2,930,000
radiorécepteurs 2,002,889 3,817,000
réfrigérateurs mécaniques 538,535 3,186,000
cuisinières électriques ou à gaz 1,019,421 2,619,000
chauffage central 997,588 2,266,000
baignoires ou douches 1,169,760 2,656,000
eau courante 1,558,586 3,249,000
toilettes à l’eau 1,342,198 2,906,000
machines à laver électriques   3,344,000

Le problème

Pourtant, avec tous ces revenus et ces achats, en dépit du fait que toutes les femmes portent des vêtements à la dernière mode, que nous sommes les plus grands fumeurs du monde occidental, que les dimensions des parcs de stationnement de nos usines témoignent de notre prospérité aux yeux des visiteurs étrangers et qu’on voit partout des signes d’abondance, nous avons de la difficulté à joindre les deux bouts. Nous sommes toujours en quête de quelque nouveauté.

Que de gaspillage dans le domaine des nécessités de la vie ! On a dit que les seuls restes de nos cuisines suffiraient à nourrir une population frugale dans la plupart des pays d’Europe.

Nous sommes menacés, en un mot, d’être tellement dominés par la prospérité matérielle, tellement absorbés dans la jouissance des choses, que nous perdrons contact avec ce sens des réalités que connaissaient si bien les pionniers que furent nos grands-pères et qui a fait de nous un peuple bien équilibré. Comme le disait la légende d’une caricature, « grand-papa ne sait rien des difficultés. Dans son temps, il n’avait qu’à se passer des choses… il n’a jamais eu à les payer. »

Ce qui importe, c’est que nous adoptions une attitude pondérée à l’égard de nos besoins, de nos désirs et de nos revenus, et que nous lassions en sorte d’obtenir le maximum de satisfaction réelle. Il n’est pas question d’être parcimonieux, de mener une vie austère ou de perdre son prestige social. Il s’agit tout simplement d’en avoir pour chaque dollar que nous gagnons. C’est là un jeu qui peut être passionnant, beaucoup plus intéressant en tout cas que celui de dépenser son argent selon son bon plaisir.

Que voulons-nous ?

Voilà l’une des questions importantes dans la vie. Un philosophe grec a enseigné que le bien suprême consiste à s’affranchir du désir et Léonard de Vinci a dit : « il est pauvre celui dont les désirs sont nombreux ».

La gamme des besoins auxquels nous devons pourvoir afin de survivre est limitée, mais le champ de nos désirs est sans limites. Si nous n’y prenons pas garde, ce que nous appelons nos « besoins » grandira toujours à la même cadence que nos revenus, de sorte qu’il ne nous restera rien pour satisfaire nos désirs et que nous nous verrons « incapables de joindre les deux bouts ».

Le moyen tout indiqué pour être sûr d’avoir ce que nous voulons est de tenir un budget. Celui-ci nous aidera à rester maîtres de nos dépenses et à employer notre argent de la façon la plus profitable. Un bon budget servira non seulement à équilibrer les revenus et les dépenses, mais permettra même de mettre du beurre dans les épinards.

Le but d’un budget n’est pas d’économiser pour le plaisir d’économiser. Le budget se révélera sans doute d’un grand secours pour faire face au coût de plus en plus élevé de la vie sans s’exposer aux dangers de l’à-peu-près. Mais sa principale utilité sera de nous amener à conserver notre pouvoir d’achat pour réaliser des projets importants.

Même si vous avez horreur des détails, ne vous laissez pas décourager, car les meilleurs budgets sont encore les budgets les plus simples. Voici comment procéder : (1) établissez du mieux que vous le pouvez quels seront vos revenus pendant la durée de votre budget, qui devra être d’au moins un an ; (2) calculez quelles sont vos dépenses courantes nécessaires en vous servant de factures acquittées, de comptes et autres notes pour vous rafraîchir la mémoire ; (3) faites une liste de vos besoins et de vos désirs, afin de connaître le but que vous visez ; (4) interrogez tous les membres de votre famille sur leurs besoins et leurs désirs ; (5) répartissez l’argent que vous aurez entre les diverses catégories de besoins et de désirs selon l’importance que vous y attachez ; (6) vérifiez périodiquement votre programme afin de vous assurer que votre argent est employé comme vous le voulez et que vos dépenses restent assez conformes à votre plan de vie.

Que votre budget soit simple. Il est inutile de recourir à la comptabilité en partie double ou à quelque autre méthode de ce genre. La Banque Royale met gratuitement à votre disposition un budget familial simplifié renfermant une page lignée pour chaque mois, un endroit où résumer les résultats obtenus chaque année, des indications détaillées pour toutes les opérations requises et un modèle des inscriptions mensuelles. Il suffit de le demander dans les succursales ou d’écrire au siège social de la Banque.

Faut-il faire des économies ?

Épargner de l’argent, c’est s’abstenir de dépenser aujourd’hui pour se procurer plus tard une chose à laquelle on tient davantage. Nos épargnes sont en quelque sorte des dépenses différées.

L’avare économise uniquement pour amasser de l’argent, mais il est reconnu que les avares sont des gens malheureux. Au contraire, le fait d’économiser en vue d’un achat déterminé dans un avenir plus ou moins rapproché favorise le bonheur. Il nous confère d’abord un sentiment de sécurité à mesure que nos épargnes s’accumulent, puis il nous apporte le plaisir d’acquérir et de posséder l’objet que nous voulions acheter.

Mais les achats ne sont pas l’unique but de l’épargne. Certains s’en servent pour constituer une réserve qui viendra arrondir leur pension de retraite. Ainsi, le jeune homme qui commence, entre 20 et 25 ans, à mettre de côté $250 chaque année, peut s’assurer un supplément de pension de retraite d’environ $1,000 par année.

Il n’y a rien de mystérieux dans l’intérêt composé, même si nous nous laissons souvent effrayer par la difficulté de le calculer. Mais c’est un facteur important en matière d’épargne. Grâce à lui, les $10 que vous déposez à votre compte d’épargne ce mois-ci seront devenus, au taux d’intérêt actuel des banques, $11.46 à la Noël de 1962. Et, bien entendu, cette somme reste dans l’intervalle à votre entière disposition, avec un intérêt proportionnel, pour faire face aux besoins imprévus.

Les banques canadiennes ont adopté une méthode qui rend l’épargne beaucoup plus facile qu’auparavant. Elles offrent maintenant deux sortes de comptes à leurs clients : un compte d’épargne et un compte de chèques personnels.

Chacun sait quelle tentation l’on éprouve quand on essaie de mettre de l’argent de côté dans le compte qui sert en même temps à payer les dépenses courantes du budget. C’est un peu comme avoir de la menue monnaie dans une poche percée. Voilà pourquoi les banques ont récemment institué un compte spécialement destiné à l’épargne, qui rapporte à l’heure actuelle un intérêt composé de 2¾ p. 100. Le client peut en outre ouvrir un compte de chèques pour faire ses paiements : la banque lui donne un carnet de dix ou vingt chèques, il paie ses comptes par chèques, et tous les trois mois la banque lui envoie un relevé accompagné de ses chèques présentés au paiement, qui constituent un reçu des comptes acquittés.

La tenue des comptes

En plus des comptes que la banque tient pour vous, il vous faudra inscrire vos recettes et vos dépenses dans votre budget si vous voulez manier le gouvernail de vos finances d’une main ferme. Rien ne sert de se tracer une route, si détaillée soit-elle, si l’on ne s’assure pas jour par jour qu’on la suit fidèlement.

C’est par la comparaison des résultats avec les plans et les prévisions que s’exerce véritablement le contrôle budgétaire.

Les meilleurs administrateurs eux-mêmes connaissent des moments de défaillance. Pris au dépourvu, cédant à un mouvement d’humeur ou supputant prématurément un boni, ils engagent une dépense qui n’était pas prévue au budget. L’obligation de l’inscrire dans le livre de comptabilité sera peut-être pénible, mais elle aura l’utilité d’indiquer la correction à faire pour reprendre la bonne route.

Mais il ne faut pas abandonner la partie pour un pareil incident. Le fait de retrouver notre aplomb nous montrera qu’il est possible de nous servir de notre budget pour racheter une erreur sans ressentir toute l’irritation à laquelle nous serions peut-être en proie si nous n’avions aucun plan pour résoudre un tel problème. Chaque redressement de ce genre nous donnera un regain d’assurance.

Une affaire de famille

On a dit maintes et maintes fois – mais on ne saurait trop insister sur ce point – que le budget domestique est une affaire de famille. Seules l’élaboration et l’exécution de plans concertés pourront vous permettre de réaliser vos rêves et vos espoirs, et d’assurer une vie heureuse à votre famille.

Ce principe s’applique non seulement quand on manque d’argent, mais aussi en temps d’abondance relative. Avoir beaucoup d’argent et le mal administrer est parfois plus préjudiciable au bonheur familial que d’en avoir peu et l’administrer en collaboration et avec sagesse.

Quels sont les avantages d’un budget familial établi en collaboration ? Il suscite un effort commun en vue d’éviter les dettes, la négligence des choses essentielles et les soucis, tout en contribuant à assurer la juste satisfaction des aspirations légitimes de la famille et en aidant à parer aux obligations et éventualités de l’avenir.

En comparaison de la gestion conjointe des finances familiales, l’administration dictatoriale ou autocratique de ces mêmes finances par l’époux ou l’épouse est assez difficilement défendable.

Examinons quelques problèmes où l’étude en commun du budget familial se révélera particulièrement utile. Prenons tout d’abord le cas de l’épouse qui veut mener un train de vie hors de proportion avec les moyens de son mari. Cela peut avoir des conséquences désastreuses pour le bonheur de la famille. Supposons, par exemple, qu’un officier supérieur de l’Armée occupait le plus haut poste dans son camp et que sa femme était naturellement la première dame de la collectivité. À la fin de la guerre, il retourne à la vie civile avec des revenus moins élevés et des indemnités moins libérales. Sa femme est désappointée, elle tentera peut-être de l’amener à redoubler d’efforts, ce qui aura pour résultat, sinon de ruiner sa santé, du moins d’engendrer d’interminables et malheureuses querelles.

Les femmes ne doivent jamais oublier que si l’amour qu’elles inspirent peut pousser un homme à essayer de devenir président de son entreprise, il ne s’ensuit pas nécessairement que cet homme possède les aptitudes naturelles pour atteindre à ce haut poste.

Il y a aussi des hommes qui ont des ambitions démesurées. Ils privent aujourd’hui leur famille de confort, d’instruction et de culture afin de mieux pouvoir un jour la mettre au pinacle.

Enfin, il se trouve dans certaines familles des enfants trop exigeants qui, sans bien s’en rendre compte peut-être, empêchent leurs parents de jouir des récompenses matérielles auxquelles ils auraient droit à la fin d’une longue vie de labeur.

C’est à des injustices familiales de ce genre que le budget concerté permettra précisément de remédier. Lorsque tout le monde vient s’asseoir autour de la table de la salle à manger pour s’attaquer au problème de l’emploi des revenus au plus grand avantage de tous, on a tout lieu de s’attendre aux meilleurs résultats.

Le niveau de vie familial

La première chose à déterminer dans l’établissement d’un budget familial c’est le niveau de vie qu’il importe de maintenir. Une fois cette question réglée, il est relativement facile de veiller à l’administration des finances, d’autant plus que l’on peut compter sur le précieux concours de tous les membres de la famille.

Il faudra ensuite tenir des conférences périodiques et même prévoir des réunions d’urgence. Si l’on étudie les problèmes immédiatement, au lieu de les laisser s’accumuler et atteindre un point critique, il sera beaucoup plus facile de les résoudre. Même s’il devait y avoir une dispute sur une question quelconque, il vaut mieux avoir une bonne prise de bec que vivre des mois dans la rancune, l’inquiétude ou la dissimulation.

La plupart des familles constateront, après une franche discussion, que certaines choses qu’elles désirent ont plus de valeur pour elles que le fait de vouloir à tout prix imiter les voisins. Il conviendra de réserver certaines dépenses à ce qui peut favoriser ou parfaire l’éducation personnelle de chaque membre de la famille. Peut-être le père pourrait-il améliorer sa situation en suivant un cours par correspondance ou des cours complémentaires dans une université ; peut-être la mère a-t-elle des dispositions pour la littérature et devrait-elle avoir une machine à écrire ; peut-être la fille est-elle douée pour le dessin et la peinture et faudra-t-il lui acheter des accessoires et lui faire donner des leçons ; peut-être le fils a-t-il des aptitudes pour la mécanique et a-t-il besoin d’outils pour exprimer sa personnalité.

Le budget ainsi entendu ne sera pas une camisole de force, mais un programme d’entraide et de perfectionnement mutuel, un juste milieu entre la jouissance de tous les plaisirs qui s’offrent et l’affectation des revenus disponibles à la réalisation d’ambitions égoïstes ou de projets personnels.

En avoir pour son argent

Il faut autant d’ingéniosité pour bien dépenser son argent que pour le gagner. Le principal but de l’acheteur avisé est d’en avoir entièrement pour son argent.

Il n’y a pas de règles absolues qui permettent de juger de la valeur d’un achat, car les achats doivent être réglés de façon à s’adapter aux besoins de chacun. Selon un principe fondamental, la valeur d’une chose se mesure à l’avantage qu’on en retire et non pas à ce qu’elle nous coûte.

Ordinairement, lorsqu’on parle du prix d’une chose, on entend la somme qui est donnée en échange. Ce prix n’en représente pas nécessairement la valeur. Ainsi, il n’est pas nécessaire d’acheter l’article le plus cher quand un article meilleur marché peut tout aussi bien faire l’affaire. Personne n’a besoin de toujours acheter de la marchandise de première qualité.

Ce n’est pas à dire que celui qui fait son budget doive acheter de la camelote. Mais il doit choisir la qualité dont il a besoin et trouver la marchandise qui promet de satisfaire le mieux à ses exigences sans dépasser ses moyens.

Sachons profiter dans ce domaine des nombreuses sources de renseignements mises à notre disposition : publications de l’État, articles de journaux et de revues, brochures destinées aux consommateurs, etc.

Quoi que nous achetions, veillons à ne pas acheter avec excès. La satisfaction continuelle d’un désir engendre la satiété, état ennuyeux entre tous. Une règle de la science économique veut que chaque nouvelle addition à une chose que nous possédons déjà apporte moins de contentement que l’addition précédente. C’est la loi de l’utilité décroissante.

Celui qui fait son budget doit savoir user de modération, même dans les bonnes choses. Quatre morceaux de gâteau ne procureront pas quatre fois plus de plaisir à un enfant qu’un seul morceau. Un mois de vacances ne sera pas deux fois plus agréable que quinze jours. En fait, les deux dernières semaines seront peut-être vraiment fatigantes. Nos cellules nerveuses perdent leur énergie à force de réagir avec vivacité aux mêmes stimulants. « J’ai déjà trop joui, dit le prince Rasselas dans le roman oriental de Samuel Johnson, donnez-moi quelque chose à désirer. »

Récapitulation

On peut sans doute affirmer qu’à toutes fins pratiques le niveau de vie familial dépendra de la somme d’argent dont on dispose, de la valeur de cet argent et du discernement avec lequel on le dépensera.

Si toute la famille prend part aux décisions qui s’imposent, on évitera bien des soucis et des chagrins, car il n’y aura ni dépenses égoïstes et déraisonnables ni restrictions mesquines. Lorsque tous les membres de la famille connaissent les limites des ressources communes, il y a peu de chances que des dépenses malavisées viennent compromettre la situation financière de la communauté.

L’un des principaux enseignements que l’on tirera de la tenue du budget est qu’un peu d’argent et beaucoup d’ingéniosité valent infiniment mieux que beaucoup d’argent sans ingéniosité. Il y a un certain triomphe à résoudre un problème, à maîtriser une situation, à se rapprocher graduellement de son but.

Comme le disait philosophiquement un Veddas des rochers à un explorateur : « Il est agréable de sentir battre la pluie contre nos épaules et il fait bon aller arracher des ignames, puis revenir à la caverne tout trempés, voir brûler le feu et nous asseoir autour. »

À l’instar des troglodytes, ceux qui font aujourd’hui leur budget éprouvent peut-être une certaine pitié pour les nouveaux mariés comblés de riches présents qui n’ont qu’à adresser des cartes de remerciements au lieu d’économiser et d’acheter leur ameublement pièce à pièce.