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Les personnes qui aident les autres de leur plein gré, dans leur temps libre, assurent un service essentiel à la société. À l’approche de la Semaine du bénévolat, nous voulons leur rendre hommage. Leurs services sont plus nécessaires que jamais. Que leur nombre continue de s’accroître…

Un article publié naguère dans une revue d’information signale comment certaines femmes utilisent le bénévolat pour entrouvir la porte du marché du travail. On y lit que le mouvement féministe a accéléré cette tendance en incitant les femmes à « chercher du travail véritable », c’est-à-dire rémunéré. Le coordonnateur des bénévoles dans une grande institution aurait déclaré, selon cet article, que les femmes accomplissent du travail gratuit pour améliorer leurs capacités et partant leurs possibilités de carrière. Un ex-bénévole ayant accédé à un poste à plein temps y affirme pour sa part : « Je crois qu’en fin de compte, je voulais être payé pour travailler. C’est par l’argent que la société reconnaît la valeur de ce que l’on fait. »

Si c’est vrai, cela donne une impression troublante des valeurs sociales actuelles. Car, vraiment, une bonne part du travail accompli pour de l’argent ne vaut rien pour personne sauf pour ceux qui en profitent. Le service bénévole, par contre, a tant de valeur pour ceux qui en bénéficient qu’il est littéralement sans prix. Qui pourra jamais calculer ce que vaut pour un enfant infirme le service de lui apprendre à nager ou pour une personne âgée confinée au logis d’avoir quelqu’un pour faire ses courses ou causer avec elle de temps en temps ?

L’opinion que seul le travail rétribué importe est malheureusement fréquente. On cherchera en vain dans les ouvrages sur l’économie ne serait-ce qu’une allusion à la contribution qu’apporte le bénévolat au bien-être national. Et pourtant, les activités bénévoles figurent pour 3,3 p. 100, estime-t-on, dans le produit national brut du Canada. Un adulte canadien sur sept exerce une forme quelconque d’activité bénévole. Le travail bénévole organisé au Canada se chiffre à 374 millions d’heures-homme par an.

Mais les statistiques économiques sont ici la moindre des choses. Si de nombreux bénévoles canadiens se dévouent dans les domaines des sports, des arts, de la protection du consommateur et des droits civils, 31,5 p. 100 oeuvrent dans les domaines du bien-être et de la santé. En outre 25 p. 100 donnent leur temps à des mouvements religieux s’occupant aussi en partie de la santé, du bien-être et de l’éducation. En d’autres termes, ces personnes s’emploient directement à aider les autres. Et en aidant les autres, elles aident toute la société.

Une des assises principales de l’édifice social n’est-elle pas après tout l’entente commune que les forts doivent partager leur force avec les faibles. L’ordre social serait impossible si l’intérêt de la collectivité ne primait pas les visées purement égoïstes. Les religions, qui ont tant contribué, à l’origine, à établir l’ordre social, ont toujours soutenu que l’individu a des devoirs envers ses semblables. La notion de l’aide mutuelle se retrouve implicitement dans toutes les grandes croyances.

Par exemple, c’est une maxime de l’hindouisme que « ne vit pas en vain celui qui emploie ses richesses, sa pensée, sa parole pour favoriser le bien des autres. » « Le chemin du ciel, affirme la philosophie taoïste, est de faire du bien aux es. » Selon Mahomet, le prophète, « la vraie richesse d’un homme est dans l’autre monde le bien qu’il fait dans ce monde à ses semblables. »

L’Ancien Testament nous offre l’exemple de Job : « J’étais les yeux de l’aveugle, les pieds du boiteux. C’était moi le père des pauvres ; la cause d’un inconnu, je l’examinais. » Dans le Nouveau Testament figure la parabole du bon Samaritain : « Va, et fais de même », prescrit Jésus.

John Ruskin témoigne d’une vue pénétrante des enseignements scripturaux lorsqu’il dit : « Il est écrit, non pas heureux celui qui donne à manger au pauvre, mais heureux celui qui lui montre de la considération. Un peu d’égards, un peu de bonté vaut souvent plus que de riches aumônes. »

Ni les organismes publics ni les bénévoles ne peuvent suffire à la tâche

L’argent pour les bonnes causes est nécessaire et bien accueilli, mais dans le système social élémentaire d’autrefois, l’aumône était considérée comme un simple devoir naturel. Car il existe une charité froide, une charité sans compassion.

« Être plein de pitié pour les autres et sans pitié pour soi ; refréner son égoïsme et déployer une bienveillante affection, voilà la perfection de la nature humaine », écrit Adam Smith. Père de l’économie libérale, Smith est partisan du laisser-faire, selon lequel le bien public est le mieux servi lorsque l’État intervient le moins dans la vie des citoyens.

Ce principe dominera les politiques sociales des pays occidentaux durant le XIXe siècle et le début du XXe Les gouvernements s’abstiennent d’aborder les problèmes sociaux. On laisse surtout aux particuliers, aux paroisses et aux sociétés de bienfaisance le soin de veiller au bien-être public.

Le présent siècle a vu naître les programmes de santé, de bien-être et d’enseignement publics et universels. L’impulsion politique de l’intervention accrue de l’État est donnée par les premiers socialistes, selon qui le laisser-faire perpétuait des privilèges immérités. À leur avis, l’ancien système de charité n’était guère plus que du paternalisme égoïste, que des miettes tombant de la table des riches. Ils soutiennent que jamais la charité privée ne pourra satisfaire les besoins de la société.

Il est vrai que l’ancien système était étriqué et trop sélectif. Naturellement, les institutions religieuses s’occupaient d’abord de leurs ouailles. Et au sein des oeuvres non confessionnelles, certaines causes avaient plus de faveur que d’autres.

Avec le temps, la place de la religion dans la société s’amenuisa. Les gouvernements prirent en charge une grande partie du travail accompli auparavant par les organisations religieuses. La nature de la famille se modifia également. À l’époque où l’unité familiale englobait aussi bien les grands-parents, les oncles et les tantes que les parents et les enfants, les infirmes, les malades et les vieillards étaient souvent gardés au foyer et non confiés aux établissements publics. La fragmentation de la famille immédiate par suite du départ hâtif des jeunes et des séparations conjugales suscitera une foule de nouveaux problèmes, qu’il incombera désormais à la société de résoudre.

Aujourd’hui, même les partis politiques de droite admettent que l’État devrait assurer un certain niveau de base d’aide sociale et de sécurité à ceux qui en ont réellement besoin. D’autre part, les partis de gauche eux-mêmes (dans le monde occidental du moins) accordent que les gouvernements ne peuvent pas faire tout ce qui est nécessaire. Les services publics restent dépourvus de la note d’humanité dont les miséreux ont tant besoin. Il appartient alors aux bénévoles, soit de compléter les services existants, soit de s’occuper de certains problèmes spéciaux que les programmes publics ont tendance à négliger.

L’esprit du bénévolat existe-t-il encore à l’âge de l’égocentrisme ?

En Grande-Bretagne, où une administration socialiste a mis en place un vaste régime de bien-être après la Seconde Guerre mondiale, les fonctions du secteur public et du bénévolat sont depuis longtemps conciliées. Comme le dit une publication officielle britannique : « Les services publics et l’aide bénévole sont maintenant complémentaires et fondés sur la coopération. Il en va à peu près de même au Canada à l’heure actuelle.

Après de nombreuses années de prise en charge progressive par l’État des responsabilités sociales assumées jadis par les particuliers, le balancier oscille maintenant de nouveau vers le secteur du bénévolat. Profondément endettés, les gouvernements constatent qu’il y a des limites au poids des impôts dont ils peuvent grever les citoyens sans porter atteinte à l’économie et à leur popularité politique. C’est pourquoi il faut élaguer les services imputables sur les fonds publics.

Aux États-Unis où des coupes rigoureuses ont été pratiquées, le président Reagan tente de ranimer ce qu’il appelle « l’esprit du bénévolat ». « La vérité est, disait-il dans un discours récent, que nous avons laissé l’État s’emparer d’une grande partie des choses que nous considérions autrefois de notre devoir de faire bénévolement, par bonté de coeur et par sentiment de solidarité. Je crois que beaucoup d’entre vous souhaitent faire encore ces mêmes choses. »

La question est de savoir si la bonté et l’amour du prochain sont encore capables de croître au milieu du négativisme et de l’hédonisme de ce que l’on a baptisé la « génération du moi ». Pas plus tard qu’en 1979, une équipe de futurologues américains composaient le scénario suivant en guise de projection des tendances courantes de comportement : « Il se produira, y disait-on, une expansion extraordinaire des activités d’épanouissement personnel visant à aider l’individu à réaliser le maximum de bonheur pour lui-même et d’expression de sa personnalité. La solidarité des groupes – familles, voisins, paroisses, associations – déclinera. L’individu régnera en maître ; le groupe ne sera toléré qu’en tant que moyen d’aider les individus à atteindre leurs buts particuliers. La charité diminuera. »

Cela n’augure guère un climat favorable au service bénévole. Heureusement, toutefois, le raisonnement à la base du scénario est erroné. Les auteurs supposent qu’il est possible de se réaliser par un égoïsme total. Mais la sagesse séculaire proclame exactement le contraire.

Le philosophe romain Sénèque écrit : « Celui qui fait du bien à un autre, fait aussi du bien à lui-même, non seulement par voie de conséquence, mais dans l’action même : car la conscience de bien faire est, en soi, une belle récompense. » Un témoignage plus récent nous est offert par sir Wilfred Grenfell, qui a consacré sa vie au service des populations du Labrador : « La joie véritable, dit-il, ne vient ni de l’aisance ni des richesses ni de la louange des hommes, mais de l’accomplissement de quelque chose de valable. »

Si on demande aux bénévoles pourquoi ils font du bénévolat, ils allèguent d’ordinaire la satisfaction qu’ils trouvent à rendre service aux autres. Une ex-championne de patinage artistique, qui enseigne maintenant le patin à des enfants aveugles, a fait cette réponse typique : « Ne vous méprenez pas. Je ne donne pas ces leçons par charité. Au fond, je suis très égoïste. Je le fais parce que j’en tire un immense plaisir. »

Le rapport adressé au gouvernement du Canada, en 1977, par le Conseil consultatif national du bénévolat reprend la même idée. « Aujourd’hui, y lit-on, beaucoup de bénévoles ont tendance à moins insister sur leur motivation charitable et avouent franchement que leur intérêt pour l’action bénévole procède de leur besoin de s’exprimer, de s’épanouir et de se protéger. Sur les très nombreux Canadiens qui s’adonnent au service bénévole, plus d’un cherche à satisfaire ses désirs personnels. »

Les gens aiment faire quelque chose gratuitement et à leurs conditions

Le rapport pose la question de savoir s’il conviendrait de payer les bénévoles vu les dépenses que leur imposent la garde des enfants, le transport, etc. Une étude postérieure du sujet, faite à Ottawa, a démontré que l’instinct altruiste demeure encore très fort. Parmi les bénévoles d’un hôpital, un groupe de contrôle toucha un salaire pour son travail alors qu’un autre ne reçut qu’un témoignage verbal de reconnaissance. En peu de temps, le rendement du groupe rémunéré se détériora.

Cette expérience confirme que les gens aiment faire quelque chose gratuitement. S’il y a souvent un plaisir à recevoir, il y en a toujours un, plus délicat, à donner. Certains bénévoles ne feraient pas le travail qu’ils font si l’on y mettait un prix. « Je ne ferais pas ce métier pour de l’argent, disait une travailleuse auxiliaire d’hôpital au travail ardu et parfois désagréable. Je le fais parce que je veux. J’estime devoir quelque chose à cette institution. On y a été très bon pour moi. »

L’idée de rendre de son plein gré à la société un peu de ce qu’elle nous a donné semble connaître un regain de vie chez ceux que l’on s’attendait le moins à voir intéressés par le service bénévole : les membres de la « génération du moi ». Dans les écoles secondaires du Canada, les bureaux des affaires communautaires ont recruté des élèves pour aider les handicapés, amuser les enfants, conduire des gens à l’hôpital, donner des leçons particulières, garder les enfants pour les mères qui travaillent, etc. Ajouté à l’excellent travail toujours accompli par les organismes comme les clubs 4-H, les scouts et la Croix-Rouge de la Jeunesse, ce fait porte à croire que la « génération du moi » et son égoïsme grossier n’étaient qu’un phénomène éphémère. Peut-être n’a-t-il jamais existé vraiment.

La présence d’un nombre croissant de femmes mariées dans la population active a aussi modifié le caractère du bénévolat. Depuis toujours, la plupart des bénévoles du service social et de la santé étaient des ménagères ayant du temps de reste. Mais maintenant que tant de femmes consacrent toutes leurs journées à leur double fonction de travailleuses et de maîtresses de maison, on voit de plus en plus d’hommes et de jeunes gens prendre la relève. Sur les quelque 100,000 bénévoles de la région de Montréal, par exemple, 40,000 sont des hommes et une large proportion d’entre eux sont âgés de 16 à 19 ans.

Les personnes âgées, elles aussi, offrent de plus en plus souvent leurs services pour bien employer les loisirs de leur retraite. Dans certains cas, leurs anciens employeurs se chargent de coordonner et de parrainer leur travail. À Minneapolis, près de 300 anciens employés sont inscrits au programme de bénévolat de la société Honeywell pour ses retraités. Certains retraités apportent le concours de leur spécialité, alors que d’autres recherchent une activité nouvelle pour faire diversion à leur ancien métier.

Le monde des affaires s’intéresse encore au travail bénévole en apportant le concours de ses connaissances et de ses ressources à des associations sans but lucratif. Depuis 1969, le Volunteer Urban Consulting Group de la ville de New York a aidé divers organismes du secteur des affaires sociales et des arts à prendre en main leur administration. Des spécialistes en gestion – comptables, planificateurs financiers, avocats d’entreprise, analystes de système – font office de conseillers auprès de groupements non lucratifs, alors que leurs employeurs fournissent souvent des ressources techniques. Un organisme, récemment créé à Toronto, l’Agora Foundation, offre les services de cadres actifs ou retraités aux sociétés sans but lucratif ayant besoin d’assistance administrative.

Qui fait tout ce qu’il peut ne risque pas de faire trop peu

Les programmes d’enrichissement scolaires sont un exemple des initiatives qu’ont fait naître les mesures d’économie des pouvoirs publics. Pour obvier à la réduction relative des crédits mis à leur disposition, les ministères provinciaux de l’Éducation ont revu les programmes d’études et éliminé les « fioritures » inutiles. Dans certaines localités, les parents ont alors pris sur eux de donner, après les heures, des cours d’art, de musique et d’éducation physique. C’est dire que le bénévolat paraît plus nécessaire que jamais maintenant que les gouvernements, soucieux de limiter les dépenses, se retirent partiellement de divers domaines.

Le besoin de bénévoles ne peut donc manquer de s’accroître, non seulement pour cette raison, mais parce qu’il y a tant de maux et de tribulations à soulager. Pendant la Semaine du bénévolat en Amérique du Nord, qui aura lieu, cette année, du 18 au 25 avril, il importe de rendre hommage à ces bienfaiteurs et de nous demander si nous ne pourrions pas faire davantage nous-mêmes. Le mot d’ordre du bénévolat est « fais ce que tu peux ». Si l’on fait tout ce que l’on peut, on ne risque pas de faire trop peu. Mère Teresa de Calcutta, à qui son dévouement auprès des pauvres de l’Inde a valu le prix Nobel de la paix en 1979, met admirablement en lumière l’idée de service : « Nous sentons nous-mêmes, dit-elle, que ce que nous faisons n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan. Mais si cette goutte n’était pas dans l’océan, je crois que l’océan serait amoindri par son absence. »