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L’eau fait si étroitement partie de notre vie quotidienne que nous n’y pensons guère. Mais bien peu de problèmes sont plus caractéristiques de notre société moderne que la lutte contre la pollution de l’eau.

L’eau propre est indispensable à la vie. De plus, elle est nécessaire à l’industrie, à l’agriculture, ainsi qu’à la conservation et à l’exploitation des nombreuses ressources naturelles qui font notre richesse.

La situation est assez paradoxale : au milieu d’une aisance et d’une sécurité de plus en plus grandes, au milieu d’une surabondance de commodités et de petites inventions visant à rendre notre existence matérielle plus heureuse, la menace que fait peser sur la vie elle-même la pollution de nos sources d’eau s’accroît de jour en jour.

Partout dans le monde, on s’inquiète devant le danger que représentent pour la vie humaine la rareté de l’eau aux points où l’on en a besoin et la pollution de l’eau qu’utilisent l’homme et les animaux qui lui servent de nourriture. Deux cents spécialistes scientifiques appartenant à trente-trois pays différents se sont réunis à Paris, l’année dernière, pour étudier le problème. Pour ce qui est du manque d’eau, ils ont constaté qu’en certains endroits on puise l’eau dans le sol mille fois plus vite qu’elle n’est remplacée par les pluies. D’où la nécessité d’employer maintes et maintes fois la même eau.

L’eau du St-Laurent, captée par les services d’eau de maison et les usines, a été utilisée et rejetée par des centaines de villes. Les distances qui séparent les décharges d’égout des prises d’eau diminuent constamment par suite de l’augmentation de la population et de l’accroissement des nouvelles agglomérations industrielles et d’habitation.

Il n’y a rien de criminel ni même de moralement mal dans cette multiplication des industries et des villes. C’est là le résultat des efforts incessants que l’homme déploie pour adapter son milieu matériel à l’évolution de ses besoins économiques et sociaux. Ce qui serait mal, ce serait de continuer à considérer l’eau comme un don gratuit et à ne rien faire pour réparer les dommages que nous causons. Il nous faut apprendre sans tarder à mesurer et à enrayer le danger qui nous menace. Jusqu’ici il semble bien que nous ayons négligé de nous poser la question : « Comment pouvons-nous mettre un terme à l’empoisonnement de l’eau ? » et que nous nous soyons contentés de compter sur les prescriptions préventives ou réparatrices de la science pour nous sauver.

Les causes de la pollution

La pollution a deux sources principales : les eaux d’égout ménagères et les déchets industriels. En plus du péril qu’il fait courir à la santé, ce fléau nous dérobe nos poissons de sport et nos baignades naturelles ; il nous prive de nos crustacés et de nos poissons commerciaux ; il diminue la valeur de nos terres, dont il amoindrit l’apparence et l’utilité ; il rend notre eau de boisson nauséabonde et répand des odeurs désagréables. Nos ponts, nos quais, nos navires ne sont pas à l’abri de ses ravages.

Il est révoltant de penser que la plupart des gens des régions industrialisées n’ont jamais vu le moindre cours d’eau complètement exempt de pollution d’origine humaine.

Jusqu’à maintenant nous nous sommes fiés les yeux fermés à la nature pour nous protéger, mais n’est-ce pas trop exiger de la nature que de charger une rivière ou un plan d’eau quelconque des pires impuretés et de lui demander de nous donner immédiatement une eau saine et limpide.

Avant l’essor démographique et industriel de notre pays, la pollution ne constituait pas un problème sérieux, car les déchets de chaque ville étaient dilués par l’eau courante, oxygénés par les bactéries, utilisés comme engrais par les plantes aquatiques et filtrés par le sable et le gravier des rivières, de sorte que l’eau parvenait aux autres consommateurs riverains dans un état relativement propre.

Malheureusement, la multiplication des villes et de leurs points de déversement a introduit dans l’eau une quantité intolérable de poisons provenant des usines, des abattoirs et des eaux ménagères. Ces poisons tuent la végétation assainissante et épuise l’oxygène purificateur de l’eau ; ils entravent l’action filtrante des couches de gravier qu’ils chargent d’immondices.

Nous avons accepté tout cela avec indifférence et l’espoir que nos stations municipales de filtrage pourraient transformer un liquide trouble et corrompu en eau potable. Cette attitude est loin de faire honneur à l’intelligence de ceux qui ont permis à une pareille situation de persister.

Qu’est-ce que la pollution ?

Il importe de préciser que c’est nous qui sommes responsables de la pollution de nos ressources en eau. Ceci dit, la pollution est l’évacuation dans le réseau d’alimentation de matières qui altèrent la qualité de l’eau au point d’empêcher la collectivité de l’utiliser avec le maximum d’avantage.

En quoi consistent ces matières ? Elles se composent des déchets de l’organisme, des eaux de bain et de vaisselle ou de lavage des restaurants, des buanderies, des hôtels et des hôpitaux, ainsi que des autres eaux usées des établissements qui pourvoient à nos besoins. Voilà pour notre contribution personnelle. Il y a, en outre, les déchets industriels, comme les acides, les produits chimiques, les graisses, les huiles, les matières animales et végétales.

On a cru pendant des siècles que l’eau qui n’était pas désagréable aux sens pouvait servir à n’importe quelle fin. L’eau amère, malodorante ou colorée était considérée comme impropre à la consommation. Aujourd’hui, grâce aux découvertes de Leeuwenhoek, de Pasteur, de Koch et de Lister, nous connaissons les dangers que peut receler l’eau claire et inodore. Nous avons appris à dépister non seulement les microbes, mais aussi les virus qui contaminent l’eau. Ce qu’il nous faut maintenant, c’est une formule qui nous permettra de mesurer les effets nocifs des nombreuses substances chimiques susceptibles de résister au traitement par les méthodes classiques. Toute analyse de la pollution chimique de l’eau, à l’heure actuelle, doit tenir compte des déchets de tous les nouveaux produits que sont les détergents, les insecticides et les herbicides, de même que de la radioactivité.

Les déchets industriels

Aujourd’hui, la question de la pureté de l’eau a autant d’importance pour le propriétaire d’usine que pour le consommateur ordinaire. Beaucoup de localités ont perdu de magnifiques occasions d’avoir des industries sur leur territoire parce que leur eau ne répondait pas aux besoins des entreprises en cause. Trop de collectivités insistent pour que l’industrie surveille ses eaux résiduaires, tandis que les municipalités elles-mêmes contaminent les cours d’eau en y déversant des eaux d’égout non traitées ou insuffisamment traitées.

Au cours des vingt-cinq dernières années, l’industrie a généralement mis moins de temps que les municipalités à assumer ses responsabilités en matière de conservation de l’eau. Elle a dépensé plusieurs millions de dollars pour assurer la destruction des déchets et améliorer ses méthodes d’épuration.

On tend de plus en plus à faire entrer le coût des installations de traitement des déchets industriels dans les frais d’établissement des usines et à considérer l’opération elle-même comme partie intégrante des frais d’exploitation. Aux États-Unis, les entreprises de produits chimiques consacrent quarante millions de dollars par année au traitement de leurs sous-produits indésirables ; les fabricants de pâte et de papier ont affecté près de cent millions aux procédés d’épuration depuis dix ans et réduit ainsi de moitié leur taux de pollution par tonne de papier. Dans une usine du Québec, une machine à brûler les écorces détruit 150,000 livres par jour d’un agent de pollution qui, autrement, s’en irait à la rivière.

Les chercheurs s’efforcent sans cesse de découvrir des améliorations. Il faudra trouver graduellement de nouvelles méthodes de destruction ou de traitement si nous voulons suivre les transformations de notre économie.

Les produits antiparasitaires

Le plus grand rival de l’homme dans le domaine de l’alimentation, c’est l’insecte. Notre survie exige que nous lui lassions une lutte efficace.

Il ne s’ensuit pas cependant que nous devons tuer à coup de pulvérisateur tout ce qui rampe, vole, pique ou perce. N’avons-nous pas trop souvent exterminé, en même temps, des oiseaux, des animaux, des poissons et des abeilles, et empoisonné les eaux que nous buvons, et les fruits et les légumes que nous mangeons ?

Appliqués avec prudence, les antiparasitaires peuvent faire beaucoup pour l’agriculture et protéger notre santé, mais leur usage comporte un risque calculé et exige une éducation généralisée. Les cultivateurs ont sûrement des obligations à remplir dans le bon emploi des produits chimiques, et ceux qui leur montrent à s’en servir ont des devoirs plus graves encore.

On trouve aujourd’hui sur le marché au moins 12,500 marques de produits antiparasitaires et plus de 200 composés de base, encore inconnus il y a dix ans. Ces produits, qui remplissent leur office sur terre, peuvent s’introduire dans nos réserves d’eau par application directe sur la surface de l’eau, par écoulement à partir des champs traités ou par infiltration dans les eaux de l’aire d’alimentation. Cette contamination sème la mort chez les poissons, les oiseaux, les animaux aquatiques, et peut constituer un danger pour l’homme. Comme le disait un délégué, à la Conférence nationale sur la pollution de l’eau, à Washington, en décembre 1960 : « nous courons un risque inutile lorsque nous continuons allègrement à nous servir de ces produits en nous disant que personne encore n’en est mort. »

Il est nécessaire de lutter contre les parasites, mais il est impérieux que cette lutte soit dirigée d’une façon sérieuse et intelligente, et que l’on tienne dûment compte des autres intérêts qui entrent en jeu dans l’extermination des parasites.

Pour commencer, il faudrait enseigner au public, à l’école ou par l’entremise de l’agronome de comté, que les liquides de pulvérisation et les insecticides de toutes sortes sont des produits extrêmement toxiques pour les poissons et qu’ils ne doivent pas pénétrer dans nos eaux. Une déclaration énergique à l’échelon national et par les gouvernements provinciaux ne pourrait que contribuer au bien général de la population.

Les eaux porteuses de maladies

Le chef du bureau de biologie du Ministère de la Pêche et de la Chasse de la province de Québec, M. Gustave Prévost, disait en février : « Les gens sont maintenant si habitués à vivre au milieu des eaux polluées qu’ils sont indifférents au problème et qu’ils l’acceptent comme un mal nécessaire. »

Tout le monde se repose sur le fait incontestable que la science a vaincu les grandes maladies d’origine hydrique, mais il n’en reste pas moins vrai que l’on n’a pas encore supprimé la source de ces maladies : la pollution.

Certes le mur de protection érigé par la science empêche-t-il les épidémies de ravager nos villes, mais la pollution s’infiltre petit à petit dans les interstices. De vagues dérangements intestinaux nous forcent à garder le lit pendant quelques jours, et nous apprenons en arrivant au bureau ou à l’usine que d’autres aussi ont dû s’aliter.

Il est grandement temps de prendre des mesures énergiques pour combattre la pollution. S’il s’est écoulé soixante ans entre la découverte du fait que le choléra était imputable à l’ingestion d’eau polluée par les égouts et les premiers signes d’enrayement de la typhoïde, de la diarrhée endémique et de la dysenterie, il est permis de supposer qu’il coulera encore beaucoup d’eau sous les ponts avant que nous ayons réussi à assainir nos cours d’eau.

La faune sauvage et notre plaisir

Il n’y a pas seulement les humains qui souffrent de la pollution. Celle-ci menace l’existence des oiseaux, des poissons et des autres animaux sauvages, de même que de la végétation et des petits insectes aquatiques ainsi que des mollusques dont se nourrissent notre gibier d’eau et nos poissons de sport.

La pollution a fait de nombreuses victimes chez les oiseaux aquatiques, dans les Grands Lacs et les eaux qui les réunissent. Ainsi, pour ne citer qu’un cas, quelque dix mille canards sauvages, parmi les plus rares, ont été empoisonnés, dans la rivière Détroit, par des eaux d’égout non traitées.

Aux États-Unis, l’aire d’habitation que la pollution soustrait chaque année aux poissons et à la vie sauvage est plus étendue que celle que leur restituent tous les organismes publics de conservation et de repeuplement.

Le rapport qui existe entre la population piscicole et la pollution de l’eau n’intéresse pas uniquement la recherche pure. Il a une importance capitale pour le pêcheur à la ligne qui découvre un ruisseau rempli de poissons morts et pour le pêcheur commercial qui ne trouve plus de poissons dans son territoire de pêche.

Ces gens, qui respectent le poisson et la pêche, et qui les considèrent comme une source d’alimentation et de délassement, pressent de plus en plus les autorités d’imposer au moins les mesures de protection les plus élémentaires. C’est en vain que l’on tentera de repeupler nos eaux en y déposant des alevins si le milieu où vit le poisson est contaminé.

Il y a trois sortes de déchets qui sont nuisibles aux poissons : les matières organiques qui privent l’eau de son oxygène ; les substances directement toxiques ; les déchets inorganiques dont l’action mécanique est préjudiciable au poisson ou à son habitat.

La pollution par les produits pétroliers a aussi sa place parmi les agents défavorables aux poissons. Tôt ou tard, les navires, particulièrement ceux qui utilisent nos eaux intérieures, devront être en mesure de traiter leurs déchets à bord ou de les pomper à terre pour les traiter.

L’épuration des eaux d’égout

La situation qui entraîne la pollution de nos rivières par les eaux d’égout a échappé à notre action avant que nous saisissions toute la gravité du problème, et nous n’avons pas eu assez d’énergie pour nous rattraper, encore moins pour prendre le dessus.

Les méthodes de traitement des eaux d’égout, qui ont fait des progrès considérables, sont aujourd’hui très efficaces. Une première opération permet de débarrasser ces eaux de 35 p. 100 environ de leurs impuretés, par voie de tamisage et de sédimentation. Une seconde opération en élimine, au moyen de filtres ou du procédé des boues activées, les déchets qui y sont en solution ou en suspension. Grâce à ce double traitement, il est possible de retenir près de 90 p. 100 de la matière organique présente dans les eaux d’égout.

Pourquoi ce traitement n’est-il pas généralisé au Canada ? Il y a au moins deux raisons à cela : le besoin n’en a pas été compris et le coût n’est pas attirant. La première de ces raisons tient au manque d’éducation du public ; la seconde n’est pas tellement grave si l’on analyse les faits. Le coût, réparti sur une période de trente à cinquante ans, affirme M. Prévost, serait inférieur à un cent par jour et par personne. Il existe, ajoute-t-il, 350 stations d’épuration en Ontario. Bien qu’il y en ait environ quarante dans la province de Québec, trois ou quatre seulement traitent les eaux d’égout d’une façon complète avant de les déverser dans les rivières et les ruisseaux.

Quoi qu’il en soit du coût, il semble que les autorités publiques à travers le Canada commencent à secouer l’inertie qui les a empêchées d’agir.

Le Premier ministre a déclaré en novembre dernier que la pollution des rivières et des cours d’eau du Canada est « l’un des plus grands dangers latents qui menace notre économie tout entière ». En mars, on annonçait que le gouvernement fédéral avait voté une aide de 100 millions de dollars et qu’il était disposé à prêter jusqu’à 66 p. 100 des frais de construction et à faire don de 25 p. 100 de ce montant à toute municipalité qui terminerait ses travaux avant le 31 mars 1963.

Une commission nationale de 16 membres, composée d’ingénieurs et de spécialistes scientifiques en vue, procède à l’étude de l’emploi, de la conservation et de la protection contre la pollution de nos ressources en eau. Le rapport de cette commission doit être publié à la fin de l’année.

L’Ontario veut aussi faire sa part. La somme affectée à la lutte contre la pollution de ses cours d’eau, a dit le Premier ministre de cette province, sera six fois supérieure au coût de la canalisation du St-Laurent.

Dans Québec, on a en mars dernier présenté des mémoires au gouvernement sur la gravité de la situation dans cette province et sur le besoin urgent d’y remédier. En mai, le gouvernement a décidé d’instituer un office permanent de purification des eaux, dotée de vastes pouvoirs, et il a offert de l’aide financière aux municipalités en s’engageant à payer un sixième des dépenses. M. Gustave Prévost vient d’être nommé président de cet organisme.

À qui incombe la responsabilité ?

À qui incombe en fin de compte la responsabilité de l’épuration ? La réponse est aussi simple que claire : chaque ville, petite ou grande, chaque industrie a le devoir de réparer le mal qu’elle cause en polluant les eaux. L’assainissement des fleuves, des rivières et des ruisseaux exige la collaboration de tous les riverains.

Villes et industries doivent naturellement faire appel à l’aide des spécialistes et des techniciens. Mais ceux qui prescrivent les remèdes doivent à leur tour tenir compte de tous les usagers de l’eau.

Si l’eau pure et propre, pour l’homme et l’industrie, est essentielle, la faune de nos cours d’eau et de nos lacs ne l’est pas moins. La société en souffrira si l’on tente de diriger l’exploitation d’un secteur de nos ressources de base sans prendre tous les autres en considération. Mais ce qui importe surtout c’est qu’on ne tarde pas à agir et à mettre les décisions en pratique. Voilà pourquoi la lutte contre la pollution des eaux exige la coordination des efforts de toute la population, ainsi qu’une direction dynamique et une action efficace.

La lutte contre la pollution de l’eau a sa place parmi les buts de la plupart des services municipaux, des entreprises commerciales et industrielles, des sociétés de conservation et de bien-être. Tous ces organismes peuvent faire quelque chose et ne doivent pas se contenter d’adopter des résolutions. Qu’ils s’intéressent à la navigation ou à la natation, à la chasse ou à la pêche, à l’irrigation ou à l’égouttement, ou seulement aux beautés de la nature, tous doivent unir leurs voix pour réclamer des mesures.

Mener une lutte positive

Jusqu’ici la lutte contre la pollution a consisté surtout à réparer les dégâts ; à l’avenir, notre action devra être préventive. La pollution effrénée est un outrage à la bienséance, auquel on ne peut remédier que par des méthodes et une lutte positives.

La science et la technique nous ont donné les moyens nécessaires pour combattre ce fléau et nous pouvons en attendre des instruments meilleurs encore. Tout ce que nous avons à faire, c’est de nous mettre au travail avec ardeur.

Mais il convient d’agir avec calme et maturité d’esprit ; la panique n’aboutirait qu’aux demi-mesures et aux solutions incomplètes.

Si nous voulons sincèrement faire le nécessaire, il nous sera peut-être donné de voir, de notre vivant, nos cours d’eau bien nettoyés et restaurés, et de laisser après nous des eaux claires et limpides, riches de vie animale, où les générations futures pourront retrouver le plaisir de vivre et puiser une nourriture saine et abondante.