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L’état est un ensemble de citoyens que leur appartenance à une même collectivité oblige à se soumettre à un code de comportement commun. Pour qu’il puisse en être ainsi, ces hommes choisissent le gouvernement qui leur paraît le mieux en mesure, par sa nature, sa qualité et sa composition, de répondre à leurs besoins présents, ainsi qu’à leurs espoirs et à leurs aspirations.

Il importe de ne pas se méprendre sur cette double fonction du gouvernement : il doit tout à la fois assurer les nécessités immédiates et élaborer des plans destinés à permettre à chaque citoyen de réaliser, dans les conditions les plus favorables, les choses qui ont le plus de valeur à ses yeux.

Nous vivons à une époque où des doctrines illusoires nous font entrevoir la possibilité de brûler les étapes. Idéalisant certains des aspects les moins extraordinaires de la société, exploitant l’égoïsme et l’ignorance, elles fomentent la lutte entre les races, les croyances, les individus et les peuples.

Ceux qui jouissent des bienfaits de la démocratie occidentale ne doivent pas contempler avec suffisance leur félicité actuelle. Ils ne pourront la conserver que s’ils savent discerner l’esprit au delà de la façade, rester aussi conscients des grands principes moraux que des caractéristiques matérielles et extérieures de la démocratie.

Certains objecteront peut-être que c’est là une conception trop idéaliste du gouvernement. Mais il faut qu’un gouvernement ait des idéaux – comme les affaires, la science, l’enseignement et toutes les autres activités humaines – sinon il n’est pas à la hauteur de ses responsabilités.

L’histoire n’est en somme que l’exposé des efforts déployés par l’homme pour atteindre ce qu’il y a de mieux, d’après lui, parmi les choses que la vie lui réserve et pour maintenir l’ordre, afin que l’enrichissement de l’existence se poursuive de génération en génération. Il appartient précisément au gouvernement de créer le milieu ambiant dans lequel cette progression pourra s’effectuer.

Ceux-là même qui fuient un régime ne peuvent pas se passer de gouvernement. Les pèlerins du Mayflower se constituèrent en corps politique avant l’arrivée de leur petit navire sur les côtes de l’Amérique. Aucun témoignage dans l’histoire de l’humanité ne vient corroborer l’idée qu’un groupe d’êtres humains puissent exister sans gouvernement. Mais pour avoir un exemple d’anarchie, il suffit de s’arrêter à un coin de rue particulièrement passant lorsque l’agent de la circulation s’absente pendant quelques instants. Un embouteillage se forme, les chauffeurs s’énervent et jouent rageusement du klaxon.

Les Canadiens ne considèrent pas l’État comme une espèce de suzerain, mais comme une créature de leurs mains, comme un serviteur. Le gouvernement de l’État est confié à un groupe d’hommes et de femmes que les citoyens estiment capables de s’acquitter de fonctions de gestion, de prévoyance et de protection. La meilleure forme de gouvernement devient ainsi le gouvernement par des hommes de bien, doués des qualités requises pour remplir ces obligations.

Les buts et les principes

Pour bien remplir sa mission, un gouvernement doit avoir des buts précis, concrets et bien définis. Ces buts varieront naturellement d’un pays à l’autre, suivant les circonstances et le milieu, mais le critère suprême ou la question essentielle demeurera toujours la même : les citoyens jouissent-ils de la protection voulue et de la prospérité ?

L’une des qualités primordiales dans le gouvernement est l’intégrité. Ce qui fait la force d’un gouvernement, c’est la certitude chez les gouvernés que les gouvernants ne cachent rien et disent la vérité. Il y a dans la loi d’équité une maxime que l’on pourrait paraphraser ainsi : « Celui qui veut gouverner doit avoir les mains nettes. »

En théorie, lorsqu’un représentant est élu par le peuple, il entre dans le gouvernement et non dans la politique. L’objet d’un parti politique est de réunir ceux qui ont les mêmes vues sur certaines questions, afin de leur permettre d’appliquer leurs principes. Quand un député siège au parlement, il a le devoir de se former une opinion après avoir écouté tous les points de vue dans un débat et de se servir de son influence pour gouverner suivant les intérêts de toute la population.

D’une façon générale, le Canada a eu l’avantage de posséder jusqu’ici des partis politiques aux principes élevés. Composés d’hommes et de femmes convaincus et déterminés à expliquer leurs opinions pour gagner l’appui du public, nos partis ne se sont pas abaissés à faire trafic de leur influence ; ils n’ont pas renoncé à leur honnêteté par opportunisme ou sectarisme politique. Nos grandes figures politiques ont vu dans le gouvernement un art et une science qu’il faut apprendre et non pas seulement une charge à remporter.

Dans un État démocratique, les hommes qui forment le gouvernement ont pour mission de représenter les citoyens. Ils croient à la souveraineté du peuple, au suffrage universel, au droit de gouverner de la majorité.

Nous sommes portés à considérer la démocratie comme une chose tout à fait naturelle et à condamner ceux qui l’abandonnent. Mais il y a lieu de nous montrer indulgents dans nos jugements et de veiller sur notre propre stabilité. Certains pays appartenant à d’autres continents ont, vraiment plus que le Canada, vécu sur le penchant de la ruine, économique ou politique. Nous n’avons jamais connu l’épreuve de l’effondrement économique qui a amené la destruction de la république de Weimar, ni la calamité dissolvante d’avoir un Kenya, une Rhodésie ou une Algérie à notre porte.

La question la plus importante n’est pas de savoir s’il existe une forme de gouvernement démocratique, mais si la population du Canada accepte les principes sur lesquels repose le gouvernement démocratique et si elle y est profondément attachée.

La « démocratie directe », telle qu’elle se pratiquait jadis à Athènes, serait impossible dans une nation moderne. À mesure que la population augmente, il devient de plus en plus difficile aux citoyens d’assister à l’Assemblée du peuple. Voilà pourquoi la « démocratie directe » a fait place au gouvernement par des représentants élus.

L’électeur va dans ce qu’on appelle un isoloir, où il remplit son bulletin de vote en faisant une croix vis-à-vis du nom du candidat par lequel il veut se faire représenter. Cette petite croix nomme le représentant à un poste de confiance qui comporte de grandes responsabilités. Il devra désormais demeurer en contact étroit avec les opinions de tous ceux qu’il représente, et non pas seulement de ceux qui ont voté pour lui.

Le Canada est divisé géographiquement, économiquement et historiquement en plusieurs secteurs, dont les intérêts sont souvent opposés, mais le Parlement n’est pas un congrès d’ambassadeurs chargés de représenter des intérêts différents et hostiles. Le « gouvernement représentatif » est celui où le député doit être prêt à examiner les réclamations de sa circonscription à la lumière du bien du Canada tout entier. Les intérêts particuliers et mesquins doivent ici céder le pas à la compréhension et à la tolérance mutuelles. Les citoyens et leurs représentants doivent penser en Canadiens.

La protection de la loi

Si nous voulons éviter l’anarchie, nous devons nous soumettre à la loi. Cette règle s’applique aux gouvernements comme aux citoyens. Elle impose une limite à l’autorité arbitraire. Il en découle que toutes les mesures du gouvernement doivent être autorisées par des lois, qui sont appliquées et interprétées par les tribunaux. Personne ne saurait toucher impunément à un principe plus essentiel au bonheur d’une nation que la justice et la sauvegarde contre l’arbitraire.

L’administration de la justice constitue l’une des fonctions les plus nobles du gouvernement du Canada. Le pouvoir judiciaire est demeuré incorruptible et exempt d’ingérence politique et de l’influence populaire. Il a la charge d’appliquer les lois édictées par les autorités fédérales, provinciales et municipales de façon à assurer à chacun un traitement juste et honorable.

La loi est un solide rempart contre l’abus du pouvoir par le gouvernement. Le dix-neuvième siècle a subi la domination de l’économique, mais la tyrannie qui menace notre siècle est celle de l’État. Les gouvernements de certains pays accomplissent des actes répréhensibles en donnant pour excuse que ces actes qu’ils savent mauvais contribueront en fin de compte au bien général. L’argument selon lequel une fin bonne justifie l’emploi de moyens injustes, argument porté à sa perfection par Machiavel, est encore en honneur dans plusieurs parties de l’univers.

Entre les deux guerres, certaines personnes en vinrent à la conclusion que les dictatures étaient supérieures aux démocraties parce que Hitler avait revivifié l’économie de l’Allemagne et Mussolini permis aux trains italiens d’arriver à l’heure. L’histoire a démontré toute la fausseté de cette opinion. Le cumul de pouvoirs absolus par un seul homme ou par un petit groupe d’hommes, si habiles soient-ils, conduit inévitablement à l’abus de l’autorité.

Sous le régime démocratique du Canada, le pouvoir est réparti entre trois secteurs solidaires les uns des autres : le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Chacun d’entre eux – le parlement, le cabinet et les tribunaux – a son rôle propre à jouer, mais chacun sert aussi de contrepoids aux autres. Aucun gouvernement ne peut outrepasser inutilement ses pouvoirs sans s’exposer à la censure. Il n’y a pas moyen d’échapper à cette règle, même dans les circonstances les plus critiques.

Renseigner la population

Vu que le gouvernement tient ses pouvoirs du peuple, il est absolument nécessaire que le peuple connaisse le mécanisme du gouvernement et exerce son droit de le faire fonctionner. Une opinion publique bien informée sait demeurer au-dessus de la paresseuse tendance qui consiste à se désintéresser de l’activité politique. La négligence d’exercer ses droits aboutit au scepticisme social et au défaitisme.

Beaucoup de Canadiens sont d’une naïveté déconcertante en matière de politique. Il en est encore qui votent de telle ou telle façon parce que leurs parents faisaient de même ; mais il y en a aussi des centaines de milliers qui votent dans le sens où les entraînent les débats du jour. Aucun de ceux qui ont respiré l’atmosphère politique au cours des dix dernières années ne minimisera l’importance de ce vote non engagé.

La sauvegarde du régime démocratique exige que les citoyens soient renseignés de façon constante et exacte sur les affaires publiques. Les fonctions gouvernementales sont devenues d’une complexité extrême dans notre monde perpétuellement en proie au malaise et à l’inquiétude. L’ignorance de ces fonctions, l’indifférence et l’attitude qui consiste à s’en remettre entièrement au député, ne peuvent que mener au désastre.

Pour avoir la force de survivre, une démocratie doit compter sur l’intérêt éclairé de chaque citoyen. On objectera peut-être que les gens ne peuvent voter d’une manière intelligente dans un monde où les problèmes sont de plus en plus compliqués, mais les électeurs n’ont pas à se prononcer sur les détails de ces problèmes. Leur premier et leur plus évident devoir est de choisir des représentants qui se recommandent par leur intelligence et leur intégrité. Vient en second lieu l’obligation de se tenir au courant des questions qui se posent à leur pays et des mesures prises par leurs représentants pour les résoudre. Enfin, un troisième devoir consiste à faire en sorte que leurs opinions sur les questions importantes soient portées à la connaissance de leurs représentants.

Chaque électeur devrait exiger de celui qui sollicite son vote un énoncé du programme qu’il entend suivre au moins aussi clair que l’étiquette qu’il est en droit de trouver sur une boîte d’aliments ou une fiole de médicaments : non pas des déclarations vagues et nébuleuses, mais quelque chose de franc, net et précis.

Notre régime de gouvernement

Une monarchie constitutionnelle est un régime de gouvernement où les pouvoirs de la Couronne sont freinés par les conseillers de la Reine et où les conseillers de la Reine sont à leur tour soumis au freinage des représentants élus par le peuple. C’est la formule la plus heureuse de gouvernement démocratique que le monde ait inventée jusqu’ici.

Aux termes de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, « le gouvernement et le pouvoir exécutifs au Canada sont attribués à la Reine ». Les fonctions de la Couronne sont exercées par le gouverneur général conformément aux principes établis de la responsabilité ministérielle. Dans la pratique, le pouvoir exécutif appartient au conseil des ministres ou cabinet.

Le Canada est un État fédératif : certains pouvoirs sont confiés au gouvernement central, tandis que certains autres sont réservés aux gouvernements provinciaux. Cette fédération a pour fondement juridique une loi du Parlement impérial, connue sous le nom d’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, et les modifications qui y ont été apportées. Ce document, qui unissait les quatre premières provinces, constituait le cadre général où devaient venir s’insérer, en temps opportun, les six autres provinces de la Confédération.

L’Acte de l’Amérique du Nord britannique ne précise pas les droits, mais il est dit dans son préambule que les premières provinces du Canada formaient le voeu d’être unies fédérativement « par une constitution analogue en principe à celle du Royaume-Uni ». Il est donc permis d’affirmer qu’il était entendu dès lors que les institutions fondamentales de la démocratie, qui s’étaient implantées dans le régime britannique au cours des siècles, devaient aussi appartenir au Canada, tels la primauté du droit, la liberté de parole et de la presse, la liberté de réunion et d’association, la liberté du culte, l’habeas corpus, le principe qu’un homme est présumé innocent tant que l’on n’a pas prouvé sa culpabilité. De fait, ces droits ont toujours été reconnus par notre constitution non écrite.

Le gouvernement en action

Au sommet du pouvoir exécutif du gouvernement se trouve le Premier ministre entouré des membres de son cabinet. Chacun des ministres du cabinet est chargé de diriger un ministère de l’État, composé d’un personnel de fonctionnaires ayant à sa tête un sous-ministre nommé par le gouvernement.

Les principales caractéristiques du cabinet sont le secret, l’unité de vues, la responsabilité collective et la responsabilité envers le Parlement. Son action modératrice s’exerce sur la Chambre des communes grâce à sa prérogative de dissolution. Les membres en sont choisis de manière à assurer la représentation des principaux intérêts ethniques, religieux et sociaux du Canada.

La plus importante fonction du cabinet est de prendre des initiatives, de diriger le pays, d’élaborer une politique nationale, de faire face aux situations critiques du présent et d’établir des plans d’action pour l’avenir. Un cabinet qui s’acquitte de cette tâche d’une façon objective et méthodique jouit de la confiance de la population. Lorsqu’une mesure du gouvernement est rejetée au Parlement, on dit que le cabinet a « perdu la confiance » de la Chambre, et ses membres donnent leur démission.

Le Parlement canadien se compose de deux chambres : le Sénat et la Chambre des communes. Le Sénat a notamment pour fonction d’examiner toutes les lois adoptées par les Communes, mais il peut aussi présenter des projets de lois s’il juge la chose opportune et dans l’intérêt du pays. Il n’a pas été conçu pour faire concurrence à la Chambre des communes, mais plutôt, comme le disait le premier Premier ministre du Canada, pour être une deuxième chambre capable de jeter avec sérénité un dernier coup d’oeil sur les lois dont la chambre basse prend l’initiative. Par sa nature, le Sénat constitue une protection pour les minorités et le régime social établi. Pour entrer en vigueur, les lois doivent être adoptées, à la majorité, par chacune des chambres du Parlement et porter la signature de la Reine ou de son représentant.

La principale sauvegarde de ce système réside en partie dans le fait que le gouvernement ne peut jamais tout faire à sa guise. Le parti qui a le plus de sièges est, suivant l’expression reçue, « au pouvoir », tandis que ses adversaires forment l’opposition. Toute nouvelle mesure est pour ainsi dire instruite devant un tribunal, où le gouvernement fait office d’avocat de la défense et où l’opposition représente les plaignants.

Le rôle de l’opposition n’est pas de faire de l’obstruction pour le seul plaisir de la chose. Il entre aussi dans ses attributions d’appuyer le gouvernement lorsqu’elle juge que celui-ci agit avec sagesse, mais sa principale fonction est de montrer de façon constructive quelles sont, à son avis, les améliorations qu’il conviendrait d’apporter à la politique du gouvernement. Il lui faut surtout convaincre les électeurs qu’elle a un solide programme de rechange à offrir pour remplacer celui qu’elle critique.

Les rouages du gouvernement

La fonction publique, plus communément appelée le service civil sous l’influence de l’anglais, occupe une place importante dans le fonctionnement du gouvernement. Sans le concours d’un personnel administratif honnête et compétent, il serait impossible de bien gouverner. C’est sur ce personnel de l’État que nous comptons pour assurer la mise en oeuvre des directives du gouvernement.

L’activité des fonctionnaires présente un grand intérêt pour les citoyens. Leurs relations avec le public doivent être empreintes de bonne volonté, de collaboration et de bienveillance. Le citoyen est en droit de s’attendre que l’on s’occupe de ses problèmes avec soin et diligence, et que l’on ait les égards voulus pour ses sentiments personnels.

Ceux qui font partie de la fonction publique ne doivent pas ignorer l’aversion du public pour certaines formes de bureaucratie. Que nous vivions sous le plus libéral des régimes démocratiques ou sous la plus totalitaire des dictatures, nous sommes dans un cas comme dans l’autre servis par des fonctionnaires désignés. Souvent ces agents de l’État sont chargés d’établir les règles qui régissent la mise à exécution dans le détail des lois générales votées par le Parlement. Il est impérieux, dans ces conditions, qu’ils n’oublient jamais en le faisant que les citoyens sont des êtres humains.

Il semble que l’on tende de plus en plus à multiplier les formulaires à remplir dans les rapports entre le public et l’administration. Une grande partie des inconvénients que présente cette façon de procéder disparaîtraient rapidement si l’on voulait bien renoncer au jargon ampoulé et pompeux des textes officiels et présenter ces formules, pour ainsi dire, avec le sourire.

Les critères d’un bon gouvernement

Un gouvernement se juge d’après ses mérites. Et l’on peut assez facilement apprécier ces mérites en répondant aux trois questions suivantes : Quel est son programme d’action ? Comment entend-il le réaliser ? Est-il fidèle à ses promesses ?

Pour qu’un gouvernement soit bon, il faut que la droiture de ses intentions s’accompagne d’actes réalistes et pratiques. La civilisation canadienne est fondée sur un patrimoine social que beaucoup d’autres pays peuvent nous envier. Notre conception de la vie exige de la grandeur de la part de nos gouvernants et de l’honnêteté dans leurs promesses ; de la loyauté envers tous les citoyens, sans aucune contrainte injustifiée envers qui que ce soit ; de l’économie dans la conduite d’une administration orientée vers le bien-être et la prospérité.

Il importe d’autre part de ne pas nous abandonner à un égoïsme matérialiste et myope. La démocratie athénienne n’a duré qu’un siècle tout au plus. Et pourquoi a-t-elle cessé d’exister ? Aristophane, qui connaissait la grandeur politique d’Athènes, nous le dit en mettant ces paroles sur les lèvres d’un de ses personnages : « Si deux orateurs proposaient, l’un de construire des navires de guerre et l’autre de relever les traitements officiels, celui qui parle des traitements l’emporterait haut la main sur celui qui parle des navires. » La démocratie athénienne, dont la puissance reposait sur la mer, devait périr moins d’une génération plus tard.

On peut dire qu’il y a crise politique lorsque nos institutions parlementaires semblent s’arrêter comme des jouets mécaniques parvenus au bout de leur ressort. Il y a des moments, en effet, où nous délaissons les lumineux plateaux de la liberté et de la responsabilité individuelles si chèrement acquises par nos ancêtres pour rétrograder vers les sombres vallées de la sujétion et de la servitude.

Mais en choisissant un bon gouvernement une nation peut mettre un frein à ces tendances et accomplir une oeuvre que le temps ne saurait altérer. Pour qu’il en soit ainsi, les citoyens doivent s’appliquer à rechercher la supériorité, à s’affranchir des préjugés, à discerner ce qui fait la valeur d’un gouvernement et à reconnaître que jamais la médiocrité ne remplacera l’excellence.

N’oublions pas l’avertissement que nous donne John Stuart Mill dans Le gouvernement représentatif : « Il se peut qu’un peuple préfère avoir un gouvernement libre, mais si, par indolence, par insouciance, par lâcheté ou par manque de patriotisme, ce peuple n’est pas capable des efforts nécessaires pour le conserver… il est peu probable qu’il en jouisse bien longtemps. »