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Fort discréditée il y a quelques années, la vie urbaine connaît un regain de faveur. Pour les touristes comme pour ses résidants, la ville est redevenue le lieu où habiter. Aux uns et aux autres, elle offre le merveilleux plaisir de la découverte. Cet attrait est aussi pour la ville une source de vitalité.

Un article récent du Saturday Review parlait d’un New-Yorkais de naissance installé depuis quelques années à la campagne. Il avait à maintes reprises invité son père, de New York, à venir passer quelque temps chez lui, mais il avait toujours reçu la même réponse : « Moi ? Séjourner à la campagne ? Quelle idée ! Où y peut-on aller faire un tour ? »

Sans déprécier aucunement les joies de la vie rurale, il est facile de comprendre le sentiment de ce citadin endurci. Sauf à l’ami informé de la nature, la campagne, si reposante soit-elle, paraît morne et inanimée. La ville, au contraire, – la ville proprement dite par opposition à la banlieue – est pleine d’animation. Il y a des amis des villes comme il y a des amis de la nature, les uns et les autres toujours à l’affût du détail ; pour les premiers, le panorama des rues possède un charme qui ne faiblit jamais.

C’est l’enchantement du kaléidoscope, du tableau toujours changeant des images et des couleurs. Quelqu’un peut emprunter cent fois la même rue et remarquer des choses auxquelles il n’avait jamais pris garde auparavant. Il peut s’agir de choses peu frappantes, comme une gargouille sur un toit, une enseigne dans une vitrine, un menu à la devanture d’un restaurant. Jamais observateur des oiseaux n’a vu un spectacle aussi bigarré. Le visage, l’aspect, le costume de la foule ondoyante changent sans cesse.

À l’approche de la saison des vacances d’été, des milliers de Canadiens se préparent à goûter les nombreux plaisirs de la ville. Certains iront outremer, d’autres aux États-Unis. Un plus grand nombre que jamais visiteront des villes du Canada, même s’ils habitent déjà d’autres villes canadiennes ou leurs banlieues. Ils se joindront aux résidants de ces villes dans leurs agréables tournées des choses à voir et à faire.

Par leurs voyages, ces touristes urbains participeront à une espèce de renaissance, qui a retenti non seulement sur le tourisme, mais aussi sur les styles de vie, les arts et le commerce. Car, après avoir longtemps négligé et même méprisé la grande ville, on est maintenant en train d’en redécouvrir la valeur. Que ce soit comme individus, en groupes ou par l’entremise de leurs représentants élus, les gens semblent vouloir insuffler une vie nouvelle à la pierre, à l’acier et au béton des quartiers des affaires. Ils reconnaissent de nouveau que la ville est le pivot de la civilisation et que, dans ce rôle, elle est indispensable.

L’idée que le public se fait de la ville a accompli une révolution presque complète en une seule génération. Dans les années 40, âge d’or de la radio, les ondes fourmillaient de chansons à succès chantant littéralement les louanges de la vie urbaine. Quand ce n’était pas Paris et Londres, c’était New York et la Nouvelle-Orléans. Pour ceux de cette époque, la grande ville représentait la chaleur, la bonne chère, le prestige, le romanesque.

Vingt ans plus tard, il était devenu tout aussi à la mode de déplorer le sort des villes – surtout, mais pas exclusivement, aux États-Unis – qu’il l’était autrefois de les exalter. Les intellectuels américains affirmaient en choeur que les villes vacillaient au bord de l’abîme. Et, de fait, les signes de la décadence qu’ils prédisaient se voyaient partout. Les émeutes, les incendies criminels et le pillage sévissaient dans beaucoup des immenses quartiers des villes américaines.

La situation n’a jamais été aussi sombre au Canada, où le souci traditionnel de l’ordre rendait nos villes relativement sûres pour leurs habitants et les visiteurs. Pourtant, la croissance de la criminalité et le chaos engendré par les manifestations et les grèves des services publics devaient amoindrir considérablement l’attirance des lumières de nos villes.

Aux États-Unis, le dépeuplement du milieu urbain a eu, entre autres, pour conséquences de susciter la déchéance des villes, le malaise social et une forte augmentation de la criminalité chez les démunis restés au coeur des villes. Ce phénomène entraîna, au Canada, des effets un peu différents, qui furent la dégradation et la stérilité. Cela concordait avec l’idée générale et outrée de certains spécialistes, selon qui la vie urbaine déshumanise les hommes en les transformant, soit en néo-barbares, soit en automates. À leur avis, le mal est imputable à l’asservissement de l’homme à la machine qui tend à dominer la vie moderne. Ce n’est, disent-ils, qu’en « réhumanisant » la ville qu’on pourra la sauver.

Heureusement, il semble que c’est justement ce qui se produit maintenant. Même dans les villes américaines les plus touchées par l’exode urbain des années 60, les ci-devant banlieusards reviennent vers les zones centrales, bravant des dangers manifestes pour se remettre dans le mouvement de la vie urbaine. Les Canadiens, eux aussi, témoignent d’un goût nouveau pour le coeur de leurs villes, à l’inverse de l’humeur qui les avait poussés à se réfugier dans les banlieues il y a quelques années. Toronto, par exemple, connaît un surcroît de vitalité depuis que certaines familles ont commencé à rénover et à habiter des maisons et d’autres bâtiments délabrés dans le voisinage du centre-ville.

Sortir des voitures et revenir à la marche à pied

Dans toute l’Amérique du Nord, le coeur des villes retrouve son rôle traditionnel de place du marché. Après avoir concentré, pendant des années, leur attention et leurs investissements sur les centres commerciaux de banlieue, les détaillants ont eu la fructueuse idée de réexaminer les perspectives marchandes des quartiers urbains des affaires. Des rues-piétons offrant sous un même toit toutes les possibilités d’achat et de divertissement de la Grande Rue sont venues s’ajouter aux grands magasins traditionnels. Dans l’optique du besoin de réhumanisation de la société, il est à noter que ces rues-piétons comptent davantage sur les promeneurs que sur les automobilistes. En sortant ces derniers de leurs voitures et en les obligeant à marcher, elles les ont remis en contact avec leurs semblables à un niveau humain fondamental.

La résurrection de la ville, presque considérée comme morte à un certain moment, semble attribuable à un fait qui a échappé aux prophètes d’antan. C’est que les hommes aiment habiter dans les villes malgré leur bruit, leur poussière, leurs dangers, etc. Ils aiment le clinquant, l’animation, le coudoiement, la sensation électrisante de la grande activité. En voulant être au sein des villes, les humains obéissent à une impulsion presque aussi vieille que l’humanité.

Dès les temps préhistoriques, les êtres humains commencent à se rassembler sur les places des marchés créées pour faire des échanges. Les habitants des régions éloignées y viennent avec leurs produits et passent probablement une nuit en ville à la belle étoile. Avec les siècles, un nombre toujours croissant de personnes décident de se fixer dans ces centres de commerce.

Certains deviennent des artisans, se chargeant de faire et de raccommoder des choses pour les gens venus des campagnes environnantes. Les maîtres, les prêtres et les lettrés font leur apparition. On construit des fortifications, des écoles et des lieux de culte et de divertissement. La culture primitive du peuple trouve son enrichissement et son apothéose dans les palais, les temples et la statuaire. Dans les abris qui servent de ports et sur les grandes routes commerciales s’amorcent des échanges avec les cultures des autres contrées.

À partir de l’âge du bronze, la ville est foyer actif de culture

Ainsi naquirent les villes du monde. Mais toutes les agglomérations de population ne sont pas de véritables grandes villes. La différence, dit-on, entre une ville et une grande ville réside dans le rôle, unique en son genre, de réservoir et de diffuseur de culture que joue la grande ville. Elle est demeurée, de l’âge du bronze à nos jours, un foyer actif de vie culturelle.

Par leur dimension culturelle, les villes ont toujours été des centres d’attraction pour les hommes de talent en quête de connaissances et d’inspiration. « La Ville, la Ville !, écrit Cicéron de sa bien-aimée Rome. Consacre-toi à elle et vis dans son incomparable lumière. » Par la seule étendue de sa population, la ville offre plus de latitude aux artistes et aux artisans pour donner libre cours à leurs aptitudes. C’est elle qui permet à Michel-Ange de peindre une fresque, à Molière de faire jouer une pièce, à Beethoven de présenter une symphonie, à Christopher Wren de bâtir une église.

Aujourd’hui encore, on retrouve dans bien des villes nord-américaines des choses qui ne pouvaient exister qu’en milieu urbain. Une petite ville, un faubourg ne peut se payer le luxe d’une grande bibliothèque, d’une galerie d’art ou d’un musée. Les orchestres symphoniques, les troupes d’opéra et de théâtre font parfois des tournées en province, mais la ville reste leur lieu de résidence naturel. Il en va de même, à de rares exceptions près, des équipes sportives professionnelles et des stades où elles pratiquent leur sport. Tous ont besoin des grandes concentrations où florit la culture urbaine.

L’étendue de la ville est l’une de ses principales sources de plaisir et d’édification. « Lorsqu’un homme est las de Londres, il est las de la vie, disait Samuel Johnson en 1777, car on trouve à Londres tout ce que la vie peut offrir. » Une grande ville est en soi un petit univers ; elle réunit tous les aspects de la vie dans des compartiments réduits et accessibles. Elle est à la fois un microcosme et un microscope en ce qu’elle renferme et grossit le meilleur et le pire de l’humanité. Le contraste urbain du bien et du mal, de la beauté et de la laideur a toujours alimenté la flamme créatrice des artistes de toutes sortes.

La variété existe à la fois dans les villes et entre les villes

Dans certaines villes, le monde entier se retrouve presque littéralement. Les Canadiens sont particulièrement avantagés sous ce rapport. Grâce à l’immigration et à la coutume canadienne d’encourager la diversité ethnique, peu de métropoles au monde sont aussi cosmopolites que les trois plus grandes villes du Canada. Mais certaines agglomérations moins considérables, comme Winnipeg et Hamilton, le sont quasi autant.

À Montréal, par exemple, on trouve dans une même rue, et ce sans dépasser trois pâtés de maisons, des restaurants russes, japonais, espagnols, italiens, chinois, français, arabes et antillais, ainsi que des bars américains et des pubs à l’anglaise. Et cette rue n’est pas unique par sa variété dans le centre cosmopolite de Montréal. Des quartiers complets de nos villes ont revêtu le caractère du pays d’origine de la majorité de leurs habitants. Il y a certains secteurs de Toronto où l’on jurerait être à Lisbonne et des rues de Vancouver qui pourraient aussi bien se trouver à Hong-Kong.

La diversité ethnique n’est qu’une des raisons pour lesquelles les Canadiens ont intérêt à découvrir leurs propres villes avant de regarder ailleurs. S’il y a de la variété au sein des villes canadiennes, il en existe aussi beaucoup entre ces mêmes villes. Une personne de Calgary, disons, notera une différence extrême avec son milieu habituel dans l’atmosphère de vieux port de mer et de ville de garnison qui caractérise Halifax. Et vice versa : pour un habitant d’Halifax, visiter Calgary c’est respirer un air entièrement nouveau de cow-boys et d’Indiens, de pétrole et de bestiaux, l’air de l’Ouest d’hier et d’aujourd’hui.

Les villes neuves du Canada attestent que l’histoire n’est pas nécessairement ancienne

Les villes du Canada varient du très ancien au tout nouveau. Fondée par Champlain en 1608, la ville de Québec compte parmi les plus vieilles de notre continent. Elle demeure baignée d’histoire et de charme. Vancouver, d’autre part, n’était encore que marécages et étendues boisées à flanc de montagne lorsqu’on la choisit, pas plus tard qu’en 1885, comme terminus occidental du Pacifique Canadien. Ce fut un bon choix, dans un des plus beaux sites qui puissent mettre en valeur le travail de l’homme. Sa nouveauté même, ajoutée à son emplacement sur le Pacifique, lui confère un cachet particulier de fantaisie décontractée.

Un voyage dans une de nos villes neuves ne peut manquer de réserver des surprises à quiconque considère l’histoire comme synonyme d’ancienneté. L’excellent Musée de l’Alberta à Edmonton, par exemple, fournit la preuve que l’histoire n’en pique pas moins la curiosité parce qu’elle est relativement récente. Une exposition de machines agricoles datant de la fin du siècle passé peut s’y révéler aussi intéressante qu’un étalage d’armures de guerre dans une ville ancienne de l’Europe. Edmonton, par parenthèse, possède huit autres musées, y compris l’énorme Fort Edmonton. Ce n’est là qu’un indice de la fidélité avec laquelle les Canadiens de l’Ouest chérissent et conservent le trésor collectif de leur passé.

La logique voudrait que l’on commence par connaître son pays avant de visiter celui des autres. Malheureusement, les Canadiens se sont montrés jusqu’ici trop empressés à aller passer leurs vacances ailleurs, sans tenir compte des exhortations à parcourir d’abord le Canada. Et lorsqu’ils voyagent dans leur pays, ils sont enclins à ne faire que de brefs passages dans les villes afin de mieux admirer les beautés naturelles du Canada. À l’heure où nos villes neuves atteignent leur majorité et où les anciennes sont restaurées, il serait bon de songer à découvrir les mines de curiosités et de distractions qu’elles renferment.

Mais s’il convient de connaître notre pays et ses autres villes, il importe aussi de ne pas négliger la ville que nous habitons ou dont nous sommes proches. Il est étonnant de voir combien de gens résidant dans une ville ou sa banlieue ne portent pas le moindre intérêt à ce qui se trouve ou à ce qui passe au cour de leur ville. Il y a des citadins qui n’ont jamais mis les pieds dans les musées de leur ville, sauf peut-être dans leur enfance avec leurs camarades de classe. D’autres iront bien à un match de hockey ou de rugby, mais jamais à un concert ou à une pièce de théâtre dans le centre-ville.

Flâner dans les rues latérales simplement pour voir…

C’est là certes affaires de goût ; il est plus déplorable encore que certains n’aient jamais parcouru les rues de leurs villes. Ils n’ont jamais pris une heure ou deux pour flâner dans les rues latérales à seule fin de découvrir ce qui s’y trouve. Rivés à leur voiture, ils rentrent chez eux sans rien voir dès la fin de leur travail. Dans la soirée, ils regarderont parfois un épisode d’une émission de télévision sur les rues d’une ville américaine, et – durant la pause publicitaire – songeront que la vie est bien grise.

Ils ne savent pas tout ce qu’ils manquent. Aller à la découverte d’une ville est un passe-temps à la portée de tous et d’un intérêt constant. Qu’il s’agisse de notre ville ou d’une autre, il y a toujours quelque chose à voir. Tout le monde y gagne, car la ville a besoin qu’on s’intéresse à elle pour conserver sa santé et sa vitalité. Il faut que la vie et l’amour animent son coeur pour qu’elle puisse continuer à dispenser ses immenses bienfaits à l’humanité.