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De l’âge de la pierre à nos jours, l’invention est demeurée l’une des grandes activités de l’homme. Elle nous a apporté d’immenses bienfaits, mais elle a aussi entraîné des problèmes sur ses pas. Il s’agit de savoir comment utiliser l’invention au mieux de nos intérêts, attendu qu’elle ne cessera jamais…

Parmi les jouets que les magasins canadiens offriront à leurs clients cette année, durant la saison des étrennes, figurera une petite auto mue selon le principe de la toupie ou du gyroscope. Il suffit d’en faire rouler les roues en les frottant rapidement sur le parquet. Cela a pour effet d’imprimer un mouvement de rotation à un volant en plomb dissimulé à l’intérieur de la mini-voiture. Grâce à son poids relativement lourd, le volant restera assez longtemps en rotation pour propulser le petit véhicule autour de la pièce, exploit réalisé sans pile ni moteur.

Ce mécanisme est une application originale de la force de rotation et de stabilisation de la toupie et de la faculté qu’a le volant d’emmagasiner de l’énergie. Ces phénomènes, connus depuis des siècles, ont été mis en usage dans de nombreux pays. La toupie remonte à l’antiquité, aux lieux de divertissement de la Grèce et de la Chine. Son cousin le gyroscope – appareil plus compliqué qui semble défier la force de gravitation dans certains de ses tours d’équilibre – a conduit à des inventions aussi intelligentes que le gyrocompas, le gyropilote et le gyrostabilisateur, autant d’instruments précieux dont les lignes aériennes et les compagnies de navigation pourraient difficilement se passer.

Il n’est pas surprenant que les jouets aient été la source de bien des inventions. L’ardeur fantaisiste et libre de préoccupations utilitaires qui pousse un esprit inventif à créer un ravissant jouet semble aussi ouvrir des voies nouvelles à la personne qui cherche à se libérer des contraintes du conformisme et à réaliser des innovations pratiques.

Les jouets sont non seulement les annonciateurs des machines et des appareils à venir, mais aussi le reflet de l’état de la technique. Les garçonnets du Canada jouent aujourd’hui avec des fusées spatiales d’enfants comme les petits Parisiens jouaient avec des ballons après la première ascension des frères de Montgolfier en 1783.

Le monde s’est toujours émerveillé devant le prodige de l’invention. La capacité d’inventer – caractéristique universelle de l’espèce humaine à travers les âges – est un attribut qui a permis aux hommes de s’adapter à des milieux divers pour améliorer leurs conditions de vie. Par l’invention, l’homme a dompté le feu, l’électricité et l’atome, découvert les principes de la mécanique et de la chimie, appris à fixer ses idées par l’écriture et par l’image et accompli certaines des percées les plus admirables de la civilisation.

L’invention se définit parfois comme un effort créateur incarné dans un objet matériel. Elle se rattache étroitement à la découverte scientifique, révélation de ce que la nature recelait déjà. Mais les inventions ne se limitent pas aux nouveaux dispositifs. Elles peuvent aussi être des améliorations ou d’heureuses combinaisons des choses existantes.

Dans un sens, on peut considérer l’application du principe utilisé dans un jouet à la vie de tous les jours comme un simple perfectionnement de l’idée originale. La machine à vapeur, sujet de prédilection de ceux qui étudient l’histoire de l’invention, tire son origine d’un ancien jouet, imaginé par Héron d’Alexandrie. L’appareil consistait en une boule de métal creuse remplie d’eau et suspendue au-dessus d’une flamme. En s’échappant par des becs opposés, la vapeur d’eau faisait tourner la sphère.

Chose curieuse, la découverte d’Héron ne provoqua aucun développement important du principe de la force motrice de la vapeur avant la fin du XVIIe siècle ou le début du XVIIIe. Les expériences pratiques effectuées avec tant de retard devaient se terminer par l’invention de la machine à vapeur moderne à condenseur par l’ingénieur écossais James Watt, qui la fit breveter en 1769.

Si toutes les grandes inventions n’ont pas eu des origines extravagantes, les registres canadiens des brevets semblent pourtant témoigner de tours d’esprit assez bizarres chez nos inventeurs d’une autre époque. En 1889, par exemple, une dame de Calgary inventa un relève-jupe mécanique destiné à remonter discrètement le bord de sa jupe lorsqu’elle traversait une rue poussiéreuse.

Si l’inventivité est un indice de réussite nationale, le Canada a grandement raison d’être fier. Le Bureau canadien des brevets possède une liste impressionnante de créations inventives, qui remonte à 1791, année où le Conseil des ministres délivra une série de brevets concernant un procédé de fabrication de la potasse. Depuis, des inventeurs canadiens ou résidant au Canada ont fait oeuvre de pionniers dans les domaines du transport (autoneige, hydroptère, avion à décollage et atterrissage courts), de l’alimentation et de l’agriculture (moissonneuses, céréales précuites appelées Pablum, blé hâtif et résistant aux maladies) et les télécommunications (téléphone, lampe radio c.a. et bélinographie).

D’autres inventions canadiennes, moins connues mais importantes, sont celles du pétrole lampant en 1846 par Abraham Gesner, d’Halifax ; le premier hélice à pas variable en 1927 par Wallace Robert Turnbull, de Rothesay (N.-B.) ; le premier appareil photo panoramique en 1887 par John Connor, d’Elora (Ont.).

Un spécialiste canadien, auteur de plusieurs ouvrages sur l’invention, J. J. Brown, écrit que la contribution apportée par le Canada au monde des sciences et de la technique est hors de proportion avec sa faible population. Il déplore cependant que beaucoup de bonnes idées aient dû émigrer pour se réaliser, désavantage auquel on pourra remédier à l’avenir en assurant une considération plus générale et plus officielle à l’inventeur canadien et à ses découvertes.

L’inventeur unique proprement dit n’existe pas

Sur un plan plus vaste, il est évident que les bonnes idées ne s’arrêtent pas aux frontières géographiques. Brown observe que « l’inventeur individuel qui serait l’unique auteur d’une invention particulière n’existe pas en réalité. Tout homme, dit-il, monte sur les épaules de ses prédécesseurs. » Ernest Rutherford, dont les expériences aux universités McGill et Manchester, au début des années 1900, témoignent de la composition interne de l’atome, avait coutume de dire : « La science est internationale, et puisse-t-elle le demeurer longtemps ». On pourrait en dire autant de l’invention.

L’histoire des inventions à travers le monde démontre l’universalité de la pensée innovatrice. Il arrive souvent que des découvertes identiques voient le jour en même temps dans différents pays. C’est ce qu’on appelle l’invention simultanée. Ce phénomène tient moins qu’il ne semble de la coïncidence ; les inventeurs sont soumis aux mêmes incitations de la vie quotidienne que le reste des hommes. Les progrès de la technique se répandent vite. Il est donc logique que les esprits créateurs se précipitent sur les plus intéressants et suivent les mêmes voies de recherche. Rien d’étonnant si les annales des inventions sont remplies de litiges et de réclamations de priorité.

Si un musée des inventions simultanées était fondé, il montrerait, comme le dit Brown dans son livre Idées en exil, comment la lumière électrique, le téléphone, l’enregistrement du son, le calcul infinitésimal, l’anesthésie, la propulsion par réaction, l’avion, la topologie, la géométrie non euclidienne, etc. ont tous été découverts vers la même époque dans différentes parties du monde.

On pourrait y voir une application du vieux dicton : Les grands esprits se rencontrent. Mais il y a désaccord entre les analystes de l’innovation au sujet de la nécessité d’un « grand esprit ». Une école met l’accent sur les conditions préalables, les événements et les faits qui vont inspirer l’invention. Le progrès technique dans un domaine dépend souvent des progrès techniques réalisés dans un autre. On a prétendu que si Watt avait inventé plus tôt son moteur à vapeur, les machines requises pour en fabriquer les pièces métalliques seraient aussi apparues avant.

Sans le bailleur de fonds, les résultats auraient été minces

Pour ce qui est de savoir si ou quand la machine à vapeur avec condenseur aurait été inventée si Watt n’était pas né c’est une question hypothétique qui ne recevra jamais de réponse satisfaisante. Mais il semble clair que sans le bailleur de fonds, sa découverte n’aurait guère eu de suite. Le rôle qu’ont joué les hommes nommés John Roebuck et Matthew Boulton dans l’histoire de la machine à vapeur sont à retenir. Ce sont eux qui ont fourni les capitaux et l’expérience des affaires nécessaires à la réussite de l’invention de Watt.

Les inventeurs se distinguent souvent par leurs efforts persistants, et combien de fois stériles, pour trouver des appuis aux créations de leur cerveau. Ce qu’ils recherchent ce n’est pas uniquement de l’aide financière, mais la reconnaissance de leur ingéniosité par le public. Quel inventeur n’a pas eu à combattre la résistance de la société au changement, aux idées nouvelles et aux nouvelles manières de faire. Les exemples abondent dans l’histoire de l’invention et de la technique. Une partie de la société se montre innovatrice, éclairée et audacieuse alors qu’une autre reste conservatrice, prudente et timide. N’a-t-on pas ridiculisé les frères Wright après leurs premières tentatives de vol ? Au XVIIIe siècle, l’ingénieur écossais Andrew Meikle, meunier qui perfectionna le moulin à vent et la batteuse, fut l’objet de vives critiques.

Lorsque la révolution industrielle naquit en Europe, l’opposition se rencontra surtout chez ceux dont la vie et le travail étaient encore fossilisés sous les règles des corps de métier du moyen âge. Les travailleurs craignaient, souvent très justement, de voir les machines les dépouiller de leurs gagne-pain.

Une des réactions les plus mémorables de l’histoire contre le progrès technique se produisit au début du XIXe siècle avec l’apparition des luddites à Nottingham et dans les districts avoisinants. Tirant leur nom d’un personnage réel ou légendaire appelé Ned Lud, ces bandes d’ouvriers se mirent à parcourir le pays pour détruire les machines et protester ainsi ouvertement contre la piètre qualité des marchandises, surtout les bas, fabriquées par les nouvelles machines.

Il ne fait aucun doute que, aujourd’hui comme à cette époque, l’introduction des inventions et des techniques nouvelles expose la société à des bouleversements et à des déplacements de main-d’oeuvre. De fait, les effets des techniques nouvelles se propagent beaucoup plus rapidement de notre temps que par le passé.

Alors qu’il s’est écoulé quelque 1800 ans avant l’utilisation pratique de la force motrice de la vapeur, il ne faut que quelques années à la société moderne pour passer de l’invention à ses applications. Le phénomène est parfois si rapide que la société n’a pas le temps de s’y adapter.

Les sciences sociales peuvent-elles progresser au même rythme que les sciences physiques ?

L’intervalle de plus en plus bref entre l’invention et son application peut avoir des conséquences néfastes sur la société et l’environnement. Le DDT, par exemple, fut salué comme l’insecticide le plus efficace du monde, et on l’employa libéralement pendant des années avant de comprendre vraiment la complexité des dommages qu’il causait à la nature.

Selon certains, le problème du chômage dû au changement technique résulterait de l’impuissance des sciences sociales à réaliser dans leur sphère des innovations comparables aux progrès des sciences physiques : à inventer, par exemple, des mécanismes sociaux, comme l’assurance-chômage, capables de maintenir la stabilité économique dans une région en attendant la création de nouveaux emplois. L’idéal est de laisser l’innovation résoudre les problèmes de l’innovation. Objectif admirable mais difficile à atteindre.

Prévoir l’usage qui sera fait d’une invention ou d’une découverte est souvent une tentative pleine d’embûches. L’exubérant lord Rutherford, fréquemment appelé le père de l’âge atomique, évaluait ainsi les possibilités de l’énergie nucléaire au cours d’une entrevue qu’il accordait au New York Herald Tribune en 1933 : « L’énergie produite par la fission de l’atome est une chose de qualité médiocre. Quiconque espère qu’une source d’énergie jaillira de la transformation de ces atomes dit des sornettes. »

Thomas Edison voyait plus juste en disant que les usages auxquels pourrait servir le phonographe qu’il avait inventé en 1878 concerneraient, entre autres, la musique, la dictée et les jouets parlants. Mais il est douteux qu’Edison ait prévu que l’industrie de l’enregistrement deviendrait ce qu’elle est aujourd’hui. C’eût été trop demander.

Edison conçut l’idée du phonographe en insérant un disque de papier dans un répéteur télégraphique. Ayant remarqué qu’une faible note musicale s’échappait de l’appareil rotatif, il construisit une machine pour en trouver la cause. Ce coup de chance ou cet heureux hasard n’est pas aussi rare qu’on le croit dans les inventions.

Les inventeurs modernes ne sauraient compter simplement sur la chance. Il leur arrive de travailler dans de grands laboratoires de recherches au sein d’équipes à mission spéciale qui utilisent les procédés les plus méthodiques possibles. Il est plus difficile aux inventeurs isolés d’aborder les tâches immenses que nécessitent l’extension et la complication des sciences et de la technique.

Pourtant, les grands esprits, les génies ayant du flair pour les idées nouvelles ont toujours leur nécessité. Ils constituent encore une source d’inspiration indispensable pour les inventions de groupe de notre époque.

Malgré le problème de l’acceptation sociale des nouveautés et des perturbations qu’elles entraînent parfois, l’invention et la technique sont restées le symbole de la victoire de l’homme sur l’adversité. Il est à noter, d’autre part, que la variété des inventions a correspondu à la diversité des milieux de vie. Jusqu’à un certain point, nous avons tous à faire preuve de talent inventif pour répondre aux besoins de notre état, qu’il s’agisse de trouver une méthode de travail plus commode, d’imaginer un programme d’ordinateur, d’adapter un appareil ménager à un usage particulier ou de fabriquer une nouvelle recette. L’invention est une réalité omniprésente de la vie. Il est impossible de l’éviter ou de s’en désintéresser.

L’humanité ne peut refuser l’ordinateur, le moteur à réaction et les télécommunications par satellite pour revenir à l’artisanat. Comme l’a dit le philosophe et psychologue américain John Dewey, « il n’y a pas de plus grand signe de paralysie de l’imagination que l’idée, soigneusement répandue par ceux qui se targuent d’un goût supérieur, que la machine est la source de nos maux… »

La poussée de la technique est beaucoup plus forte aujourd’hui qu’elle ne l’était dans la société de la première moitié du présent siècle, où Dewey prononçait ses conférences. On observe, par exemple, une orientation inquiétante de l’invention et de la recherche dans les domaines des armements et des manipulations génétiques. Les destructions et le gaspillage de ressources que l’invention peut provoquer suscitent des préoccupations nouvelles.

Le « frisbee » présage peut-être les soucoupes volantes de demain

Toute la question est de savoir quel usage vont faire les hommes de leur intelligence et de leur imagination, comment la société emploiera son ingéniosité collective pour parer aux dangers inhérents aux choses nouvelles, comment les peuples sauront utiliser le fruit des inventions de façon à satisfaire les besoins sociaux et d’intérêt pratique immédiat.

Si l’histoire peut nous servir de guide, l’humanité inventera toujours des choses et des machines nouvelles. Les jouets demeureront le reflet des progrès techniques de l’époque et montreront le chemin aux recherches des inventeurs. Le « frisbee » présage peut-être les soucoupes volantes habitées de demain. Les robots jouets si appréciés des enfants d’aujourd’hui sont peut-être un premier pas vers la création et la commercialisation de robots domestiques bon marché. La petite auto actionnée par un volant gyroscopique pourrait bien être le précurseur d’un moteur à volant d’usage général pour les autobus et le métro.

Toujours depuis l’âge des cavernes les hommes de chaque génération ont été fascinés à leur manière par l’invention. Elle s’est révélée comme étant un élément intégrant de l’esprit de l’espèce humaine. Réjouissons-nous aussi, à notre époque, de ses découvertes, mais veillons en même temps à les utiliser avec sagesse pour édifier un monde meilleur. Apprenons à vivre en bons termes avec l’homme cet inventeur, car il sera avec nous jusqu’à la fin des temps.