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Beaucoup de personnes qui ne sont pas particulièrement douées ni très instruites arrivent cependant à bien s’exprimer par la parole et par la plume. En apprenant à manier la langue avec adresse, elles réussissent à passer de l’humble état d’individus isolés à la vie féconde de la communication avec leurs semblables. Elles parviennent à sortir de l’obscurité où elles stagnaient, dans les affaires ou la vie sociale, et à atteindre un succès impressionnant. Et c’est là une possibilité à la portée de tout le monde.

Des milliers de jeunes gens et de jeunes filles entrent, chaque année, dans les affaires ou dans une profession, avec la détermination de s’y faire une carrière épanouissante. Ils doivent apprendre dès maintenant – pendant leurs années de formation – à quel point leurs chances de réussite sont liées à leur aptitude à utiliser les mots avec justesse et à-propos.

Peu importe que votre travail ou votre profession soit plus ou moins étrangère aux subtilités du langage, la maîtrise de la langue ajoutera à votre compétence et accroîtra vos connaissances. Avant d’exprimer ses idées en paroles, il faut les penser en paroles. Plus les termes dans lesquels on pense sont expressifs et exacts, mieux on est armé pour faire face aux complexités de la vie. Savoir s’exprimer, c’est posséder un instrument essentiel de communication avec le monde qui nous entoure.

Quelques rares hommes d’affaires estiment que leur façon de parler ou d’écrire est sans importance. Mais les gens qui réussissent savent, eux, que celui qui ne sait pas se servir des mots avec précision n’a jamais la certitude d’avoir dit exactement ce qu’il voulait dire. Il n’a aucune assurance que son lecteur le comprendra. S’il est une chose pire encore que de ne pouvoir formuler une pensée, c’est de croire que l’on a dit quelque chose alors qu’il n’en est rien.

Écrire est un art

Si vous observez le double principe de la clarté et de la précision, et que vous écriviez avec simplicité et naturel, vous n’avez pas à trop vous inquiéter des attaques de la critique mesquine. Il ne suffit pas pour bien écrire d’appliquer les règles de la grammaire et de la syntaxe, mais avant de violer ces règles, il importe de les connaître.

Les bons rédacteurs étudient les mots afin d’employer le terme juste, et ils recherchent la meilleure façon de les assembler. Ils savent combien les mots influent sur la pensée et l’action des hommes.

L’envie d’écrire comme on parle peut nous entraîner dans un piège. Si quelqu’un emploie dans ses lettres ou ses écrits une langue trop verveuse, sa prose n’aboutira qu’à lui faire des ennemis ou à le rendre ridicule. Un article ou un rapport qui aurait le décousu de la conversation n’inspirerait guère le respect.

Dans toute rédaction destinée à communiquer des idées, l’auteur doit tenir compte du but qu’il veut atteindre et des besoins du lecteur. Il est absurde de s’asseoir, avec un stylo et du papier, pour écrire quelque chose qui en vaut la peine à moins de savoir : 1° ce que l’on veut dire et 2° à qui on veut le dire.

On peut supposer que les questions que se pose la personne qui reçoit une lettre sont à peu près celles-ci : De quoi traite cette lettre ? En quoi me concerne-t-elle ? Dit-elle la vérité ? Qu’est-ce que l’auteur attend de moi ? Pourquoi le ferais-je ?

L’écrit créateur est un pont entre l’esprit du rédacteur et celui de son lecteur. Sur ce pont le rédacteur doit faire passer une information qui intéresse le lecteur ainsi que des idées qui l’inciteront à réfléchir ou à agir.

Les mots transmis de l’autre côté du pont n’ont un sens que lorsque la personne qui les lit en comprend toute la portée. Un mot ou une phrase n’est pas simplement un faisceau d’ondes sonores ; c’est aussi un faisceau d’associations. La plupart du temps, le lecteur ne saisit notre idée que s’il peut la relier à son expérience personnelle.

Les gens réagissent spontanément à certains mots alors qu’ils demeurent indifférents à d’autres. Appliquez-vous à employer des mots et un langage qui auront sur votre correspondant l’effet que vous désirez. Tenez compte du champ de perception de votre lecteur : êtes-vous certain qu’il dégagera de votre lettre les idées que vous vouliez lui inspirer ?

S’il s’agit d’un sujet difficile, s’il vous faut plonger le lecteur dans un terrain marécageux, jetez-lui au moins la perche. Aidez-le un peu à atteindre la terre ferme. Il y a des moments où la persuasion consiste à dire des choses qui laissent croire au lecteur que c’est exactement ainsi qu’il aurait parlé lui-même. Mais ayez le tact de ne pas lui rappeler qu’il ne l’a pas fait.

Quiconque écrit pour un vaste public doit avoir égard aux particularités et aux répugnances éventuelles. Un recenseur chargé de faire la tournée des foyers avant des élections générales en Grande-Bretagne disait : « Un certain nombre de personnes se trouvent désarçonnées si on leur demande de quel sexe sont leurs enfants. Le mot « sexe » semble les choquer. J’ai bientôt appris qu’il valait mieux demander : « Combien de garçons ou combien de filles avez-vous ? »

Connaître son sujet

Il est nécessaire que celui qui écrit pour gagner les autres à ses vues s’appuie sur des faits, un fait étant quelque chose dont la véracité est reconnue. L’auteur doit disposer d’un arsenal de faits encore plus grand que celui dont il aura vraisemblablement besoin. Il est déprimant de prendre un bon départ, puis de manquer d’essence. Pour l’auteur d’une lettre, il est humiliant de se voir demander par le destinataire des faits qu’il aurait dû connaître suffisamment pour les fournir sans y être invité.

Un esprit encombré de renseignements, de suppositions et de théories disparates n’est pas en état de dicter une lettre. L’habileté du rédacteur se reconnaît notamment au fait qu’il ne s’écarte pas de la question. En écrivant, il arrive souvent que quelque chose vienne changer le cap de nos idées du nord au nord-nord-ouest. S’il n’est pas toujours souhaitable de combattre cette déviation, il est bon d’en avoir conscience.

Tenir des propos incohérents, c’est obscurcir le sujet traité. La concision n’est pas toujours l’essence de l’esprit. L’ennui véritable est que les discours et les lettres manquent trop d’à-propos, qu’ils sont trop ternes et trop débraillés. On a l’impression que l’auteur tire une cartouche de fusil de chasse chargée de mots dans l’espoir que certains atteindront peut-être la cible. Il n’en faut pas plus pour que certains discours et certaines lettres paraissent interminables.

La langue des affaires

Les hommes d’affaires n’ignorent pas que l’art de bien s’entendre avec les gens, de progresser dans leur travail et de vendre leurs produits repose sur la clarté des communications.

Il y a dans les affaires des personnes qui se sont laissé tromper par l’idée ignorantiste qu’il ne faut pas se préoccuper des êtres de chair et d’os qui se trouvent à l’autre extrémité du circuit de communication, mais écrire leurs lettres et adresser leurs appels téléphoniques à des abstractions appelées « clients » et « clients éventuels ». La rédaction de la correspondance peut devenir une opération aussi passionnante qu’intellectuellement absorbante si l’on est résolu à trouver les mots exacts qu’il faut dire à quelqu’un de bien réel.

Dès qu’une lettre quitte votre corbeille « DÉPART », c’est son contenu qui compte et non ce que vous avez dans la tête. Avant de signer une lettre, demandez-vous si elle a les qualités requises. Est-elle complète ? Est-elle courtoise ? Si grande que soit notre certitude d’avoir raison, il ne nous est jamais permis de manquer de civilité. Avez-vous terminé votre lettre en beauté ? Il est aussi important de soigner sa sortie que de réussir son entrée.

Votre lettre est plus qu’un exposé de faits. Elle est l’expression de votre personnalité, le symbole de votre qualité.

La question du style

En exprimant vos idées dans l’ordre voulu, avec des mots appropriés aux circonstances, vous écrirez en un style clair. Au moment de boire la ciguë, Socrate exhortait ses amis à ne pas faire attention à la forme, mais à penser à la vérité de ses paroles.

La lumière et les ombres sont aussi nécessaires dans les écrits que dans la sculpture, mais l’exagération dans un sens ou dans l’autre obscurcit le message que l’on veut transmettre. Ne vous croyez pas obligé d’élever le ton à tout bout de champ. Votre lecteur saura regarder un arc-en-ciel sans qu’il soit nécessaire d’attirer son attention par un coup de tonnerre.

Le rédacteur de bon goût – certains disent « intelligent » – s’appliquera si bien à perfectionner son style que le lecteur n’y décèlera aucun effort. Lorsque le style transparaît dans un texte, on a l’impression de se trouver derrière la scène et de voir à nu les accessoires, les câbles et les poulies. Quelqu’un a dit du bon style qu’il était d’apparence aussi détachée que le vol rasant d’une libellule.

Le style est étroitement lié aux sentiments. On peut énoncer un fait ou une vérité de manière à ne toucher que l’intelligence, mais on peut l’exprimer aussi en des termes qui, sans en atténuer la clarté, s’adressent par leur harmonie et leur rigueur à la sensibilité du lecteur.

Trouvez le temps de bayer aux étoiles entre vos séances de rédaction. C’est un bon moyen de découvrir des idées et de les auréoler de brillantes images. Cela vous aidera, si vous voulez que vos idées paraissent animées par l’inspiration, à donner l’impression qu’elles le sont.

En communiquant une pensée on peut la faire comprendre en en illustrant la mise en action ou en recourant aux contrastes. Lorsque vous faites une affirmation générale qui a de l’importance par rapport au but que vous poursuivez, faites-la suivre d’une preuve ou d’exemples explicatifs.

L’un des procédés les plus efficaces que l’on puisse utiliser en écrivant est la parabole, image consistant à présenter un récit pour faire ressortir un argument. Il n’est pas question de faire appel aux hiéroglyphes, comme le faisaient nos lointains ancêtres, mais plus un mot ou une phrase tend à dépeindre ce qu’il veut dire, plus il est facile à comprendre.

On n’apprécie pas les mots uniquement à cause des idées qu’ils transmettent. Si vous analysez les raisons pour lesquelles tel vers ou tel passage d’un texte vous ravit, vous constaterez que votre ravissement ne tient qu’en partie à l’évocation des faits ou des sentiments sur lesquels il attire votre attention. Il provient aussi, dans une large mesure, de la beauté qui se dégage de l’harmonieuse sonorité des mots et des phrases.

Les poètes recherchent les mots qui font image. La Fontaine fait dire au lion excédé : « Va-t’en, chétif insecte, excrément de la terre ! » Un prosateur aurait peut-être écrit : « Cesse de m’importuner, sale bestiole ! »

La poésie recourt aux synonymes par souci de variété, de mesure et de rime ; c’est donc le lieu par excellence où puiser des mots propres à ajouter du rythme et de la précision à notre prose.

Acquérir du vocabulaire

Les mots et les récits qu’ils rapportent ne nous sont pas donnés en héritage. Si souvent qu’ait été racontée la légende d’Aladin et de sa lampe merveilleuse, il faut la redire sans cesse pour chaque enfant, chaque fois qu’une nouvelle génération entre en scène.

En nous constituant un vocabulaire apte à exprimer toutes nos pensées, nos espérances et nos émotions, nous devons nous rappeler que les mots sont des symboles, qu’ils représentent les choses. Sans les mots, nous serions condamnés à transporter avec nous des quantités d’objets, comme les professeurs dans la satire Laputa de Gulliver.

En s’améliorant, votre vocabulaire deviendra plus considérable et plus vaste, mais il acquerra aussi plus de profondeur et de précision, ce qui vous permettra d’employer le symbole langagier qui évoque le plus fidèlement la chose symbolisée. Vous pourrez ainsi exprimer avec discernement les faits, les idées et les expériences. Un mot « mis en sa place » est un peu comme un interrupteur électrique : quelque chose qui allume la lumière.

Notre bagage de mots s’enrichit grâce aux expériences dont nos vies sont tissées. Nous écrivons de façon saisissante, vivante et intéressante lorsque nous puisons dans cette incomparable réserve.

Il importe d’observer attentivement et de près ce qui se passe autour de nous si nous voulons écrire brillamment. Qui n’a vu à l’oeuvre un photographe de la nature : il met la lentille de son appareil près des fleurs ou aussi proche que possible d’un oiseau ou d’un papillon. Et la lentille révèle des beautés invisibles à l’oeil et les projette sur un écran. C’est ainsi que les poètes et les grands écrivains émaillent leurs ouvres de comparaisons et d’images verbales, fruits de leur observation et de leur imagination créatrice.

La première source d’enrichissement du vocabulaire après l’observation est la lecture. La science des mots ne nous est pas donnée par enchantement à la fin de nos études scolaires ou universitaires. Elle résulte de la fréquentation des écrivains de talent par l’intermédiaire de leurs livres.

Le but de la lecture n’est pas d’apprendre à écrire comme Molière, de Gaulle ou Churchill, mais de comparer avec profit diverses sortes de style et de s’initier par l’exemple au meilleur emploi possible des mots. Ce genre de lecture est l’oeuvre de toute la vie ; elle nous permet de nous tenir à la page en regardant défiler la multitude des mots dans les combinaisons et les décors les plus variés.

L’emploi du dictionnaire

Le rôle d’un dictionnaire est de faire connaître les divers emplois des mots et non d’en prescrire ou d’en proscrire les significations. Voyez combien de sens différents ont les mots. Certains ont pris de l’extension au cours des ans, tandis que d’autres ont vu leur signification se limiter. Vous aurez de temps en temps la surprise de constater que le sens que vous attribuez couramment à un mot n’est pas au dictionnaire.

Lorsqu’on écrit sur un sujet spécialisé, il faut compléter le dictionnaire général par des listes de termes appropriés au domaine en cause. Chaque métier, chaque profession a des mots pour exprimer ses principes et ses usages. Les chercheurs médicaux, les astronautes, les historiens ont des activités différentes et partant des langages différents. Aussi pourra-t-il se trouver dans la bibliothèque de celui qui écrit des dictionnaires de biologie, de géographie, de géologie, de droit, de musique, de mythologie, de philosophie, de psychologie, etc.

Certaines personnes qualifient de « jargon » ces langages spécialisés, mais l’emploi de mots spéciaux ne mérite le nom de jargon que s’il sert à communiquer avec des non initiés. Entre spécialistes, c’est un moyen d’expression normal. Il ne faut cependant pas exagérer et à en venir à créer un langage inintelligible comme celui que Robert Beauvais a stigmatisé dans L’Hexagonal, tel qu’on le parle.

Extension et compréhension des mots

Le rédacteur digne de ce nom sait utiliser les instruments de son métier avec soin et talent. Il choisit ses mots comme un bon mécanicien choisit ses outils pour faire le plus beau travail possible.

Les mots, sélectionnés par la partie consciente de l’esprit, se transforment en images dans le subconscient. Certains termes et certains symboles ont un sens bien précis. Ainsi le signe ( exprime une constante : le rapport entre la circonférence du cercle et son diamètre ; la formule CLNa représente un composé chimique, le chlorure de sodium, et elle désigne toujours cette substance et rien d’autre. Peu de termes courants ont une extension aussi limitée. Prenez les mots « mère » et « père » par exemple. Leur signification s’applique à de multiples domaines d’emploi comme « mère patrie », « mère nourricière » ; le « père du mensonge », « père de l’Église », etc.

L’interprétation que nous attribuons aux mots est liée aux images qu’ils évoquent. On peut dire que « prêcheur » et « prédicateur » signifient à peu près la même chose, mais notez la distinction que l’on peut faire entre les deux : « prêcheur » éveille l’idée de celui qui aime faire la morale aux autres, alors que « prédicateur » n’a aucun sens péjoratif.

Pour discerner la compréhension et l’extension des mots, nous disposons de recueils de synonymes. Les meilleurs ouvrages de ce genre sont le Dictionnaire des idées suggérées par les mots, de Paul Rouaix (Armand Colin) ; le Dictionnaire des synonymes, de Henri Bénac (Hachette) ; et le Dictionnaire des synonymes, de René Bailly (Larousse).

Certains écrivains conseillent, pour cerner le sens précis des mots, de tenir compte à la fois des antonymes et des synonymes, afin de savoir ce que les mots veulent dire et ne veulent pas dire.

Quiconque écrit est presque inévitablement tenté à certains moments d’enjoliver son texte en le parsemant de qualificatifs ; mais il se trouve aussi des gens absolument opposés à l’emploi des modificatifs. Il ne fait aucun doute que les adjectifs et les adverbes peuvent affaiblir une affirmation ou en obscurcir le sens.

Le talent du rédacteur ne se mesure pas à la longueur des mots qu’il emploie. Certains se gargarisent de grands mots sans se soucier de leur sens ; d’autres utilisent des mots d’une coudée pour traiter d’un sujet microscopique ; d’autres encore croient que leur dignité leur fait un devoir de se servir de mots multi-syllabiques.

Si votre désir d’employer des termes grandiloquents se révèle irrésistible, rappelez-vous ce que fit Shakespeare pour trouver un exutoire à son bagage de tonitruantes balivernes : il créa, à côté de Falstaff, le personnage de Pistol, spécialiste des discours vides de sens en vers majestueux.

Revoir son vocabulaire

Chacun devrait revoir de temps en temps ses habitudes langagières afin de marcher de pair avec la vie et l’usage. Le langage est une forme d’expression de l’activité humaine, et, comme l’activité humaine évolue sans cesse, le langage évolue aussi.

Au cours du dernier demi-siècle, l’invention accélérée de nouvelles idées, de nouvelles notions et de nouvelles machines a nécessité la création de mots nouveaux pour les désigner et les définir. L’ordinateur, la physique enseignée aux élèves des écoles secondaires, la complexité des firmes d’envergure mondiale ne pouvaient s’expliquer ni dans la langue grecque du temps d’Aristote ni avec le vocabulaire de Dumas, Dickens ou Tolstoï. Les grandes et pompeuses périodes de jadis n’ont pas plus le droit de vivre aujourd’hui que les phrases bourrées d’expressions argotiques forgées par une génération contestataire. Les unes et les autres ont encore à montrer qu’elles répondent à un besoin.

Il existe des normes générales du bon usage dans toutes les langues, et le fait qu’une langue évolue n’est pas une raison valable pour les mettre au rancart. Tout changement suppose un élément de continuité, et, si cet élément de continuité fait défaut, il ne s’agit plus de changement, mais de la destruction d’une chose et de la création d’une autre chose.

Une des tendances du jour est d’employer des mots laids. Pourtant, on peut très bien s’exprimer de façon intelligible sans recourir aux termes vils et disgracieux que certains écrivains répandent au nom de la liberté, de la franchise et du progrès. Comme le disait un auteur : « J’essaie de surveiller mes mots et de faire qu’ils restent doux et sains, car je ne sais pas si je n’aurai pas à en ravaler un jour ou l’autre. »

Ce qui menace la pureté du langage, ce n’est pas tant la vulgarité grossière des ignorants qui paraissent infatigables dans leur recherche de mots crus, sordides et violents, que l’inconsidération désinvolte des esprits cultivés ou soi-disant tels.

La discipline et le discernement jouent un rôle dans la bonne communication des idées. Ne vous laissez pas gagner par la mentalité du « n’importe quel mot fera l’affaire » et n’éparpillez pas les mots comme si vous secouiez un balai à franges. Employez des mots honnêtes, les plus aimables que vous trouvez, pour dire ce que vous voulez dire. Le choix des mots mérite de la part du rédacteur le même soin que celui qu’il apporterait à choisir une mouche pour pêcher ou un club pour jouer au golf.

Se relire

Posez-vous la question : « Comment mon texte se lit-il ? » Très souvent, l’auteur ne sait pas exactement ce qu’il a écrit avant de l’avoir relu.

Repassez votre lettre ou votre discours et demandez-vous si tel ou tel mot a le même effet, dans son contexte, qu’un autre mot pourrait avoir. Ceux qui ont du métier font de nombreux changements à ce stade.

Voyez si la langue que vous utilisez est appropriée à la circonstance, au sujet et à la personne à qui vous vous adressez.

Avez-vous clairement démontré que vous vous intéressez à ce que vous dites ? Un texte a de la force dans la mesure où il apporte l’assurance que l’auteur se soucie de ce qu’il écrit. Il en aura deux fois plus encore s’il porte le lecteur à croire qu’on le comprend et qu’on comprend ses problèmes.

Si l’on s’en tient à l’essentiel, le langage est utile pour autant qu’il sert à communiquer des choses utiles à connaître. Lorsque quelqu’un a de grandes idées mais qu’il ne peut les exprimer, c’est comme s’il essayait de faire passer un courant de haute tension dans un tout petit fil et que son seul recours fût de faire sauter les plombs.

Il n’est pas donné à tout le monde d’être un orateur éloquent ou un grand écrivain ; mais chacun peut, par l’entraînement et en s’adonnant systématiquement à la lecture et à l’observation, devenir un conférencier convaincant et un rédacteur intéressant.

Il importe de s’exercer avec la même persévérance qu’un musicien. S’il fallait attendre d’être passé maître dans l’art, jamais personne n’écrirait un livre.

Peut-être conviendrait-il de se dire chaque fois que l’on s’apprête à rédiger un texte : « Cette feuille de papier, comme le bloc de marbre de Michel-Ange, a en elle de grandes possibilités. »