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La vie à la campagne, cela évoque en nous le coin champêtre où nous avons passé nos vacances, sinon les charmes de la ferme où nous avons grandi.

La vie campagnarde n’est pas toujours rose, car le cultivateur a lui aussi ses heures sombres et ses moments pénibles, comme nous l’apprennent les journaux ou la radio, mais regardons plutôt le bon côté de la médaille.

Les agriculteurs ne songent pas uniquement aux valeurs matérielles de leur existence. Quand on leur parle, ils se disent fiers de leur indépendance, de leur stabilité, de leur famille unie par des liens plus intimes, de la variété de leurs travaux et de l’air salubre qu’ils respirent. Ils jouissent de la beauté de la nature, bonheur que n’ont pas souvent les citadins.

L’amour du sol et l’ambition d’en améliorer la production sont deux qualités propres à des âmes bien trempées. Les campagnards sont des poètes qui s’ignorent, mais ils goûtent chaque année le plaisir de semer en bonne terre. Ce sont aussi des philosophes à qui le temps des moissons enseigne la brièveté des choses.

De tous les milieux où vivent les hommes, il n’en est pas de plus agréable qu’une collectivité rurale. Celle-ci ne consiste pas en une agglomération de belles demeures, mais en des maisons et des fermes bien espacées et construites pour le confort. À la campagne, tout le monde se connaît et s’entraide. Quelle consolation que celle de pouvoir compter sur de bons voisins en temps de crise ou de malheur !

L’ambiance

Nul ne peut être heureux s’il se tracasse pour des détails futiles.

Le cultivateur se fie sur la nature, non sur les aiguilles de l’horloge. Les saisons, les phases de la lune et les changements de direction du vent guident ses travaux. Les signes du ciel lui disent quand semer, quand moissonner, quand rentrer ses légumes et quand saler sa viande.

Ses serviteurs ce sont le soleil qui réchauffe les sillons, la pluie qui les arrose, la terre elle-même, grande nourricière.

Mais la bonne culture des champs, plus que toute autre entreprise, dépend des qualités personnelles de ceux qui en prennent la charge. Par contre, l’individualité de l’industriel s’estompe parfois dans l’uniformité de son entourage.

Le bon cultivateur suit le progrès. Il sait faire face aux situations nouvelles, sans songer avec nostalgie au passé. Les nouveaux Canadiens, originaires d’Europe, ont peut-être grandi dans des chaumières où le parquet était en dalles de pierre, mais aujourd’hui ils ont le chauffage central, l’électricité et des tapis dans toutes les pièces.

Le monde change

Notre époque est témoin de grands changements. Il n’est pas donné à tous de saisir les conséquences des découvertes de l’âge atomique et la portée des conférences internationales, mais tout nous incite à rechercher les moyens de nous adapter aux circonstances nouvelles afin de sauvegarder la famille et la société.

La véritable stabilité ne consiste pas à attendre que tout s’arrange. Elle ne s’obtient qu’en se conformant aux changements de la vie courante. Puisque tout varie autour de nous, nous ne devons pas croupir dans la stagnation. « Cherchons à nous accommoder à cette vie, disait Montesquieu ; ce n’est point à cette vie à s’accommoder à nous. »

Le cultivateur doit savoir utiliser et entretenir en bon état ses instruments aratoires mécanisés, engager et diriger des travailleurs expérimentés et bien gérer son fond de terre et son capital. Il doit surveiller ses dépenses, vendre ses produits avec profit et bien équilibrer les divers éléments de son entreprise.

Les problèmes complexes auxquels le cultivateur doit faire face sont exposés en détail dans les quatorze rapports d’un très grand intérêt, publiés depuis 1955 par une commission d’étude et de recherches de la Saskatchewan sur l’agriculture et la vie rurale.

Inutile d’insister sur l’importance croissante de l’agriculture. Étant donné que la population mondiale augmente au rythme de 45 millions d’habitants par année, songeons à toutes ces nouvelles bouches qu’il faut nourrir. Le philosophe américain Emerson a décrit le rôle du cultivateur dans le monde par cette image : « Dans la grande maisonnée de la nature, le cultivateur se tient devant la huche où il pèse à chacun son pain ».

Tenter de prédire l’avenir est présomptueux, car personne ne saurait entrevoir les changements qui surviendront à la suite des inventions qu’on pourra mettre en pratique. Qui peut imaginer ce que sera le cultivateur canadien de 1967, année du centenaire de la Confédération, encore moins ce qu’il fera en l’an 2067 ? Que lui faudra-t-il savoir ? Quelle compétence devra-t-il posséder ?

Selon un rapport rédigé par la Commission royale d’enquête sur les perspectives économiques du Canada, les besoins en nourriture auront doublé en 1980, les bénéfices agricoles seront plus considérables, des villes industrielles auront remplacé les vergers et les vignobles de la péninsule du Niagara, tandis que les cultivateurs des Prairies réduiront probablement leurs emblavures pour s’occuper davantage de l’élevage du bétail.

Le sort futur de la famille rurale ne peut se représenter uniquement par des courbes statistiques ; il dépendra de circonstances nouvelles et, comme le disait récemment M. Hannan, président de la Fédération canadienne de l’agriculture, de la mesure où nous aurons « sur nos fermes des citoyens qui se suffisent à eux-mêmes, au même degré que les industriels et les hommes des autres professions, et doués de la clairvoyance, de l’habileté et de l’aplomb que donnent l’expérience et l’assurance qu’inspire le fait de modeler sa destinée ».

Vie rurale et vie urbaine

Certains fils de cultivateurs songent à quitter la ferme afin de s’affranchir de ses corvées, de ses restrictions et de la puissance paternelle. Ils s’imaginent que la vie des villes leur plaira davantage.

C’est agir comme le chien de la fable qui lâche sa proie pour l’ombre. Les quelques désavantages que comporte la vie rurale peuvent être surmontés par un esprit alerte, une imagination fertile et des mains habiles. Celui qui déserte la campagne retrouvera d’ailleurs à la ville des inconvénients bien plus grands. Dans ses Confessions, Jean-Jacques Rousseau exprime ainsi son chagrin d’avoir quitté sa retraite : « Le souvenir des jours heureux que j’ai passés à la campagne m’a fait regretter son séjour et ses plaisirs dans tous les âges… »

Considérons bien le pour et le contre, mais il serait exagéré de prendre ce que la ville a de mieux et d’exiger la même chose à la campagne.

Le cultivateur qui se plaint de son sort doit savoir que dans les villes tout le monde ne vit pas sur un lit de roses. La maladie, les accidents et les infirmités frappent aussi bien les citadins que les campagnards. À la ville, le travail éloigne le père de sa famille pendant de longues heures. Les enfants ne peuvent plus contribuer au budget familial ni aider aux efforts paternels. De plus, ils prennent rarement une part active aux jeux à cause de la commercialisation des amusements et des sports où ils ne sont que spectateurs.

Ainsi donc, le cultivateur, si son existence est plus dure, jouit par contre de nombreux avantages. « Trop heureux les hommes des champs, disait Virgile, s’ils connaissaient leur bonheur ! »

Gardons-nous surtout de sous-estimer tous ces plaisirs innocents qu’on ne trouve qu’à la campagne : celui de boire l’eau à la source, d’entendre le chant du coq et les poules caqueter dans la basse-cour, de voir les pots de confitures alignés sur les tablettes de la dépense, de savoir que, pour l’hiver, il y aura des légumes et des pommes dans la cave, du porc dans le saloir, du bois de chauffage dans la remise.

Quelle fierté, quelle impression d’indépendance ne ressent pas aussi le fils quand son père lui confie le soin de conduire le tracteur pour les travaux des champs !

Civisme et loisirs

Conserver tout ce qu’il y a de bon dans la vie tout en sachant profiter des progrès de la science, tel est le devoir de ceux qui chérissent assez leur bonheur pour travailler de bon coeur avec les autres, car on éprouve toujours une grande satisfaction à aider son voisin et à se dévouer pour sa collectivité. Voilà pourquoi l’esprit civique – « en vertu duquel, écrit Siegfried, chacun, tout en revendiquant sont quant-à-soi, estime devoir s’encadrer dans la communauté et collaborer à la vie sociale » – est essentiel au maintien de notre société.

Si le citadin semble parfois plus égoïste, le campagnard lui ne se fait pas prier pour secourir quelqu’un qui est « mal pris ». Témoin les corvées volontaires pour lever une grange, finir un toit à la veille d’un orage ou rentrer les moissons.

Quant aux visites, on recourt à moins de formalités qu’en ville. La journée faite, on va cogner à la porte voisine pour fumer une pipe et jaser « un brin ». Ces coutumes engendrent des amitiés et une camaraderie qui va jusqu’au plus admirable dévouement.

Les contacts personnels de la collectivité agricole sont d’une valeur inestimable, mais nous devons nous appliquer à sauvegarder ou à reconstituer la collectivité sociale. À quoi servirait-il à une famille de cultivateurs de posséder des centaines d’arpents, d’avoir d’abondantes récoltes, de bâtir de vastes granges, si sa vie sociale n’était qu’une pâle copie de la vie urbaine au lieu de conserver son cachet et sa dignité.

Peut-être faudrait-il d’autres organisations sociales pour étudier les mêmes besoins traditionnels, mais qui se présentent sous une forme nouvelle.

Des efforts collectifs, inspirés par des chefs doués d’idées originales, peuvent accomplir beaucoup en recourant à la collaboration des autorités religieuses et scolaires, des clubs 4-H et des sociétés agricoles. Un centre de loisirs bien dirigé servira à organiser des soirées, des jeux, des conférences et des séances. La salle paroissiale pourra même avoir sa bibliothèque.

Outre ces activités collectives, les ruraux ont besoin chez eux de distractions et de passe-temps après les travaux des champs ou la traite des vaches. Il faut que ces distractions procurent quelque satisfaction personnelle, comme celle de jouer du piano, du violon, de la guitare ou de l’harmonica, après le repas du soir.

Un jour, le fils d’un cultivateur avait, en labourant, mis à nu une pierre dont l’aspect lui avait paru inusité. Cette découverte le poussa à étudier la géologie. Aujourd’hui, il possède une intéressante collection de coquilles fossiles, de bois pétrifié et de roches polies. Voilà un passe-temps qui instruit. Il en existe bien d’autres auxquels on peut se livrer selon ses goûts et dans la mesure de ses talents.

La maison de ferme

La maison est le coeur de la vie familiale, mais la maison de ferme est le centre de toute la vie rurale. Elle réunit les pièces où l’on travaille, les chambres où l’on peut dormir loin du bruit, la salle spacieuse et confortable où l’on s’amuse.

La maison de ferme doit avoir un extérieur attrayant, autant pour le plaisir des passants que pour la satisfaction du maître.

Une maison propre indique que son propriétaire est bon administrateur. Conserver ses dépendances en bon état et bien peinturées, protéger ses machines agricoles contre la rouille, ne rien laisser traîner, arracher les mauvaises herbes, tout cela fait partie d’une bonne gestion… d’autant plus qu’un domaine rural propre plaît à l’oeil.

Il faut aussi en soigner les abords en ayant des plates-bandes de fleurs, des arbustes et une pelouse en partie ombragée, où l’on peut se reposer quand il fait chaud. Cet embellissement peut se faire à peu de frais, après les labours et les semailles.

Un étang

Il est un projet plus ambitieux, mais à la portée d’un bon nombre de familles rurales. C’est celui d’avoir un étang où les bestiaux vont boire et où l’on peut se baigner en été et patiner l’hiver.

Le moyen le plus simple est d’utiliser une dépression de terrain où s’écoule l’eau d’un ruisseau. On peut creuser cet étang en se servant d’une charrue et d’une pelle à cheval ou encore d’une charrue à neige. Les bords peuvent être semés ou recouverts de mottes de gazon. On peut obtenir des conseils sur la façon de se faire un étang en écrivant au ministère de l’Agriculture de sa province ou au ministère fédéral de l’Agriculture à Ottawa.

L’intérieur de la maison

Quant à l’amélioration de l’intérieur de la maison, un cultivateur la retarde parfois forcément pour deux raisons. La première, fort plausible, est la nécessité d’avoir de bons instruments aratoires, de sorte qu’il consacrera à leur achat tout l’argent dont il peut disposer sans pour cela priver sa famille du nécessaire. La seconde raison est la répugnance à changer quoi que ce soit dans la maison, à moins d’y être contraint par les circonstances.

Parlant de la première raison, les témoins priés de donner leur opinion devant une commission d’enquête du Manitoba, ont exprimé l’avis que le cultivateur devrait accorder plus d’importance aux améliorations qui s’imposent à l’intérieur de sa maison et que la question de priorité devrait être discutée avec tous les membres de la famille.

Prenons, par exemple, la cuisine où la femme passe la majeure partie de la journée. Cette pièce devrait être agencée de manière à alléger la tâche de l’épouse et de ses filles. Il n’y a rien de vrai, dit Mme Raymond Sayre, présidente de l’Association mondiale des femmes rurales, dans la vieille affirmation selon laquelle « il est absolument impossible dans une ferme » d’avoir autre chose qu’une cuisine encombrée et en désordre.

Quant à la seconde raison qui empêche le cultivateur de moderniser sa maison, il importe de la combattre si l’on veut garder les enfants sur la ferme. En effet, l’attrait des villes est si puissant que les jeunes ne toléreront pas longtemps le manque de confort. Le père de famille devrait donc, après avoir pourvu aux dépenses qu’exige son exploitation agricole, tenir compte de la sécurité des siens et songer à satisfaire leurs aspirations légitimes.

Problèmes et projets

Ceux qui critiquent ou condamnent le mode de vie des cultivateurs devraient d’abord se renseigner sur place, puis soumettre des propositions utiles.

Il y a des gens qui sont bons administrateurs, tandis que d’autres aiment le risque. Une occasion exceptionnelle s’offre à quiconque ambitionne de rendre la vie rurale plus attrayante aux jeunes gens. C’est peine perdue que de rechercher la perfection, car elle est du domaine du rêve. Il faut être ingénieux et débrouillard, comme l’est en général le cultivateur. Il s’agit de tracer un plan d’amélioration de la maison et de la terre, puis de persuader les membres de la famille de travailler à sa réalisation.

Un budget

L’important est d’établir un budget. L’homme prévoyant calcule quel montant il compte consacrer à l’achat de meubles et d’instruments aratoires, au cours de l’année et même pour les quatre ou cinq années à venir. Puis, à mesure qu’il vend le surplus de sa récolte ou quelques-uns de ses bestiaux, il garde une partie des recettes pour les dépenses courantes et met un certain montant de côté, puis il décide à quelle amélioration il convient d’accorder la priorité.

Le contrôle des dépenses de manière à obtenir le plus de confort possible est de la bonne comptabilité, mais il importe d’inscrire ces dépenses. À cet effet, la Banque Royale du Canada distribue gratuitement deux brochures qui facilitent ce travail : Le Livre de comptabilité agricole et Le Budget familial simplifié. On peut se procurer ces deux brochures aux succursales ou au siège social de la Banque.

La famille rurale

Une vie familiale saine est la condition essentielle d’une existence heureuse, et l’on peut affirmer que la façon de vivre des gens de la campagne est celle qui procure les plus grandes satisfactions.

Le père au travail, les enfants au jeu, la mère à ses occupations, tous demeurent en contact intime avec le foyer et la nature. Il est reconnu que les liens qui unissent le cultivateur, sa femme et leurs enfants sont plus étroits et plus durables que dans les villes où l’épouse n’a souvent qu’une vague idée de ce que fait son mari au bureau ou à l’usine, tandis qu’à la campagne le mari et la femme travaillent côte à côte et devinent jusqu’à leurs moindres pensées.

La femme du cultivateur, la mère de ses enfants, c’est la femme forte que nous dépeint ainsi la Bible :

… Le coeur de son mari a confiance en elle, et les profits ne lui feront pas défaut.

Elle lui fait du bien, et non du mal, tous les jours de sa vie.

Elle recherche de la laine et du lin, et travaille de sa main joyeuse…

Elle se lève lorsqu’il est encore nuit, et elle donne la nourriture à sa maison, et la tâche à ses servantes…

Elle pense à un champ, et elle l’acquiert ; du fruit de ses mains, elle plante une vigne…

Elle met la main à la quenouille, et ses doigts prennent le fuseau.

Elle tend le bras au malheureux, elle ouvre la main à l’indigent…

La force et la grâce sont sa parure, et elle se rit de l’avenir.

Elle ouvre la bouche avec sagesse, et les bonnes paroles sont sur sa langue.

Elle surveille les sentiers de sa maison, et elle ne mange pas le pain d’oisiveté.

Ses fils se lèvent et la proclament heureuse ; son époux se lève et lui donne des éloges.

Beaucoup de filles se sont montrées vertueuses ; mais elle les surpasse toutes.

Trompeuse est la grâce, et vaine est la beauté ; la femme qui craint le Seigneur est celle qui sera louée.

La jeunesse

Quant aux enfants, la vie au grand air est un bienfait précieux pour leur santé physique et morale. Comme le disait, en parlant d’eux, Louis Bromfield dans Pleasant Valley : « Ils comprendront ce qu’est l’honnêteté, la tolérance, et ils se rendront bientôt compte des maux qui découlent d’une exploitation égoïste et d’un monde asservi où la dignité humaine et les plus hautes qualités de l’esprit se trouvent comprimées et étouffées ».

Pour inculquer aux enfants ces vertus, il faut que le foyer et l’entourage où ils vivent soient attrayants. C’est pour cela qu’ont été fondés les mouvements de jeunes, tels la J.A.C. et les clubs 4-H. Ces organisations confèrent aux jeunes garçons et aux jeunes filles l’amour de leur métier, la fierté de posséder quelque chose qui est bien à eux, l’obligation d’accepter et d’assumer des responsabilités, l’avantage de recourir aux méthodes scientifiques de culture et d’élevage, et le désir de créer de meilleurs foyers afin de mener une vie plus agréable.

Le pays imbu d’idéal et de nobles ambitions quand il s’agit de fonder une famille est celui qui a le plus de chances de posséder les citoyens les plus forts et les plus capables. Cela ne s’apprend pas dans les livres, mais par l’expérience. Le vaste fonds de sagesse et de savoir acquis sur la ferme se transmet de père en fils, de mère en fille, par la tradition orale et par l’exemple. Voilà l’essence même de la vie rurale.