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Pour les esprits qui manquent de pénétration, l’accession du Canada au rang de nation est un événement plutôt vague et lointain, mais à ceux qui ont vraiment le sens de l’histoire, il semble que ce fait ne date que d’hier.

Comme il reste à peine six ans avant le centième anniversaire de la confédération des provinces, les préparatifs sont déjà commencés, car il importe de célébrer cette fête d’une façon digne et grandiose. Nous ne saurions nous en tenir dans ce cas aux défilés et aux chars allégoriques. Ces manifestations nous permettent certes d’exprimer notre joie, mais il faudrait aussi que quelque chose de durable vienne, à cette occasion, nous montrer et montrer au monde que nos projets d’avenir sont à la mesure de notre grand pays.

Pourquoi 1967 ne serait-il pas une année merveilleuse, une échappée de soleil et de beau temps dans un firmament mondial nuageux et sombre ? Nous devons pour cela y penser dès maintenant dans l’esprit dont parlait le prince Philip dans des circonstances analogues : « Il devra, disait-il alors, y avoir partout des fêtes et des réjouissances publiques, car nous n’avons jamais assez d’occasions d’oublier nos soucis et de nous reposer l’esprit en donnant libre cours à notre joie ; il faudra aussi rendre humblement grâce au Très-Haut, qui par son action sur leur vie a permis aux citoyens de prospérer dans la paix… »

Notre commémoration des événements du passé, qui se manifestera dans la joie du présent, sera rappelée aux générations futures grâce aux témoignages tangibles de notre fierté nationale et de notre foi en l’avenir que nous édifierons d’ici à la fin de 1967. Cette activité constructive servira également à faire voir au monde que nous sommes un peuple qui progresse tout en établissant sur une base solide les conditions de son bien-être.

Enfin, les fêtes ne devront pas être organisées seulement par le gouvernement fédéral, mais aussi par les provinces, les régions, les municipalités et les associations de citoyens.

Se proposer un but

Ce Centenaire offrira encore plus d’intérêt si nos plans tendent à un but bien défini. Celui-ci pourrait consister, par exemple, à accroître nos possibilités d’avancement dans le domaine de l’enseignement, de la santé, des sciences, des arts et de l’échange des idées. Il suffirait de chercher un peu pour découvrir dans notre vie nationale des secteurs qui ont été négligés, des idées splendides qui n’ont jamais dépassé le stade du rêve. Si nous parvenons à combler certains de nos déficits culturels au cours des six prochaines années, nous aurons encore plus de raisons de célébrer l’anniversaire de 1967.

Quels sont ces déficits culturels ? Ce sont des choses qu’un pays fondé il y a près de 350 ans et qui a réalisé son unité politique depuis bientôt cent ans devrait déjà posséder : les organisations et les immeubles nécessaires à l’expression de nos talents artistiques dans les domaines de la musique, du théâtre, de la chorégraphie, etc. ; à l’entrainement et à la mise en valeur de nos athlètes ; au développement des esprits par les conférences, les groupes d’études et les expositions.

Au lieu de plaques de bronze ou de monuments de granit, nous pourrions inaugurer d’importantes améliorations pour la collectivité, comme de nouveaux parcs, des logements pour remplacer les taudis, de nouvelles mairies, des centres de loisirs, des bibliothèques, des musées. Ce sont là des choses qu’il nous faut de toute façon ; profitons donc de l’occasion que nous offre le Centenaire pour nous les procurer dès maintenant.

Au cours de l’année – et le Centenaire devrait se prolonger pendant un an afin que tous puissent y prendre part – une grande émission hebdomadaire de télévision pourrait retracer un événement important de notre histoire. Nos écrivains, nos compositeurs, nos auteurs dramatiques pourraient créer des oeuvres spéciales, qui seraient publiées ou jouées cette année-là.

D’ici à 1967, nous pourrions diffuser des films et des imprimés à l’étranger afin d’inciter les gens à visiter le Canada pendant l’année du Centenaire, ou encore organiser des conférences, qui auraient lieu à différentes dates et dans diverses villes à travers le Canada, et auxquelles seraient invitées à assister les personnes intéressées de toutes les parties du monde.

Il n’est pas trop tôt pour commencer à élaborer des plans. Il faut que chacun de nous se prépare s’il veut vraiment prendre part à la fête et en jouir, mais les gouvernements aussi doivent prendre des dispositions en conséquence. Un anniversaire de ce genre est trop important pour être laissé au hasard.

Une fête pour tous

Le Centenaire devra être une fête pour tout le monde. Les réjouissances ne seront pas les mêmes partout dans le pays, mais toutes souligneront le même heureux événement.

Il ne faudrait pas faire in sorte que tout doive se passer le 1er juillet. Les fêtes devront être étalées sur toute l’année en tenant compte des conditions atmosphériques, des préférences régionales, de certains jours spéciaux et de l’achèvement des travaux de construction entrepris dans chaque partie du pays. Cela aura, en outre, l’immense avantage de nous permettre à tous de participer à plus d’une manifestation et de mieux nous connaître les uns les autres.

Il pourra y avoir des festivités de toutes sortes et à tous les niveaux, chaque localité et chaque organisation mettant en vedette tout ce qui constitue une image naturelle de sa vie et de ses membres. Il ne suffit pas de décorer la rue principale et les bâtiments publics ; il faut employer notre imagination, notre habileté et nos efforts à créer des adaptations dramatiques du passé de notre pays. Ne serait-il pas possible, par exemple, de retrouver et de jalonner les anciens sentiers et les routes de canot qui furent les premières voies d’exploration et de colonisation dans notre pays ? Pourquoi ne mettrions-nous pas en marche des concours sportifs dont le couronnement aurait lieu en 1967 ?

Comment organiser tout cela ? Non pas au moyen d’un grand service central et dictatorial, mais grâce à la participation active de tous les citoyens à l’élaboration des plans et à leur exécution. Une fois les principes généraux établis par un organisme central largement représentatif, il conviendrait que les groupes locaux prennent la relève et organisent leurs fêtes à leur façon.

L’organisation centrale travaille au programme général depuis que le Conseil canadien du civisme a mis les choses en branle en 1957. En mai 1960, on a créé le Conseil du Centenaire du Canada, qui est un organisme national non gouvernemental. Il a pour but de permettre aux associations non gouvernementales qui le désirent, d’exprimer leurs vues et de prêter leur concours, à l’échelon national, dans la préparation des fêtes du Centenaire de la Confédération. C’est M. Alan Clarke, directeur administratif du Conseil du civisme, qui est le secrétaire du Conseil du Centenaire. On peut lui écrire à B.P. 2310, Station D, Ottawa (Ont.).

Nos motifs de célébrer cette fête

Même s’il est permis de supposer que tous les Canadiens s’empresseront de prendre part au Centenaire de leur pays, il n’y a pas de mal à récapituler nos principales raisons de nous réjouir à cette occasion.

Il ne convient pas d’aborder ce grand événement en regardant avec mélancolie derrière nous ; mais nous aurions tort, d’autre part, d’envisager l’avenir sans tenir compte des enseignements du passé. Nous pouvons fort bien jeter les yeux en arrière en cherchant à savoir quel est l’effet du passé sur notre vie actuelle et quelles sont les leçons à en tirer pour l’avenir.

Il serait désastreux pour notre bonheur futur de vouloir profiter de cette occasion pour évoquer de vieilles rancunes et faire revivre nos combats et nos luttes d’autrefois.

Nous sommes les héritiers d’un patrimoine et d’ancêtres auxquels nous penserons avec fierté en cette circonstance.

Les trois siècles qui se sont écoulés entre le premier voyage de Cartier au Canada et la confédération des provinces ont été marqués par toutes les difficultés que suppose la colonisation d’un pays et auxquelles la vie des villages de France et d’Angleterre ne constituait qu’une assez piètre préparation.

En plus de la solitude et des rigueurs du climat, il fallait compter avec les dans hostiles, les voisins belliqueux, les obstacles naturels et l’incertitude de la vie sous des souverains mal renseignés sur ce qui se passait dans leurs colonies et qui se trouvaient à trois mille milles de distance, de l’autre côté d’un océan que traversaient avec lenteur les navires à voiles.

Ce simple coup d’oeil rétrospectif devrait suffire à nous faire entrevoir ce que nous nous proposons de célébrer. Il ne s’agit pas de philosopher sur notre fidélité envers une entité abstraite et générale que nous connaissons et que nous nous représentons sous le nom de « Canada ». Il serait difficile, en effet, de soulever l’enthousiasme pour une telle notion dans un pays aussi vaste et dont la population, l’économie et les régions sont si variées. Ce qu’il importe de fêter, c’est le courage des hommes et des femmes qui sont venus s’établir ici, ce sont les qualités et surtout l’opiniâtreté grâce auxquelles ils sont restés et ils ont édifié notre héritage ; le bon sens qui leur a permis de vivre et de travailler ensemble ; la clairvoyance qui les a poussés à former l’union que nous appelons la Confédération.

La petite histoire

Chaque province et chaque localité a ses faits saillants qu’elle voudra commémorer, ses ambitions qu’elle désire réaliser ; tous ces épisodes historiques et tous ces projets d’avenir auront leur place dans le Centenaire.

La célébration de ce Centenaire constituera une excellente occasion de nous occuper de l’histoire régionale ou locale, partie de notre culture qui a été fort négligée. C’est dès maintenant que nos sociétés historiques doivent s’efforcer d’intéresser les gens à leur fournir les vieilles lettres, les journaux personnels, les notes, les archives, les documents, ou encore les outils, les ustensiles et les instruments employés par les générations disparues.

On pourrait confier la rédaction de l’histoire locale aux écoles. Lorsque la Saskatchewan a célébré son cinquantenaire il y a quelques années, les écoliers de cette province ont présenté, sur l’histoire locale, quelque 3,000 récits, qui ont été microfilmés et déposés aux Archives de la Saskatchewan.

L’occasion est également propice pour songer aux lieux historiques de nos petites localités. Tous les monuments et toutes les plaques du monde ne sauraient remplacer la maison – qui tombe actuellement en ruines – où est né l’un des plus célèbres astronomes du monde, ni les immeubles et les tranchées qui ont été les témoins de la guerre de 1812, si on les laisse se désintégrer.

Notre héritage

On dit que le bien le plus précieux dont on puisse hériter ce sont les vertus des ancêtres. En même temps que des qualités pratiques, nos aïeux nous ont légué l’amour du bien et le désir de vivre la vie dans toute sa plénitude. C’est là notre héritage.

Le Canada a démontré aux autres peuples le fait d’une extrême valeur que la tolérance doit être un élément intrinsèque de toute véritable démocratie. Grâce au développement de nos deux cultures et de nos deux mentalités, sous le régime d’une sage constitution, les dix provinces pourront célébrer le Centenaire de la Confédération dans l’harmonie. Et il en est ainsi parce que l’on s’est employé et que l’on s’emploie encore à apaiser les querelles, à faire taire les animosités et à empêcher les germes de la discorde de croître dans notre sol.

Notre héritage nous incite à poursuivre notre oeuvre, c’est-à-dire à édifier une nation qui sache reconnaître tous les talents, concilier les divergences d’opinions ou de comportements, faire échec à la méchanceté, pratiquer la bienveillance.

Il ne faut pas oublier, d’autre part, qu’il existe au Canada un nombre imposant de Néo-Canadiens qui n’appartiennent à aucun des deux groupes ethniques fondamentaux de notre pays. Aussi faudra-t-il organiser le Centenaire de façon à bien montrer qu’ils font vraiment partie, eux aussi, de la grande famille canadienne.

De temps à autre, des voix s’élèvent et réclament avec insistance l’adoption des symboles distinctifs de la souveraineté par notre pays, mais nous pouvons constater, en regardant autour de nous, que nous possédons d’ores et déjà un attribut encore plus important de la maturité nationale : celui d’un peuple vivant uni dans la diversité.

La Confédération

On ne peut attribuer au seul Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 tout le mérite de la réussite que représente actuellement le Canada, mais qui dira toute l’influence de son adoption sur la suite des événements. En 1867, le Canada constituait certes un idéal imposant, mais une bien terne réalité. Les provinces n’avaient aucun lien les unes avec les autres, et chacune d’elles avait son propre gouvernement et son régime politique. Aujourd’hui, malgré les montagnes, les forêts, les lacs ou les cours d’eau qui les séparent, toutes les régions apportent leur contribution particulière et indispensable à la Confédération.

Il faut reconnaître que l’Acte de l’Amérique du Nord britannique n’a pas résolu toutes les difficultés politiques et économiques. Mais cette loi constituait un cadre dans lequel nous nous efforçons encore de réaliser l’équilibre, entre les allégeances et les intérêts, entre les besoins et les ressources, que requiert un système fédéral efficace.

C’est grâce aux efforts d’explorateurs, de missionnaires et de commerçants audacieux que notre immense pays, dont la superficie dépasse celle de l’Europe, a été découvert et colonisé. Aujourd’hui nous faisons partie d’un monde qui cherche sa voie entre les innovations et les choses qui tombent en désuétude. Tout autour de nous, des États nouveaux sont aux prises avec des difficultés économiques, des questions de frontières, des problèmes de minorités et des rêves de grandeur. Sur les plans politique et intellectuel, les anciens principes ne jouissent plus de la même considération.

Notre tâche

La tâche qui incombe maintenant au Canada est d’établir un ensemble de valeurs et d’usages qui lui permettront de faire face aux situations nouvelles. À côté de toutes les manifestations matérielles qui serviront à marquer le Centenaire, nous aurons besoin de témoignages spirituels, tels que le renouvellement de notre foi dans les principes du mode de vie démocratique. En acceptant la démocratie, nous avons contracté un engagement à perpétuité sur le plan des relations humaines.

N’importe qui peut copier une constitution et essayer de la mettre en pratique, mais élaborer un système efficace de gouvernement démocratique qui sache répondre aux besoins et aux aspirations du peuple exige énormément de clairvoyance de la part des hommes d’État et aussi beaucoup de compréhension de la part des citoyens.

Par ailleurs, nos idées sur la géographie ont évolué. Nos voisins ne sont plus seulement ceux qui se trouvent de l’autre côté de nos frontières, mais aussi les habitants des autres continents. Chaque jour le Service international de la Banque Royale du Canada effectue des milliers d’opérations pour le compte des Canadiens qui traitent des affaires avec l’Australie et les pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Sud.

Notre adhésion au Commonwealth et à l’Organisation des Nations Unies nous impose de nombreuses responsabilités. Au Pakistan, par exemple, une équipe de 150 Canadiens a contribué à la construction d’un barrage, d’une centrale électrique et d’un système d’irrigation. Nous avons également envoyé un contingent de militaires au Congo pour aider les Nations Unies à y maintenir la paix.

Il n’est pas question, à l’occasion du Centenaire de la Confédération, de chercher à imposer nos vues ni notre mode de vie aux autres peuples ; il reste cependant que nous avons, au cours de notre histoire, découvert certaines grandes vérités qui peuvent être utiles à l’humanité.

Notre avenir

Le canadianisme, qui a pris naissance longtemps avant la Confédération, mais qui a reçu une orientation bien définie en 1867, n’est pas simplement un instrument qui servirait à faire face à des conditions nouvelles. Voici ce que disait, il y a vingt ans, Mr J. B. Brebner, dans une allocution devant la Société historique du Canada : « Le canadianisme… est fait de plus de trois siècles de luttes victorieuses contre un milieu hostile, de plus d’un siècle d’adaptation et d’inventivité politiques, et d’un conservatisme que l’adversité – l’histoire l’a prouvé – peut transformer en détermination indomptable. »

Tous tant que nous sommes, quelle que soit notre origine ethnique, nos croyances religieuses, notre couleur, notre situation, nous avons le plus vif intérêt à voir le Canada prospérer. Or, ce n’est que par l’union de tous ceux qui en font partie qu’un pays peut triompher des embûches du hasard et du changement. L’histoire nous offre le triste spectacle des petits états de la Grèce que l’égoïsme, la jalousie et les rivalités conduisirent à leur perte.

Comment allons-nous contribuer, au cours de l’année du Centenaire, à l’unité dont nous avons tant besoin ? Nous pourrions utilement nous inspirer dans ce cas de l’exemple de la Semaine de la citoyenneté. De même que nous avons une semaine de la citoyenneté pour les Néo-Canadiens, pourquoi ne ferions-nous pas de 1967 l’Année de la citoyenneté pour tous les Canadiens ?

Il est nécessaire de rafraichir de temps à autre notre « citoyenneté » si nous ne voulons pas qu’elle finisse par perdre sa signification. Le titre de citoyen n’est pas un héritage qu’on conserve sans aucun effort. Chaque génération doit le mériter, et il est bon que nous réfléchissions quelquefois sur sa valeur et ses obligations.

Ainsi, une année consacrée à la citoyenneté nous permettra de resserrer nos liens de fraternité et de travailler avec plus d’ardeur à la réalisation de notre idéal commun. Ce sera aussi une excellente occasion d’intensifier notre lutte contre les trois grands ennemis du civisme : l’indolence, l’égoïsme et le chauvinisme. Être bon citoyen, ce n’est pas seulement exercer son droit de vote ; c’est surtout savoir vivre avec les autres.

Faire quelque chose de remarquable

À titre d’héritiers de nobles et grandes traditions, nous devons faire quelque chose de remarquable pour souligner le Centenaire de la Confédération. L’événement ne manque pas d’intérêt. Les étrangers nous reprochent souvent d’être peu démonstratifs ; montrons-leur, pour une fois, que nous pouvons être enthousiastes et que nous savons vraiment faire les choses.

Les remords sont toujours plus cuisants quand on a tous les avantages et que l’on néglige d’en tirer parti. Chacun devrait se dire : « Puisque c’est le Centenaire de la Confédération, moi aussi je vais m’efforcer d’être à la hauteur ! »

Comme l’histoire ne doit pas être seulement un souvenir et un témoignage, mais encore une leçon et un enseignement, que le passé glorieux que nous évoquerons par des manifestations spéciales, à l’occasion du Centenaire, nous apprenne à garder jalousement les traditions que les ancêtres nous ont léguées, afin que le présent et l’avenir ne soient pas moins splendides et que notre pays, encore frémissant de jeunesse et d’esperance, devienne, au milieu des nations, un modèle parfaitement conforme à l’idéal que le Maître du monde a fixé aux patries humaines.