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La technologie des communications, de par ses progrès constants, est devenue un puissant levier pour améliorer la condition humaine. Mais ses bienfaits ne sont pas répartis équitablement sur l’ensemble de la planète. Certes, nous pouvons atteindre au « village global », les éléments en sont à notre portée : reste à savoir s’il deviendra un lieu de sérénité ou de discorde…

« What hath God wrought ? » Ce sont ces mots bibliques (« Que fait donc Dieu ? ») qui ont inauguré l’ère des télécommunications en 1843, alors que Samuel Morse, l’inventeur du télégraphe et du code qui porte son nom, les transmettait de Washington à Baltimore au moyen d’un télégraphe électromagnétique primitif duquel crépitaient les lettres, une à une, sous forme continue de points et de traits. Le fait que Morse ait choisi d’expédier un tel message semble indiquer qu’il vouait peut-être une crainte révérencielle à sa propre invention. Un journal de l’époque ne disait-il pas qu’on pouvait maintenant « écrire avec la foudre » ? Morse lui-même ne se doutait aucunement des merveilles technologiques qui allaient découler, en 140 ans, de son travail de pionnier.

Quand Morse actionna son invention, l’écriture était déjà connue du genre humain depuis quelque cinquante siècles. Mais le langage écrit n’avait jamais pu être transmis sans l’apport d’un article, d’un objet tangible, qu’il s’agisse d’une tablette de pierre ou d’un morceau de papier. Il y avait des siècles, également, que l’on pouvait s’envoyer des messages par quantité d’autres procédés : coureurs, cavaliers, volutes de fumée, battements de tambour, diligences, sémaphores, pigeons voyageurs, et le reste. Cependant, quel que fût le mode de transmission, le message demeurait confiné physiquement dans sa durée et sa distance. Et voilà maintenant que, d’un seul coup, disparaissaient les contraintes du temps, de l’espace et de la matière.

Cette incroyable percée technologique eut pour effet de rapprocher les humains. Le va-et-vient de communications transmises instantanément, par impulsions électriques, fut bientôt chose faite entre le Canada et les États-Unis. Dès 1851, un câble sous-marin reliait la Grande-Bretagne à la France. En 1866, deux câbles submergés dans l’Atlantique créaient le pont entre la Grande-Bretagne et l’Amérique du Nord, tandis que des lignes télégraphiques s’étendaient à travers l’Europe. Avec chaque nouveau relais, la terre se rétrécissait un peu plus.

Il s’agissait, en vérité, d’un véritable bouleversement des relations humaines, bouleversement qui n’a pas encore pris fin, du reste. Ses pionniers en avaient bien mesuré la portée, se rendant compte qu’ils avaient engendré une force nouvelle pouvant transformer l’existence de quiconque en subirait l’effet. Donc, il était d’intérêt public que cette force fût prudemment distribuée et contrôlée. Il y allait aussi de l’intérêt international, puisqu’elle ne cessait de se déplacer, invisible, par-delà les frontières.

Bien conscients de cela, les pays d’Europe reliés au réseau télégraphique, Grande-Bretagne comprise, se rencontrèrent à Paris en 1865 pour établir un terrain d’entente et de collaboration sur divers points : réglementation, procédures, structures tarifaires, utilisation des équipements et expansion du réseau. Cette réunion donna naissance au premier organisme intergouvernemental permanent, l’Union télégraphique internationale, qui fut suivie de l’Union radiotélégraphique internationale, créée en 1906 avec l’avènement de la télégraphie sans fil. Ces organismes ont été les précurseurs de l’Union internationale des télécommunications, qui regroupe aujourd’hui 157 pays. Affiliée aux Nations Unies et ayant ses assises à Genève, l’UIT poursuit toujours le même but : améliorer les moyens de communications entre les pays.

On connaît, bien sûr, les moyens qui sont apparus en un siècle : téléphone, téléscripteur, radio, téléphoto, télémétrie, télévision, ondes courtes, communications par satellites. En outre, s’alliant à l’ordinateur, la technologie des communications permet aujourd’hui que des masses effarantes de données puissent être transmises, déchiffrées, répertoriées et emmagasinées.

De par le nombre et la complexité des systèmes de communication modernes, les pays membres et le personnel de l’UIT ont beaucoup plus à faire, il va de soi, que leurs devanciers des années 1860. La portée générale de leurs travaux n’a cependant pas changé.

Car les nations du globe, il faut bien l’admettre, ne sont guère plus avancées aujourd’hui qu’elles ne l’étaient au tournant du siècle, compte tenu des moyens techniques dont elles disposent pour communiquer entre elles. Toutes merveilleuses que soient devenues nos communications, elles demeurent encore l’apanage des « nantis », par rapport aux « démunis ».

L’empire des communications sur notre existence quotidienne

L’ampleur nous en est révélée par une statistique de Communications Canada : il y a 550 millions de téléphones en usage présentement dans quelque 170 pays, et huit pays, à eux seuls, détiennent les trois quarts de ces téléphones. Ce qui signifie que l’immense majorité de la planète doit vivre sans cet outil de communication pourtant jugé indispensable chez nous.

Pouvons-nous concevoir une journée sans « passer un coup de fil » pour fixer des rendez-vous, faire des réservations, appeler un réparateur ou transmettre une commande à l’épicerie ? Il faut considérer aussi le nombre d’entreprises et de commerces dont le fonctionnement, la viabilité même, dépendent du téléphone. Où en serait la société moderne, où en serait l’économie sans un réseau téléphonique efficace et quasi universel ?

On ne s’attarde guère à y penser, mais les communications modernes façonnent notre mode de vie de bien d’autres manières. Écoutez la radio en début de journée, alors que les gens s’apprêtent à aller travailler dans n’importe quel centre urbain. Grâce aux signaux transmis par satellite météo, grâce aux renseignements fournis par hélicoptère ou par véhicule de reportage, la radio tient les auditeurs au courant de ce qui les attend. En vérité, on peut dire que les renseignements provenant de la radio influent sur nos activités avant même que nous ne quittions notre domicile.

Il en va tout autrement dans le Tiers monde. Faute de moyens de communications, de nombreuses populations ne peuvent être alertées de l’approche d’un ouragan. Faute d’aides télémétriques à la navigation, des navires sont perdus en mer. De vastes régions du globe ne peuvent recourir ni à la radio, ni à la télévision, parce qu’il n’y existe aucun équipement d’émission et de transmission. Et s’il s’en trouve, la portée des signaux est très restreinte.

Si les Nations Unies ont désigné 1983 comme étant l’Année mondiale des communications, c’est précisément parce que la plus grande partie de l’humanité a été tenue à l’écart de la révolution survenue en ce domaine. Sous l’égide de l’UIT, l’année est marquée d’une campagne visant trois grands objectifs : « accroître le rôle et l’efficacité des communications en tant que moyen de développement économique, social et culturel ; mettre l’accent sur la mise au point ou l’amélioration des infrastructures de communications, particulièrement dans les pays en développement ; et enfin, favoriser la constitution d’un réseau complet de communications mondiales, de sorte que personne ne soit isolé de la communauté locale, nationale ou internationale. »

En proclamant l’Année des communications, l’Assemblée générale des Nations Unies soulignait l’importance fondamentale des infrastructures en tant qu’élément essentiel du progrès social et économique dans tout pays. En effet, puisqu’il fallait bien commencer quelque part, mieux valait d’aller au plus pressé et de s’occuper des besoins les plus urgents. Il faut noter toutefois que le mot « infrastructure » implique un sens de soutien, désignant, si l’on veut, les parties complémentaires et fonctionnelles d’un organisme principal. En matière de communications, les études, colloques et initiatives expérimentales mis sur pied cette année par les divers comités nationaux ne sont donc que le prélude d’un programme à long terme qui marquera profondément l’avenir du monde.

L’Année de l’ONU n’est qu’un prélude aux tâches qu’il reste à accomplir

Le degré de responsabilité qu’assumeront les pays « nantis », pour donner suite à leur engagement envers l’Année de l’ONU, aura évidemment une grande portée historique. Car le travail commencera véritablement quand les entretiens auront pris fin et que les études auront été complétées.

Et la tâche sera d’envergure, comme l’a indiqué l’UIT dans le préambule de son programme d’activités pour l’année 1983. Elle souligne que l’humanité mène présentement quatre grands combats, l’un pour la paix et les autres contre la faim, le sous-développement et l’ignorance. Dans chacun de ces combats, les communications ont une mission vitale à remplir.

Il se trouve que le Canada occupe un rôle de tout premier plan au sein des nations qui peuvent contribuer à cette lutte. Notre développement économique, social et culturel a été aiguillonné par les télécommunications dès l’époque même de Samuel Morse. Et nos spécialistes en communications ont été capables de surmonter les défis énormes que présentaient en ce pays la variabilité du climat, les distances et les embûches de la nature. D’autres pays pourraient bénéficier de leurs réalisations s’ils sont confrontés à des problèmes similaires.

Au Canada, un excellent travail de base a été accompli par le comité national mis sur pied pour l’Année des communications. Il est composé d’agences du gouvernement et de représentants du monde industriel et du milieu universitaire, et ses activités sont coordonnées par le ministère fédéral des Communications. Déjà, il a été l’hôte de plusieurs rencontres internationales sur des thèmes d’importance primordiale, tels le développement des infrastructures, la diffusion d’émissions communautaires, l’impact de la technologie informatique et l’emploi des satellites de communications, domaine en lequel le Canada, depuis quelques années, s’est taillé une réputation de premier ordre.

Obligation morale ou « charité bien ordonnée… » ?

Ainsi que l’affirme le comité national, « grâce aux satellites de télécommunications, tous les Canadiens, où qu’ils habitent, ont accès à des services insoupçonnés il y a quelques années. Télémédecine, télé-enseignement, radiotélédiffusion en Inuit, Télidon, recherche et sauvetage par satellite, cartographie satellisée – voilà quelques-unes des applications déjà en cours ou sur le point de l’être. Bref, toutes ces réalisations font du Canada un chef de file en matière de technologies de communications et lui confèrent, de ce fait, une obligation ‘morale’ d’offrir son expertise aux autres pays ».

En période de chômage accru et de problèmes intérieurs d’ordre économique, certains Canadiens peuvent se demander si cette « obligation morale » existe effectivement, et si charité bien ordonnée ne commence pas plutôt par soi-même. Ils peuvent fort bien arguer du principe que le gouvernement n’a à dépenser ni ses énergies, ni son argent à secourir des populations hors du pays. Mais c’est manquer là de vision, surtout dans le domaine des télécommunications, où il est fort possible qu’on nous revaille notre aide sous forme de retombées d’emplois pour des Canadiens.

En proclamant la participation du Canada à la campagne de 1983, le ministre des Communications, M. Francis Fox, a souligné que nos ressources et notre technologie nous permettent d’apporter une contribution de première grandeur aux efforts déployés pour atteindre les objectifs de l’Année mondiale des communications. Du reste, cela nous permettra d’améliorer notre position concurrentielle au plan international. Plusieurs entreprises spécialisées du Canada offrent en effet des produits et des services qui conviennent fort bien aux besoins des pays moins développés. On pense notamment aux systèmes de commutation numérique permettant d’avoir recours à des standards téléphoniques plus petits et faciles à utiliser. Citons également la transmission par fibres optiques en régions rurales, et la téléphonie monocanalisée par satellite.

La propagande est toute-puissante là où prévaut l’ignorance

Les Canadiens, en radio et télédiffusion, possèdent une grande compétence issue d’une vaste expérience. Nous avons développé là une industrie de pointe, allant jusqu’à découvrir des techniques nouvelles pour amener la radio et la télévision dans les territoires les plus isolés de notre immense pays.

On pourrait se demander, toutefois, si l’« obligation morale » de partager nos connaissances s’étend jusqu’à ce domaine. Il faut exercer ici la même prudence qu’en prodiguant d’autres formes d’aide extérieure. Il faut s’assurer que notre apport soit utilisé à bon escient et ne tombe en mauvaises mains. Comme tous les grands progrès technologiques, la radiotélédiffusion peut être détournée à des fins nocives pour devenir un instrument de haine ou de répression.

Une grande part du réseau global de diffusion sert déjà à la propagande d’État. Les régimes totalitaires et antidémocratiques, en particulier, aiment employer les ondes pour manipuler leurs populations.

Le danger qu’un mauvais emploi de la technologie canadienne soit fait par des gouvernements existants ou futurs est toutefois contrebalancé par l’influence bénéfique de cette technologie, comme véhicule informatif et pédagogique. Utilisée à bon escient, la radiotélédiffusion est une arme précieuse pour combattre l’ignorance, surtout là où règne l’analphabétisme.

D’ailleurs, l’Année de l’ONU, entre autres buts, veut aider à mettre fin à l’isolement de ceux qui sont techniquement démunis, donc en retrait de la « communauté internationale ». Plus les populations se rapprocheront du reste du monde, moins elles seront vulnérables à la propagande.

Aujourd’hui, les systèmes de communications sont comme un faisceau lumineux éclairant les points les plus obscurs du globe, bonifiant la vie de ceux qui en sont touchés. Ils améliorent les procédés de distribution, réduisent les pertes, et contribuent à ce que les populations aient suffisamment de nourriture. Parce qu’ils transmettent des images et des données informatisées, la médecine s’en sert de plus en plus pour des fins de diagnostics, de traitements et même de chirurgie à distance. Le Canada a joué un grand rôle dans le développement de cette « télémédecine », laquelle est particulièrement appropriée aux conditions du Tiers monde.

Les communications favorisent la bonne entente et la compréhension

Au Canada, nous savons pertinemment que les communications sont le fer de lance du progrès économique. Pour mettre fin au déséquilibre économique qui a accablé l’humanité de tant de malheurs, il faut donc donner priorité aux systèmes de communications appropriés.

Finalement, reste la question fondamentale qui devrait préoccuper chacun de nous, à savoir s’il sera permis au genre humain de vivre en paix, ou si nous allons continuer à nous entre-déchirer dans des éruptions d’hostilités susceptibles, éventuellement, de nous faire disparaître. Si notre faculté de communiquer est l’objet d’abus fréquents, il n’en reste pas moins qu’elle peut être harnachée pour promouvoir la bonne entente et la compréhension au-delà des frontières, des océans, et même des barrières psychologiques surgies de la diversité des religions et des idéologies.

Les médias électroniques ont transformé la terre en « village global ». Ce sont là les mots d’un Canadien, Marshall McLuhan. Sa vision des choses était peut-être prématurée, mais si jamais le village global prend vraiment forme, ceux qui en sont les architectes auront le devoir d’utiliser leurs matériaux le plus judicieusement possible. Le village devra vivre dans la sérénité, et non pas dans la discorde.