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Pourquoi les hommes capables d’exercer des fonctions de direction dans les cadres inférieurs d’une entreprise sont-ils si rares ?

Nommer un contremaître, ce n’est pas accorder le poste à l’employé le plus ancien, mais choisir l’homme qui a le don de conduire les autres. De la façon dont les contremaîtres s’acquittent de leurs fonctions de conduite dépend le succès ou l’échec de la compagnie pour laquelle ils travaillent.

Le contremaître est la clef de voûte de la production. Il doit assurer la soudure entre la responsabilité de sa seule tâche et la responsabilité du travail des autres. Il a besoin, pour réussir cette jonction, d’équilibre, de sagesse, de souplesse d’esprit, de courage et d’énergie, en plus des techniques de sa spécialité.

Le présent Bulletin mensuel porte sur les relations humaines des contremaîtres. Il traite essentiellement de l’exercice de cette fonction dans les usines ou les ateliers, mais les principes qu’il expose s’appliquent également aux succursales et aux bureaux, aux organismes de toutes sortes et même au foyer, c’est-a-dire partout où une personne est chargée d’en diriger ou d’en surveiller d’autres. Nous sommes tous appelés à être chefs à un moment ou à un autre, comme parents, instituteurs, administrateurs, etc.

Une chose est certaine : on ne naît pas contremaître, mais on peut le devenir. Il faut pour cela apprendre à prévoir, à organiser, à diriger et à contrôler. Le contremaître, en effet, ne travaille pas avec des machines, mais avec des êtres humains. Il est le lien entre les travailleurs et la direction ; il remplit le poste le plus élevé parmi les ouvriers et occupe le premier échelon dans la hiérarchie de l’administration.

Il serait fatal pour nos aspirations, à l’époque où nous vivons, de considérer le travail du contremaître comme celui d’un agent de police, dont l’unique mission serait de faire respecter des lois et des règles. Le bon contremaître doit être doué d’intelligence, de compétence administrative, du pouvoir d’entraîner les autres par ses qualités personnelles. C’est le gardien du moral de l’entreprise. Il joue un rôle de premier plan dans les relations entre la direction et la main-d’oeuvre.

Les relations humaines

Les relations humaines sont bonnes quand les gens s’entendent bien.

N’oublions jamais qu’il y a dans tout travailleur une personne humaine. Il s’agit de voir cette personne et de s’intéresser sincerement à elle, de se montrer généreux et encourageant à son égard, de lui donner le sentiment qu’elle appartient à notre équipe.

Pour votre bien comme pour celui de l’entreprise, ne vivez pas dans un monde à part, où les subordonnés craignent de s’aventurer. Que votre fauteuil de contremaître ne soit pas un trône. Quittez votre poste ou votre pupitre de temps à autre afin de vous mettre plus à la portée de votre personnel.

La meilleure entreprise où l’on puisse travailler, celle aussi où s’effectue le meilleur travail, est l’entreprise où l’esprit d’équipe est le plus fort.

Pour des raisons que nous sommes loin de bien comprendre, lorsqu’un groupe de personnes devient une équipe, sa capacité de production s’en trouve étonnamment accrue, même si chacun accomplit une tâche individuelle.

Seuls peuvent atteindre ce résultat les contremaîtres qui savent s’assurer la collaboration de leurs groupes de travail par leur loyauté, leur amabilité et leur dévouement.

Le contremaître n’embauche pas seulement les bras, mais l’ouvrier tout entier. On peut acheter le temps d’un homme, on peut même acheter un nombre précis de mouvements muscuiaires spécialisés par heure, mais l’enthousiasme, l’initiative, la fidélité ne s’achètent pas. Ils se gagnent.

Il y a encore des chefs durs à cuire qui croient tirer le maximum de rendement de leurs hommes en forçant l’allure et en morigénant ceux qui sont lents, mais le contremaître qui cherche sérieusement à accroître la production en qualité et en quantité sait qu’il n’y réussira qu’en obtenant le concours spontané et intéressé de ses subordonnés.

Appartenir à un groupe, ce n’est pas simplement avoir sa carte de membre. C’est avant tout une attitude que le chef doit susciter et encourager en dépassant les techniques pour mieux exciter l’intérêt de ses équipiers et éveiller leur désir de collaborer. Ainsi naît un dévouement qui transcende les intérêts personnels.

Le sentiment d’effectuer un travail d’équipe demeurera bien vivant si chaque employé a assez de responsabilités pour avoir conscience de son importance. Savoir faire exécuter le travail le mieux possible par ses subordonnés tout en leur permettant de s’affirmer, voilà un art que doit cultiver tout contremaître désireux de réussir.

L’appui des subordonnés

Si haut placé que soit un homme dans la hiérarchie de l’administration, il ne peut être un bon chef que s’il comprend les vues et les problèmes des employés inférieurs de son entreprise. Le contremaître, qui vit tout près de ses ouvriers, doit avoir une profonde intelligence de ces choses. Comme le capitaine d’une équipe de curling ou le chef de nage d’une embarcation, il doit connaître les points forts et les points faibles de ses hommes, les encouragements qui les amèneront à faire tout leur possible, les limites qu’il ne saurait dépasser.

Pour avoir de bons ouvriers et les garder, il faut que le contremaître fasse plus que jouer au grand frère. Cultiver les ouvriers, entretenir de bonnes relations avec eux, ce n’est pas adopter une attitude hypocrite à leur égard. Au contraire, c’est faire un effort sincère pour comprendre leurs problèmes et leur donner l’impression que l’on s’intéresse vraiment à eux. Il faut chez le contremaître un désir réel de les aimer et de se faire aimer d’eux.

Comment le contremaître obtiendra-t-il que son équipe lui accorde l’appui qu’il désire ? C’est là un don naturel chez l’homme intelligent. Il s’agit de tenir compte, dans ses pensées et dans ses actes, du fait que chacun de ses employés s’efforce de se faire une place dans un monde chaotique et confus, qu’il cherche le bonheur pour lui et sa famille, qu’il a soif de compréhension.

Chaque membre de l’équipe a un intérêt pratique et bien concret dans la direction qu’assure le contremaître, et il a droit à la direction la plus compétente dont celui-ci est capable. Les employés mettent leurs journées de travail entre ses mains. Ils sont en droit de s’attendre que leur chef étudie sa profession et se tienne au courant des derniers progrès.

Dans ses relations avec ceux qui sont sous ses ordres, le contremaître constatera que la vielle maxime « noblesse oblige » est fondamentale. Sa situation l’oblige à les traiter non pas seulement avec justice, mais avec générosité. Quiconque est placé sous son autorité se trouve également sous sa protection.

La discipline

Les membres d’un groupe ne peuvent vivre ensemble, et encore moins travailler avec succès, sans une direction organisée. La société elle-même retournerait à la loi de la jungle si nous n’avions pas de règles pour gouverner notre conduite.

Pendant son apprentissage le contremaître a acquis la connaissance du premier principe du commandement : l’obéissance. Mais la discipline est plus qu’une obéissance aveugle. Le mot a la même racine que « disciple », et le disciple est celui qui suit l’enseignement et l’exemple d’un maître respecté.

La tâche de mettre de la discipline dans une entreprise incombe de toute évidence à l’administration. Ceci veut dire, pour le contremaître, qu’il doit faire en sorte que chaque homme accomplisse sa juste part du travail, que chacun contribue à faire régner l’ordre et la propreté, que chacun ait la volonté de collaborer avec l’équipe et que chacun ait égard aux désirs et aux sentiments de ses coéquipiers.

Il arrive, assez rarement cependant, que l’on rencontre des contremaîtres pour qui discipline est synonyme de vacarme et de violence. Mais on s’accorde à reconnaître que le contremaître tyrannique impose une discipline très sévère pour l’une ou l’autre des raisons suivantes : il ne connaît pas d’autre façon de se faire obéir ; il craint de déroger en paraissant trop humain ; il éprouve une secrète satisfaction à rendre la vie dure aux autres.

Le contremaître qui est vraiment chef est d’une meilleure pâte. Son autorité persuasive, son entrain, son exemple lui font éviter cet écueil. Ce contremaître devra parfois ordonner énergiquement à ses employés de terminer un travail pour telle ou telle heure. Mais dans ce cas il mettra toujours de la bienveillance dans sa rigueur. Ses subordonnés respecteront ses exigences sans s’en irriter.

Éloges et critiques

Les éloges et les encouragements constituent sans doute le moyen par excellence de favoriser le bon moral chez ceux qui sont sous nos ordres. Les compliments d’un supérieur ont une grande importance. Ils engendrent la loyauté et incitent le travailleur à persévérer.

Prenez donc le temps de féliciter vos hommes de l’intérêt qu’ils manifestent pour leurs métiers. Adoptez une attitude positive. Louez avec réserve si les circonstances l’exigent, mais jamais avec tiédeur. Recherchez d’abord ce qui est bien fait dans un travail et complimentez-en l’auteur ; puis, par contraste, signalez ce qui est mal fait et expliquez comment il est possible d’atteindre là aussi les mêmes bons résultats.

Accordez à chacun le mérite qui lui revient. S’attribuer le mérite du travail d’un de ses hommes, c’est détruire son initiative et vous diminuer à ses yeux et à ceux de ses compagnons. Le mérite du contremaître, c’est de former un personnel compétent.

Que votre action soit constructive. Donnez clairement à entendre par votre conduite que vous ne cherchez pas tout le temps à prendre votre personnel en défaut, mais à lui aider à mieux accomplir son travail. Montrez que vos réprimandes sont en réalité des compliments parce qu’elles indiquent que le travailleur a des qualités à faire valoir.

La patience est une qualité que tout contremaître doit cultiver. Quand un employé vient se plaindre, mettez vos papiers de côté, afin de bien lui faire voir que vous lui accordez toute votre attention. Le contremaître qui cherche à écarter un grief, risque de passer pour un prétentieux, un indifférent ou quelqu’un qui a peur des responsabilités.

Si une plainte vous parait manifestement injustifiée ou mesquine, prenez le temps de vous calmer et de maîtriser vos émotions avant de répondre. Vous devez être capable de vous dominer vous-même si vous voulez dominer les autres.

Relations avec les collègues

Le contremaître doit faire face, dans son service, à de nombreux problèmes qui ont des ramifications dans les autres services. Ces problèmes peuvent se régler de deux façons : par voie d’accord entre les chefs de service ou par décision émanant de l’autorité supérieure.

Il est toujours préférable, pour les contremaîtres comme pour l’entreprise, que l’on en arrive à résoudre les questions qui concernent plusieurs services par un généreux échange de renseignements et la conciliation des vues de tous les intéressés.

L’emploi de la persuasion est souvent de la plus haute importance dans nos relations avec nos collègues. Il importe cependant de partir du bon pied. Tout d’abord, il faut supposer que les autres contremaîtres ont des intentions droites, qu’ils sont bien au fait des programmes et des buts de la compagnie, qu’ils connaissent parfaitement les techniques dei leur propre service. Ce n’est qu’ensuite que l’on peut faire des avances, proposer sa collaboration, offrir des renseignements.

La haute direction doit veiller à ce que les contremaîtres ne demeurent pas isolés. Les contremaîtres ont besoin de se faire apprécier et de sentir qu’ils font partie d’un groupe. Aussi les bons dirigeants doivent-ils leur faire pleinement confiance et les consulter sur tout ce qui intéresse leur service. Il est bon aussi que les contremaîtres aient l’occasion de se réunir périodiquement pour discuter des programmes et des projets de leur entreprise.

Les renseignements

Le contremaître autocratique d’autrefois s’efforçait de garder la haute main sur la diffusion des renseignements. Il s’arrangeait toujours pour n’en communiquer qu’une partie, afin de donner l’impression qu’il était dans le secret des grands patrons. Or, rien ne pouvait être plus puéril ni plus idiot. Les ouvriers finissaient fatalement par connaître la vérité, et ses cachotteries ne servaient en fin de compte qu’à le rendre ridicule.

La bonne communication des renseignements a pour but de constituer une équipe de travailleurs compétents et enthousiastes. La chose n’a pas besoin d’être bien compliquée, mais, comme les voies de transmission sont multiples, il faut veiller à ce que toutes restent libres.

Les renseignements que le contremaître communique à ses subalternes doivent, quoi qu’il lui en coûte, toujours porter leurs fruits. La direction peut fort bien s’évertuer à rédiger des textes interminables sur les programmes et les objectifs, mais tous ces beaux efforts seront vains si l’homme de première ligne qu’est le contremaître ne prend pas le soin d’expliquer à ses ouvriers comment les mettre en pratique dans leur travail quotidien.

Pour bien renseigner, il faut d’abord écouter. Écouter ce que les ouvriers ont à dire, voilà par où il faut commencer pour les comprendre.

Le bon contremaître s’intéresse à tous les problèmes de ses employés, qu’il s’agisse du mécontentement de l’un, des malheurs domestiques de l’autre ou des doléances de celui qui se croit persécuté par ses compagnons. Il sait très bien que les petites difficultés créent parfois de graves problèmes d’administration et que ce n’est qu’au contact des ouvriers qu’on peut se renseigner à fond sur ces importants petits détails.

La personnalité

Il suffit de regarder un groupe de contremaîtres pour constater qu’il se trouve entre eux des différenees sociales, économiques et culturelles assez marquées. De fait, il n’y a aucun ensemble de qualités propres qui puisse classer automatiquement un homme daus la catégorie des contremaîtres.

Il existe pourtant des attributs distinctifs. La bonne administration suppose la maturité de l’imagination, de la sensibilité, du jugement, de l’homme tout entier. N’allez pas croire que l’ancienneté ou un titre quelconque puisse vous donner le droit d’être contremaître. Il faut aujourd’hui déployer toute l’intuition, la souplesse d’esprit et la réflexion dont on est capable pour conduire des hommes. Et ces qualités découlent de la maturité, – qui n’est pas une question d’âge ou d’années de service, mais de développement mental.

Pour faire un contremaître de premier ordre, il faut en outre avoir le feu sacré, afin de pouvoir puiser en soi-même la confiance et l’optimisme pour les communiquer aux autres. Il faut aussi de la discipline personnelle pour donner à ses ouvriers l’exemple de la régularité, de l’application et du dynamisme.

Il s’agit en somme d’être réellement ce que l’on veut paraître, même quand personne ne nous voit. On pourrait citer à ce sujet la remarque célèbre de l’amiral Jervis qui, lors du combat de Saint-Vincent, ne put s’empêcher de s’écrier en voyant la façon dont le capitaine Troubridge manoeuvrait son navire, le Culloden : « Regardez Troubridge ! Il se lance à l’attaque comme si toute l’Angleterre était là pour l’admirer ! »

S’il est vraiment fier de son métier, le contremaître saura s’imposer, et le fait de s’imposer constitue un facteur important de la personnalité. S’il veut, par exemple, que ses ouvriers fournissent un effort spécial ou accomplissent quelque chose qui sort de l’ordinaire, il ne dira pas que c’est le directeur qui l’exige. Il faut éviter de se retrancher derrière l’autorité d’un supérieur. N’est-il pas infiniment préférable de leur faire comprendre qu’il l’exige pour le plus grand bien de l’équipe ?

Enfin, le contremaître doit pratiquer la droiture et l’impartialité, afin que ses hommes ne doutent jamais de sa loyauté à leur égard. Les employés désirent avoir un contremaître respectable et d’une probité indéfectible.

Ne pas rester au même point

Un grand nombre de ceux qui pourraient être de bons contremaîtres ne parviennent jamais à le devenir, simplement parce qu’ils font eux-mêmes obstacle leur ambition en négligeant certains détails.

Pour bien diriger les autres, il faut en quelque sorte être sans reproche. D’où l’extrême importance de se surveiller, d’examiner constamment ses relations avec son entourage. Il y en a toujours qui sont prompts à la critique, mais on a tout avantage à les devancer et à voir soi-même quels sont les points qui pourraient être améliorés.

La stabilité émotive est aussi un précieux atout. Celui qui a l’humeur égale juge toujours mieux les situations, Le contremaître trop sujet à des sautes d’humeur risque fort de jeter le désarroi parmi ses subordonnés et de détruire leur esprit d’équipe.

Rire un peu de soi, de ses propres bévues, voilà un excellent moyen de conserver son bon sens et son équilibre. Mais veillons à ne jamais nous moquer, devant nos employés, de nos propres responsabilités ou encore des directives de la compagnie. Ce que le chef dit ou fait exerce une singulière influence sur son personnel.

Un autre point essentiel est de continuer à apprendre. C’est là le grand attrait que présente le poste de contremaître, puisqu’il offre une foule de possibilités de s’améliorer par soi-même et par l’intermédiaire de ses subordonnés. Les hommes qui réussissent sont précisément ceux qui manifestent un grand désir de s’instruire et qui ne reculent devant aucun effort pour atteindre leur but et mettre leurs connaissances en pratique.

Il importe, dans ce domaine, de ne pas se limiter à certains sujets en particulier, mais de chercher à élargir ses horizons. Se renseigner sur toutes sortes de questions, même celles qui ne se rapportent pas à son travail, c’est un devoir aussi utile qu’agréable pour le véritable chef.

Tout cela exige beaucoup de travail. Mais la compétence ne s’acquiert qu’à ce prix. Contrairement aux études purement scolaires où il faut s’en tenir à un programme rigide, la formation personnelle qu’il s’agit ici de compléter par la lecture, les cours de perfectionnement, la participation aux organisations paroissiales, est beaucoup plus souple et attrayante.

Le contremaître vraiment dynamique est constamment à la recherche de voies ou d’idées nouvelles, parce qu’il doit marcher de pair avec le progrès, s’il ne veut pas rester en arrière. Il lui faut conserver la largeur d’esprit nécessaire pour faire bon accueil aux nouveautés.

L’examen de conscience périodique est également une pratique recommandable. Il permet de mesurer les progrès accomplis en matière de relations humaines. Cet examen, s’il est sincère, nous cause souvent d’agréables surprises en nous révélant toutes les ressources dont nous disposons.

Commander c’est entreprendre, former, guider, prendre des responsabilités, en un mot être toujours sur la brèche. Le contremaître doit consacrer tout son talent et toute son énergie à ces tâches. Son plus grand bonheur n’est pas d’abattre lui-même une besogne énorme, mais bien de se dépenser totalement à faire progresser son équipe dans la voie ardue du succès.