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Malheureusement, beaucoup l’appréhendent, et ils sont pris de panique à la pensée que la vie les gagne de vitesse, que la vieillesse et la mort approchent à grands pas. Que faire pour surmonter la crise de la quarantaine ? D’abord et avant tout considérer les années de cet âge comme un temps d’épanouissement et de renouvellement. Elles peuvent être les meilleures de notre vie…

Les dictionnaires ne nous renseignent guère sur le sens de l’expression âge moyen. Pour le Larousse, c’est simplement l’âge qui se situe à mi-chemin entre la jeunesse et la vieillesse. On avouera que ce n’est pas très clair. Mais l’absence de précision des lexicographes sur ce point est d’autant plus excusable que l’âge moyen est presque indéfinissable. Il est par-dessus tout cette chose mystérieuse qui s’appelle un état d’esprit.

Notre seule certitude à propos de ce terme, c’est qu’il est mal approprié. Si l’on prend l’espérance de vie moyenne des Canadiens d’aujourd’hui et qu’on la divise par le milieu, l’âge moyen commencera à 37 ans ½ pour la femme et à 35 ans pour l’homme, ce qui correspond mal à l’idée généralement admise de ce qui constitue l’âge moyen. Chez les occidentaux de notre époque, il faut avoir au moins 40 ans pour se dire d’âge moyen, et la plupart des personnes de 40 ans refusent de croire qu’elles ont déjà atteint ce palier de leur vie. Mais pour mieux cerner la notion d’âge moyen, il conviendrait peut-être d’essayer d’en expliquer la nature par des moyens plus imaginatifs que la norme chronologique.

« L’âge moyen, a-t-on dit, est celui où l’on connaît tant de gens que toute nouvelle connaissance nous rappelle quelqu’un d’autre. » C’est le moment où les agents de police commencent à nous paraître bien jeunes, et où l’on se prend, au beau milieu d’une réception, à souhaiter être dans son lit. C’est le jour où l’on ne se souvient plus du nom d’une jeune fille ou d’un jeune homme dont on a été éperdument amoureux, où l’on rencontre des adultes que l’on a connus au berceau. Celui où l’on conclut, avec George Bernard Shaw, que les jeunes ne savent que faire de la jeunesse.

« On ne résiste pas à l’âge », écrivait François Bacon dans son Régime de santé. Bien sûr que non ; mais, si Bacon avait 50 ans aujourd’hui, il aurait sans doute un physique beaucoup plus jeune que celui qu’il avait de son temps, il y a 450 ans passés. Les méthodes modernes de nutrition et la médecine préventive, sans compter la diffusion des techniques d’entretien de la bonne forme, ont singulièrement ralenti le processus du vieillissement. Les Nord-Américains de nos jours vivent en moyenne une bonne dizaine d’années de plus que leurs prédécesseurs de la fin du siècle dernier. Et ils conservent aussi beaucoup plus longtemps les caractères physiques de la jeunesse.

Aussi, au cours des dernières décennies, l’âge moyen est-il devenu un phénomène plutôt psychologique que physique. Il apparaît, la plupart du temps, lorsqu’on commence à ne plus se sentir encore jeune. Ce moment arrive dans la vie de tout adulte bien équilibré, et il doit être rien moins que mal venu. « L’âge ne me libérerait pas de la folie, dit à Antoine la Cléopâtre de Shakespeare, mais il me libère de la puérilité. » À tout le moins, l’âge moyen nous délivre des tâtonnements inévitables de la jeunesse.

« Un jeune homme, cela n’existe pas, a dit Anthony Trollope, car on n’est pas homme avant l’âge mûr. » Voilà certes un jugement que nul homme de moins de 40 ans ne voudrait admettre. Mais – qu’elles soient ou non subconsciemment sur la défensive – la majorité des personnes d’âge moyen interrogées dans les sondages affirment qu’elles ne désirent pas redevenir jeunes. Il serait assurément agréable de garder la vigueur et l’apparence de la jeunesse, mais cela vaut-il l’autorité, l’autonomie, l’aisance des relations interpersonnelles et l’assurance qu’apportent l’expérience et la maturité ?

Accéder à l’état d’esprit de l’âge moyen est un effort que certains n’arrivent jamais à accomplir. Le sort d’un homme ou d’une femme de quarante ou cinquante ans ayant encore une mentalité juvénile a quelque chose de navrant. Tandis qu’il y a de la splendeur dans la fleuraison de la maturité, dans l’oeil de celui qui sait qui il est, ce qu’il est et où il en est. Il y a de la joie à appliquer à bien juger une intelligence acquise par de longues années de vie et une profonde satisfaction à exercer des talents bien affinés.

Il est à noter que la plupart des grandes oeuvres, en histoire, en philosophie, en politique, en sciences et dans les arts, ont été réalisées par des personnes de 40 à 70 ans. N’est-il pas troublant dès lors que l’âge moyen passe si souvent pour une période de déclin intellectuel et physique ? D’après les meilleures informations scientifiques sur le fonctionnement du cerveau humain, si les gens d’âge moyen manquent d’adaptabilité mentale, ils possèdent en revanche le savoir et la compréhension. Un chercheur britannique a fait récemment une étude de la productivité chez les artistes, les hommes de science et les littérateurs décédés, dans 16 branches d’activité différentes. Et son enquête a révélé que l’âge de la plus grande productivité était de 40 à 50 ans dans presque tous les cas. Un seul domaine, celui de la musique de chambre, a fait ressortir une apogée plus précoce. Quant aux mathématiciens compris dans l’étude, ce n’est qu’après 60 ans qu’ils ont atteint leur maximum de fécondité.

Il est cependant compréhensible que le ralentissement physique qui intervient durant l’âge moyen s’accompagne d’un ralentissement analogue dans l’action de la pensée. Les hommes ou les femmes corpulents et massifs n’ont absolument pas l’air brillant et vif des jeunes gens minces et lestes. Les personnes d’un certain âge elles-mêmes peuvent en conclure que leurs facultés intellectuelles s’empâtent comme leur taille. Et il en est parfois ainsi : celui qui n’est pas en forme se fatigue plus facilement, et la fatigue peut retarder le travail de l’esprit.

Le vieillissement commence dès la naissance, mais ne se voit qu’à l’âge moyen

Les changements physiques sont quelquefois troublants. Cheveux gris et rides s’accentuent dans la glace, le matin ; les vêtements semblent devenir trop petits. La ménopause, avec son cortège de malaises, annonce aux femmes qu’elles ne seront plus jamais comme celles qui peuvent avoir des enfants. Chez les hommes aussi se produisent des changements physiologiques qu’ils confondent souvent avec une diminution de la puissance sexuelle.

Certes nous vieillissons pendant toute notre vie, mais c’est à l’âge moyen que nous commençons vraiment à le constater. La marche inexorable du temps, jointe à l’usure de la vie, nous rend plus sensibles qu’auparavant à la maladie. Nous sommes plus exposés à faire des séjours à l’hôpital pour une raison ou une autre. Nos médecins nous disent de restreindre ce qui pourrait nous nuire : tabac, alcool, surmenage, etc. Pour notre part, nous avons l’intuition, sinon l’idée, qu’un peu plus d’autodiscipline serait peut-être de mise.

Il est clair que nous devons nous attendre à un état de santé plus précaire au cours de l’âge moyen et compenser cet inconvénient en cultivant la tranquillité d’esprit. Mais aujourd’hui, nous avons pour la plupart le temps, les moyens et les connaissances voulues pour y remédier de façon pratique. La sobriété et l’exercice ont l’avantage non seulement de protéger notre santé, mais encore de nous permettre de nous bien sentir.

Si l’on compare un homme de 25 ans – point culminant de la perfection corporelle – avec un homme de 45 ans, disent les médecins, il n’y aura que très peu de différence physique entre eux. Si le quadragénaire a pris soin de son corps, il sera presque certainement aussi bien muni que son homologue de 25 ans en ce qui concerne l’exercice de toute activité physique normale, sauf les hautes performances athlétiques. Et il pourra le rester encore des années, car notre corps ne flanche pas de lui-même, mais par notre faute. Par des excès et des abus de toutes sortes, le plus souvent imputables à notre propre folie.

Une conscience plus vive de l’inévitable dénouement

Quoi qu’il en soit, l’âge moyen ne va pas sans une prise de conscience plus vive de l’inévitable dénouement final. Il n’est personne de 40 ans et plus qui n’ait déploré la perte d’un proche parent ou d’un ami intime. Nous savons tous que nous mourrons un jour ; mais, dans nos années d’âge moyen, nous avons le sentiment que ce jour n’est peut-être pas trop loin. Il nous arrive, en assistant aux enterrements, de réfléchir à l’humeur fantasque de la sinistre faucheuse. N’importe qui pourrait se trouver dans ce cercueil. Même nous.

La fréquence de la mort et de la maladie dans notre cercle de connaissances d’âge moyen nous rappelle combien le temps passe vite. On n’a jamais très bien expliqué pourquoi les années paraissent de moitié plus longues à 20 ans qu’à 30 ans et deux fois plus longues qu’à 40 ans ; c’est peut-être pour cela qu’il est impossible de faire comprendre aux jeunes qu’ils auront tôt fait d’atteindre l’âge moyen. C’est cette notion de la fuite du temps qui amène les gens d’âge moyen à ressasser leurs « années perdues », à rêver à ce qui aurait pu être si seulement ils avaient suivi telle ou telle ligne de conduite. Elle contribue au malaise que le psychiatre Elliot Jacques appelle « la crise du milieu de la vie », crise foncièrement liée au sentiment que le temps passe et que la vie nous gagne de vitesse.

« Demandez-vous si vous êtes heureux, dit John Stuart Mill dans son autobiographie, et vous cesserez vite de l’être. » Les personnes d’âge mûr ne peuvent s’empêcher de se poser la question, et, effectivement, celle-ci engendre souvent la tristesse. On peut douter s’il existe une personne sensée qui soit entièrement satisfaite de ce qu’elle a fait jusqu’à l’âge moyen. Nous avons tous accompli des choses que nous souhaiterions avoir faites autrement. Dans une société qui exalte la réussite, le grand danger de l’examen de conscience de l’âge moyen est le désappointement. L’esprit équilibré sait l’affronter, même en rire. « La jeunesse, écrit avec humour Henry David Thoreau, réunit ses matériaux pour construire un pont menant à la lune, ou encore un palais ou un temple sur terre, mais, en fin de compte, l’âge mûr décide de les employer pour bâtir un bûcher. »

Sortir d’une ornière ne va pas sans périls

Mais, dans certains cas, le désappointement peut mener au désastre, surtout s’il nous porte à nager à contre-courant. Un psychologue américain cite l’exemple d’un homme dans la quarantaine qui se mit soudain à la motocyclette pour tenter de retrouver sa jeunesse ; il se tua dans un accident. Les tragédies de l’âge mûr – dépressions nerveuses, alcoolisme, mariages rompus – sont souvent moins spectaculaires. Que peut-on y faire ? Certains prophètes conseillent un brusque changement du style de vie, et cela réussit parfois, comme dans le cas de la femme longtemps séquestrée qui prend un emploi ou se remet aux études. Mais il ne faut pas sous-estimer les dangers qu’il y a à vouloir « sortir de son ornière ». Bien des tentatives de transformer leur vie ne font que rendre les gens plus malheureux que jamais, particulièrement le divorce, avec la solitude et le chagrin qu’il peut entraîner.

« La crise de la quarantaine n’est pas un événement isolé que l’on peut séparer du reste de la vie d’une personne, écrit le Dr Homer R. Figler, dans la revue du National Conference Board. En général, ses symptômes évoluent lentement et ne se découvrent quelquefois que lorsqu’ils sont bien marqués. Ces symptômes, ajoute-t-il, comprennent entre autres l’insécurité, le découragement, l’indécision, le pressentiment de l’imminence d’un malheur, des sentiments de conflit entre ce que quelqu’un croit être et ce qu’il veut être, la nervosité, l’inquiétude, la sensation d’être dans une trappe, l’obsession de la mort, de la maladie, de la vieillesse. »

Les personnes d’âge moyen des deux sexes sont portées à penser que leur vie a cessé d’être utile. Une mère voyant que ses enfants n’ont plus besoin d’elle aura du mal à s’adapter à une relation nouvelle avec eux ; le père regrettera sa position dominante de maître de la maison quand ses enfants grandiront.

Au travail, les gens d’âge mûr en viennent à avoir conscience d’être négligés et indésirés à mesure que leurs jeunes collaborateurs accèdent à des postes plus élevés. Ils auront parfois une réaction d’hostilité ou de timidité. Ceux que la crise affecte dans leur profeSsion deviennent inconséquents, amers, rancuniers, méfiants et d’une autorité hésitante. Certains se limitent à « jouer serré » dans toutes leurs décisions, ce qui ne fait qu’empirer les choses.

« Le problème de l’âge moyen, écrit le sociologue Michael Fogarty, c’est la monotonie… C’est celui de l’ouvrier coincé dans son ornière depuis 20 ans ; du mariage dont la vitalité sombre dans la familiarité et l’ennui ; du couple d’âge moyen qui, ses enfants élevés et disposant de plus de temps et d’argent que jamais, pourrait se réépanouir dans une toute nouvelle gamme d’intérêts, mais qui trop souvent n’y parvient pas. »

Par ailleurs, C. S. Lewis note dans Screwtape Papers que « les longues années ennuyeuses et monotones de la prospérité et des adversités de l’âge moyen » offrent un excellent champ de manoeuvre au Malin. Les personnes affolées par l’âge moyen sont exposées à commettre des erreurs de jugement à un moment de la vie où l’on s’attendrait au contraire. Leur panique à l’approche de la vieillesse peut les jeter dans des aventures extra-conjugales dont l’issue est souvent déchirante. D’autres, devant la détresse apparente de leur vie, s’adonneront à l’alcool, qui finira peut-être par dominer – et ruiner – leur existence.

Le professeur Fogarty fait observer qu’il n’y a pas, pour marquer le début de l’âge moyen, de « rite de passage » comme dans le cas du mariage, de la naissance d’un premier enfant ou de la retraite. La première chose à faire pour remédier aux problèmes de l’âge moyen, dit-il, sera donc « d’amener les gens à l’accepter : à voir les possibilités de ce tournant de la vie et à en considérer les aspects positifs. »

C’est sans doute là la meilleure manière d’envisager l’âge moyen : comme un temps favorable plutôt que l’impasse pour laquelle on le prend trop souvent. Quand les enfants quittent le foyer familial, par exemple, c’est une occasion pour le couple d’amorcer une nouvelle et enrichissante relation parentale et d’employer utilement ses nombreux temps libres. Pour celui qui a l’impression de s’encroûter à la maison ou au travail, il y a toujours des choses nouvelles et différentes à apprendre et à essayer. Et le désir d’élargir ses horizons et de rechercher de nouveaux intérêts peut grandement contribuer à dissiper l’ennui qui détruit l’attrait du mariage.

Les meilleures choses ne s’acquièrent qu’avec l’âge

Les possibilités de renouvellement et d’épanouissement offertes aux gens d’âge moyen n’ont jamais été aussi vastes : possibilités d’apprendre, de participer à des activités nouvelles, de voir du pays, de faire des connaissances. Celui que son métier en vient à lasser trouve aujourd’hui de nombreuses occupations stimulantes en dehors de son travail.

Le grand avantage de l’âge moyen est bien entendu le solide acquis avec lequel on peut alors aborder les initiatives et les tâches à entreprendre. Les gens de cet âge possèdent une sagesse et un discernement qui ne s’acquièrent qu’avec les années.

C’est à nous de décider ce que nous voulons faire de l’âge moyen, de cette période de notre vie où nous sommes le plus autonomes, le moins dépendants des autres à l’exception de notre famille. C’est une route que nous devons parcourir par nous-mêmes, et elle n’est pas sans traquenards, ni impasses, ni faux virages. Mais si nous savons nous y prendre, elle nous conduira à l’épanouissement. Elle n’a rien de terrible pour qui sait se préparer.