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Nous contentons-nous tout simplement de ne pas être malades, ou est-ce que nous désirons être vraiment bien portants ? Au lieu de dire « pas trop mal » lorsqu’on nous demande « comment allez-vous ? », sommes-nous enclins à répondre par un chaleureux « très, très bien ! » ?

Nous connaissons bien les funestes effets que peut avoir la maladie, les suites parfois tragiques de la négligence en matière de soins corporels, la tristesse d’avoir une santé chancelante. Essayons maintenant de nous habituer à l’idée et au fait d’être positivement bien portants.

Hélas ! les hommes d’affaires comptent parmi les plus mauvais observateurs des règles de l’hygiène. Ils sont peut-être de bons administrateurs, des directeurs bien renseignés, d’excellents organisateurs et de grands abatteurs de besogne, mais ils ont tendance à se montrer négligents et irréfléchis sur le chapitre de leur santé personnelle, et oublieux de leur devoir d’enseigner à leur famille le goût de l’effort physique.

Nous ne croyons plus certes que la maladie est l’effet de la colère des dieux, ni qu’elle se propage à la faveur de la nuit, ni qu’on peut la guérir par les saignées. Mais que faisons-nous en réalité pour tirer parti de nos hautes connaissances sur l’art de rester en bonne santé à notre époque de tension et de contrainte.

Il est vrai que les impôts que nous payons assurent le fonctionnement des services d’hygiène publique, qui s’emploient à sauvegarder notre santé, mais ces services ne peuvent pas tout faire à notre place. La quarantaine, l’isolement et l’immunisation contribuent à notre bien-être physique en nous protégeant contre certaines maladies, mais il est indéniable que nos esprits évolués ambitionnent quelque chose de mieux encore.

Dès que nous voulons atteindre un niveau de santé physique plus élevé que la simple exemption des maladies contagieuses, nous entrons dans le domaine de l’effort personnel. La responsabilité d’entretenir positivement sa santé est un devoir qui incombe à chacun en particulier.

La pratique de l’hygiène est très simple ; c’est peut-être pour cela qu’on la néglige et qu’on la dédaigne si souvent. La propreté, une nourriture saine, la modération dans l’usage de l’alcool et des médicaments, l’exercice adapté aux besoins et aux forces de chacun, la disposition de l’esprit à envisager les choses avec confiance, optimisme et sérénité, voilà les règles fondamentales de la santé.

Un rapport bouleversant

L’art de mener une vie salubre n’est pas mis en pratique en Amérique du Nord à l’heure actuelle, et on ne l’enseigne pas non plus d’une façon efficace aux citoyens de demain.

Cette affirmation s’appuie sur l’autorité d’un rapport dont les révélations atterrantes poussèrent le président Eisenhower à constituer un comité spécial, il y a deux ans. Il s’agit du rapport du Dr Hans Kraus, de l’Institut de rééducation de l’Université de New-York, et de Mlle Ruth Prudden, de l’Institut de santé physique de White Plains (New-York). Ce document signalait que les États-Unis d’Amérique étaient en passe de devenir la nation la plus douillette du monde.

Voici les faits mêmes que révélait le Dr Kraus :

58 p. 100 des enfants des États-Unis, qui furent soumis à des tests, échouèrent dans une ou plusieurs des six épreuves de force et de souplesse musculaires, tandis que 9 p. 100 seulement des enfants européens ratèrent les mêmes tests.
44 p. 100 des enfants américains échouèrent dans l’unique test de souplesse (des muscles dorsaux) compris dans les six épreuves, contre 8 p. 100 seulement dans le cas des enfants européens.
36 p. 100 des enfants des États-Unis échouèrent dans un ou plusieurs des cinq tests de force, en comparaison de 1 p. 100 seulement en Europe. Trois de ces tests portaient sur la mesure de la puissance des muscles abdominaux et deux sur la puissance des muscles dorsaux.

À côté de ces faiblesses, on trouve aussi des bons points dans notre bilan de santé. Mais, même en faisant la juste part des choses, disait le Dr F. G. Robertson, à la première conférence du Commonwealth et de l’Empire sur l’éducation physique, nous devons reconnaître que les conclusions de cette étude s’appliquent avec presque autant d’exactitude au Canada.

N’est-il pas renversant, ajoute le Dr Robertson, de voir « que, malgré ce que nous nous plaisons à considérer, avec orgueil, comme le niveau de vie le plus élevé du monde, malgré toute la prospérité matérielle qui nous entoure de toute part, les enfants des familles qui habitent le florissant continent nord-américain font aussi piètre figure, dans un simple test de force musculaire, de vigueur et de résistance minimums, auprès des enfants appartenant aux familles d’Italie et d’Autriche, c’est-à-dire de pays qui ont connu tant d’épreuves et de privations au cours des quelques dernières décades ? »

Une brochure publiée par l’Association canadienne d’hygiène, d’éducation physique et de récréation confirme que le rapport vaut aussi pour le Canada en disant : « il n’y a pas lieu de croire que les enfants canadiens feraient mieux. »

Le Dr Doris W. Plewes, consultante en aptitude physique et en récréation près le cabinet du sous-ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, écrit pour sa part : « le manque très évident de vigueur et de résistance que manifestent les Canadiens dans les concours sportifs a été une surprise pour plusieurs. »

À qui la faute ?

Pour quelle raison les enfants nord-américains sont-ils incapables de rivaliser avec les enfants européens sous le rapport de la santé physique ? Selon l’opinion générale, cet état de choses serait attribuable au mode de vie propre à notre continent. Nos enfants vont partout en voiture : à l’école, au terrain de jeux, au magasin. Même pendant les fins de semaine et les vacances, dit le Dr Mary O’Neil Hawkins dans Child Study, ils passent souvent de longues heures recroquevillés dans les automobiles. Leurs divertissements prennent un caractère de plus en plus passif et visuel. Le cinéma et la télévision y occupent une large place.

Il est toujours désagréable de jeter la pierre à quelqu’un en particulier, mais ceux qui ont étudié la question de très près n’hésitent pas à dire que la faute en est d’abord aux parents et ensuite à l’école. D’après Robert H. Boyle, 54 p. 100 des enfants de six ans ratent les tests et, à l’autre extrémité de l’échelle scolaire, 52 p. 100 des diplômés des écoles secondaires y échouent également. Dans les écoles privées, qui consacrent beaucoup plus de temps à l’éducation physique, la proportion des échecs n’est que de 14 p. 100 en dernière année.

Quant aux parents, ils ont bien soin de faire inoculer leurs enfants et de leur faire administrer les vaccins anti-poliomyélite et autres dès que ceux-ci sont mis au point. Ils considèrent comme normales la chloruration de l’eau de ville et les autres mesures du même genre. Mais ils perdent de vue le besoin de développement musculaire de leur progéniture, qui, dans la vie plus rude d’autrefois, résultait de l’activité naturelle de l’enfant. « Le petit parc et le hochet de plastique, ajoute Boyle, tiennent le bébé hygiéniquement tranquille. »

Que faut-il faire ?

Personne ne nous demande de faire marche arrière et de revenir, pour prendre de l’exercice, aux corvées qui ne sont plus nécessaires, comme celles de puiser de l’eau, de rendre des bûches et remplir la boîte à bois, d’étendre le linge, d’aller chercher les vaches, de faire les commissions (le téléphone nous en dispense) et une foule d’autres petits travaux, que l’on confiait tout naturellement aux enfants. Mais il est essentiel, si nous voulons préserver notre jeunesse d’une foule de souffrances et de désagréments dans la vie, de reconnaître que tous nos appareils automatiques nous imposent le devoir de trouver d’autres moyens pour remplacer ces exercices physiques, qui fortifiaient jadis notre corps.

Selon les spécialistes en santé physique, il faut réformer les programmes d’éducation physique de nos écoles. Nous avons, d’un côté, une pléthore de sportifs-spectateurs et, de l’autre, les quelques enfants qui font partie des équipes. Seuls les petits joueurs, les remplaçants et les « chefs de claque » prennent de l’exercice musculaire ; les autres sont des admirateurs, qui n’exercent tout au plus que leurs poumons.

Un programme d’éducation physique bien conçu doit comprendre un grand nombre d’activités diverses et de jeux d’adresse.

Il ne suffit pas d’avoir des terrains de jeux et du matériel pour parer à la menace contre laquelle on nous a mis en garde. On devrait exiger la participation active de chaque enfant aux exercices de culture physique, avec la même rigueur que pour l’enseignement scolaire proprement dit. Les privilégiés qui composent l’équipe se chargeront eux-mêmes de leur développement musculaire ; ce qui importe avant tout, c’est de s’occuper des cent ou mille écoliers de chaque école qui ne font pas partie des équipes sportives.

Quel avantage y trouve-t-on ? Dans une école de la banlieue de New-York la proportion des échecs chez les élèves était de 32 p. 100. Les professeurs d’éducation physique ajoutèrent des exercices spéciaux au programme d’acrobatie et de gymnastique. En cinq mois, le taux des échecs tomba à 24 p. 100, et, au bout de onze mois, il n’était plus que de 13 p. 100.

Les causes de maladies

Pour la première fois dans l’histoire du Canada, nous disposons d’un relevé statistique des causes de maladies par groupes d’âges. On le trouve dans un rapport publié en octobre par le Bureau fédéral de la statistique et dont voici quelques brefs extraits.

Chez les enfants de moins de 15 ans, on a noté une incidence élevée des maladies de l’appareil respiratoire, après lesquelles les maladies infectieuses et parasitaires ont été les plus fréquentes. Les maladies de l’appareil respiratoire ont dominé dans tous les groupes d’âges.

Les adolescents (15 à 24 ans) ont principalement souffert des maladies de l’appareil digestif, un sur dix ayant subi au moins une attaque.

Chez les jeunes adultes (25 à 44 ans), la situation a été la même, sauf que la proportion est plus forte. Les maladies des os et des organes du mouvement, dont le taux était plutôt faible chez les personnes de moins de 25 ans, ont commencé à devenir proéminentes en enregistrant une augmentation de 9 à 22 cas pour 1000 habitants.

Parmi les personnes d’âge moyen (45 à 64 ans), on a constaté une proéminence sans cesse croissante des maladies des os et des organes du mouvement, soit une proportion d’environ 42 pour 1000 habitants. Si l’on avait compté également les récidives, le taux serait monté à 80 personnes et à 105 cas pour 1,000. Les maladies de l’appareil circulatoire ont aussi accusé une progression marquée dans ce groupe d’âges.

Les personnes de 65 ans et au delà ont été le plus souvent affligées par les maladies de l’appareil circulatoire ainsi que par les maladies des os et des organes du mouvement. On a dénombré 146 premières atteintes et récidives pour 1,000 habitants dans le premier cas et 147 dans le second.

Il est évident que tout ce que l’on peut faire dans l’enfance, l’adolescence et le début de l’âge adulte pour acquérir une ossature, des articulations et une musculature de toute première qualité sera d’une très grande utilisé dans l’âge mûr et la vieillesse.

Ce n’est pas à dire cependant qu’il faille rechercher la santé physique durant la jeunesse uniquement parce que nous nous en trouverons bien aux autres époques de la vie. La santé a toujours une valeur immédiate.

Les accidents font plus de victimes chez les enfants d’âge scolaire que toutes les maladies prises ensemble, et, dit le Dr Plewes, la plupart de ces malheureux enfants entrent dans l’une ou plusieurs des catégories suivantes : bas niveau d’énergie, lenteur des réactions, maladresse due à l’empâtement musculaire, lourdeur imputable au manque d’adresse dans l’exécution des mouvements de base. « Ce sont, pour ainsi dire, des illettrés physiques. »

Cessons de rester assis

Nous ferions bien de quitter nos fauteuils. « Nous autres Canadiens, disait le Dr Robertson à la Conférence sur l’éducation physique, sommes un peuple de voyageurs en véhicules et de spectateurs, et non pas de marcheurs ni de fervents de l’exercice physique.

Nous passons la journée assis à nos pupitres, à l’école ou au bureau ; nous nous rendons en classe ou au travail et nous en revenons, assis dans l’autobus, le train ou notre automobile ; nous regardons les programmes de télévision, les parties de hockey, de baseball et de rugby, assis devant nos récepteurs ou dans les estrades ; nous prenons notre voiture ou le tramway pour aller au cinéma, où nous nous installons de nouveau dans un fauteuil pour assister au spectacle.

Même au foyer, où aucune maîtresse de maison n’avouera que le travail est devenu trop facile, on reste souvent assis pendant que les machines à laver, les sécheuses, les repasseuses et autres appareils automatiques accomplissent les besognes qui exerçaient autrefois les muscles des jambes, du dos et des bras. Il faut compenser l’effort dont nous dispensent ces inventions par quelque autre genre d’activité tonifiante.

Les Canadiens se sont laissé distancer par les autres pays dans l’appréciation de l’importance et de la valeur de la santé physique. Le Canada est le seul pays de quelque renom qui ne possède pas de filiale active de la Fédération internationale de la médecine des sports. Les autres pays affectent des sommes et un personnel considérables au développement et au maintien de la santé musculaire, et font beaucoup de recherches dans ce domaine.

« La création d’une filiale canadienne de cette Fédération, nous dit encore le Dr Plewes, ferait beaucoup pour amener les spécialistes des sciences connexes à se pencher sur les problèmes urgents de la santé physique. »

Peut-être y aurait-il intérêt à inscrire, parmi les mots d’ordre de la 14e semaine de la santé nationale du Canada, le besoin d’une action précise et sérieuse de la part des particuliers, des familles, des écoles et du public en vue d’encourager les Canadiens à accroître leur aptitude physique en développant la vigueur de leurs muscles.

L’aptitude physique individuelle

Tout le monde peut améliorer sa santé physique à condition de bien comprendre l’avantage que cela comporte et d’attacher plus d’importance à la nécessité de jouir d’une excellente santé qu’à celle d’éviter les maladies.

La santé physique prise dans ce sens peut se résumer ainsi : la capacité de jouer son rôle en tant que membre actif de la société, sans fatigue et avec une réserve d’énergie suffisante pour faire face aux efforts imprévus.

Sur le plan du travail quotidien, un pareil état de bien-être ne pourra avoir que d’heureux effets sur nos chances d’embauchage, sur nos possibilités d’avancement et sur nos revenus, durant toute notre vie active. D’une façon plus générale, nous y trouverons également la stabilité émotive, la tranquillité d’esprit et l’épanouissement social.

Une certaines proportion de ce qui nous est nécessaire du point de vue physique a été prévue pour nous dès avant notre naissance. C’est ce que nous possédons par hérédité : le corps qui nous est propre, notre ossature, la longueur et la carrure de notre tronc, le nombre et la nature des fibres qui forment notre musculature, ainsi que les tendances et les possibilités de chacun de nos organes. Ce qui importe cependant, ce n’est pas de savoir si nous avons hérité d’une excellente ou d’une mauvaise constitution, mais plutôt le parti que nous en tirons. Une voiture de modèle ancien peut, si elle est bien entretenue, donner un rendement plus durable et plus constant qu’une voiture moderne et plus chère, utilisée avec négligence.

Le problème qui se pose aujourd’hui à chacun des adultes consiste à adapter leurs corps aux conditions changeantes de la vie moderne de façon à se maintenir en assez bonne forme pour tenir le coup dans les moments de « débit maximum ». Le meilleur moyen de le résoudre est de donner à notre corps des soins assidus et intelligents : sommeil et repos en quantité suffisante, régime équilibré et approprié, dose quotidienne de vigoureuse activité physique.

Des équipes de savants ont signalé que l’insuffisance d’activité physique pouvait constituer une menace pour la santé et même pour la vie. Deux spécialistes anglais en recherches médicales ont découvert que la thrombose coronaire était deux fois plus fréquente chez les personnes de faible activité physique que chez celles d’une grande activité corporelle, et qu’en cas d’attaque la mortalité est beaucoup plus élevée chez les gens qui prennent peu d’exercice. Leurs conclusions s’appuient sur une étude comparée des chauffeurs et des receveurs d’autobus en Angleterre. Les chauffeurs, assis au volant toute la journée, se sont révélés beaucoup plus sujets à la thrombose coronaire que leurs collègues plus actifs, les receveurs, qui passent leur journée de travail à monter et à descendre les escaliers des autobus à impériale.

La valeur de l’exercice repose sur un principe fondamental : la loi de l’utilisation. Hippocrate, le père de la médecine, qui fut le premier à rejeter l’idée que la maladie était un châtiment des dieux, affirmait ceci au quatrième siècle avant Jésus-Christ : « Ce que l’on utilise se développe et ce que l’on n’utilise pas dépérit ».

L’exercice a aussi d’autres avantages. Il tend à diminuer la tension et la fatigue, et à apaiser les émotions violentes. Il aide à prévenir l’embonpoint et à faire disparaître un grand nombre des courbatures causées par le manque de force et de souplesse musculaires.

Dans l’âge mûr

À mesure que les années passent, la santé physique exige que nous nous adaptions à de nouvelles contraintes ainsi qu’au vieillissement des artères. La « survivance des plus aptes » n’est rien de plus que la survivance de ceux qui sont le mieux en état de s’accommoder aux circonstances qui leurs sont particulières.

Nous ne sommes maîtres de notre sort que lorsque nous sommes en mesure de faire face aux nouvelles conditions qui nous entourent, que lorsque nous avons appris à baisser pavillon devant une situation sans grande conséquence et à épargner nos forces et notre énergie pour les choses importantes de la vie.

L’homme bien portant trouve facilement le moyen de se tirer de difficultés qui lui mettraient les nerfs à vif s’il était malade ou de santé médiocre. Il conçoit pour son entreprise des idées qu’il n’aurait peut-être pas s’il était mal portant. Et il a le courage de les mettre à exécution.

C’est une preuve de maturité que de savoir faire la part de l’exercice et du repos, de savoir quand tenir bon et quand lâcher prise. Francis Bacon, haut chancelier d’Angleterre, écrivait il y a environ 360 ans que l’homme qui veut jouir d’une bonne santé doit être prêt à dire : « Cela ne me convient pas très bien, donc je vais cesser de le faire. » Si nous contrarions sans cesse les lois de la nature, nous courons tout droit au désastre, car la nature a pour elle le temps, la force et l’immuabilité.

Ne nous contentons donc pas, dans notre maturité, de totaliser les maladies que nous n’avons pas pour dire que nous sommes en bonne santé. Une merveilleuse perspective s’ouvre devant nous : celle de la santé physique positive. Tout ce qui nous manque, c’est la force de volonté nécessaire pour en assurer la réalisation dans notre vie personnelle.