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Les êtres humains peuvent régler leurs différends sans se battre. La technique est applicable au travail comme à la maison. Pourtant, sait-on vraiment négocier efficacement ? Nous nous proposons ici d’analyser les éléments de base et de vous offrir des conseils judicieux qui ont fait leur preuve…

On négocie à tout âge à moins, bien entendu, d’être encore dans les bras de sa mère. Dès que les êtres humains savent parler, ils obtiennent ce qu’ils veulent en marchandant. Les enfants demandent : « Si je suis sage, est-ce que je peux veiller ? » Leurs parents, en retour, exigent un compromis : « D’accord, à condition que tu ranges tes jouets. » C’est une négociation classique, dont les résultats satisfont les deux parties.

Dès leur tendre enfance, les êtres humains se fraient un chemin dans la vie à coups de marchés conclus avec leurs parents, leurs amis, leurs camarades, leurs employeurs ou employés, leurs relations d’affaires et leurs collègues. Certains y excellent à titre de professionnels ; les diplomates et les agents commerciaux, bien sûr, et aussi de nombreux avocats et dirigeants. Les autres mortels restent strictement des négociateurs amateurs bien qu’à l’occasion ils aient à faire appel à leurs talents quand ils achètent ou vendent, essaient de résoudre leurs problèmes conjugaux ou familiaux, font valoir leurs droits ou revendiquent leur dû.

Cette activité, spécifiquement humaine, permet de régler les différends en limitant les querelles au minimum. Les animaux, eux, doivent soit se battre, soit fuir, en cas de conflit. Notre habileté à échanger des idées nous offre une autre solution. C’est ainsi que les individus les plus chétifs de l’espèce humaine peuvent faire valoir leurs droits avec autant de force que les plus robustes. La négociation est donc l’antithèse du recours à la violence ; c’est le processus qui permet d’arriver à un accord mutuellement consenti. Pourtant, le sens du mot « négocier » est souvent mal interprété car il est associé à de nombreuses expressions combattives. On parle de diplomates qui ont remporté une « victoire » ou qui ont dû « céder du terrain » à leurs adversaires. Quand une société décide d’en acquérir une autre, il s’agit d’une « prise de contrôle ».

L’idée que nous nous faisons de la négociation est déformée par l’obsession, caractéristique de notre culture, de gagner et de perdre. Nous vivons dans une société hantée par la notion de réussite et d’échec, tant au point de vue professionnel que récréatif. Nous assistons à la victoire ou à la défaite de nos équipes sportives. En affaires, nous cherchons à « écraser la concurrence ». Il nous est donc difficile de concevoir une compétition qui permette aux deux camps de gagner.

Cette difficulté est due en partie à la logique arithmétique de notre enfance. Si vous avez deux billes et qu’on vous en prenne une, vous en « perdez » une. Pourtant, cette logique ne s’applique pas à tous les aspects des activités humaines. Il est impossible de « soustraire » une idée. Au cours d’un échange d’idées, personne ne perd quoi que ce soit ; en fait, chacun accroît ses connaissances.

Il semble surprenant que la négociation soit à la fois un acte de compétition et de collaboration. Dans son livre intitulé Fundamentals of Negotiating (Hawthorn Books, New York, 1973), Gerard I. Nierenberg explique que « la compétition qui permet à chaque homme de mesurer ses facultés à celles d’un autre – avec les gratifications qui en découlent – est en fait un acte de collaboration ». Les antagonistes doivent saisir toutes les occasions de transformer leurs intérêts contradictoires en désirs mutuels ; ils doivent travailler à identifier les objectifs qu’ils pourraient avoir en commun.

C’est ainsi que la plupart des négociations se déroulent dans un climat hostile et brutal, personne n’ayant eu l’idée de rechercher si certains de ses buts correspondaient à ceux de ses « opposants ». Les êtres humains ont tendance à adopter une attitude belliqueuse quand ils se rangent dans un camp.

Prendre parti, au départ, est tout à fait naturel à condition de se souvenir que le but premier des pourparlers est d’amener les deux parties à conclure un accord. Si les négociateurs restent rivés sur leur position, ils n’ont plus qu’à suivre la loi de la jungle : se battre ou fuir.

L’objectif premier est de faire respecter l’accord conclu.

Trop souvent, la négociation n’est qu’un prétexte pour forcer l’adversaire à se soumettre. Pourtant, ainsi défait, le perdant n’a nullement l’intention de respecter les termes qui lui ont été imposés. Un accord conclu dans ces conditions n’a aucune chance de durer.

L’histoire abonde de traités conclus par la force et qui eurent des conséquences désastreuses. Après la Première Guerre mondiale, par exemple, les Alliés exigèrent de l’Allemagne des réparations écrasantes. Vingt ans plus tard, les Allemands prirent leur revanche, guidés par un chef qui sut exploiter leur désir de vengeance.

L’erreur commise par les Alliés se répète à tous les niveaux des activités humaines. On saisit au vol les avantages à court terme sans chercher à déterminer la nature de ses intérêts à long terme. Or, pour recevoir, il faut donner. Ce truisme n’implique d’ailleurs pas l’abandon intégral de nombreuses exigences. Les négociateurs astucieux déterminent simplement quelles concessions à court terme leur permettront d’atteindre leurs objectifs à long terme. Leur but principal est d’arriver à un accord viable qui permette aux deux parties d’y trouver leur compte.

La négociation ne se limite pas aux concessions mutuelles. Le simple compromis, si l’on ne tient pas compte du contexte, ne permettra qu’un partage peu satisfaisant. Quand la stratégie utilisée s’appuie sur une politique de points à gagner ou à perdre, ses instigateurs ont tendance à se montrer très possessifs. Ils ne cherchent qu’à minimiser les objets de leur défaite.

En se concentrant sur ce qu’ils ont à perdre, ils engagent les négociations, résolus à prouver la justesse de leur cause. Comme l’écrit si justement le conseiller Fred E. Jandt dans son livre Win-Win Negotiating, (John Wiley & Sons, Toronto, 1958), « les négociateurs qui cherchent à défendre leur position formulent des revendications. Ils mesurent leur succès au nombre des revendications auxquelles s’est rallié l’adversaire. Les ‘négociations de positions’ ne se concluent qu’avec un perdant et un gagnant. »

Le danger de ce type de négociations est de rendre la position à défendre plus importante que l’objectif ultime. Plus les négociateurs durcissent leur position, plus ils s’éloignent de la base commune qui permettrait de conclure un marché profitable à tous.

Les revendications ne sont que l’expression de problèmes plus profonds.

Les négociations échouent fréquemment sur un point qui n’a que peu de rapport avec les desseins originels. Un syndicat, par exemple, n’acceptera de signer une entente que si la direction reprend à son service des employés suspendus pour n’avoir pas respecté les consignes. La réintégration devient le centre des débats alors que les salaires et les avantages sociaux devaient en faire l’objet.

« Les négociations de positions » devraient faire place à ce que les experts appellent « les négociations d’intérêts », signifiant par là que les débats devraient tenir compte de l’ensemble des intérêts des deux camps. Cette approche découle du principe qu’il est plus facile de négocier des problèmes que des revendications.

Bien avant d’en arriver au stade de la médiation, les négociateurs, conscients du fait que les revendications ne sont que l’expression de problèmes cachés, s’attachent tout d’abord à déterminer la nature de ces derniers. Le fait de n’être pas d’accord est d’ailleurs la preuve même de l’existence de problèmes communs.

Une remarque revient souvent dans les ouvrages consacrés aux techniques de la négociation : ce que les gens veulent et ce qu’ils affirment vouloir diffèrent souvent. « Les adeptes de la négociation d’intérêts, écrit Jandt, cherchent à déterminer les désirs réels des antagonistes et non les désirs exprimés. Ceci fait, ils cherchent à donner satisfaction à leurs opposants en utilisant diverses approches, notamment en offrant d’échanger les desiderata dont ils ont le contrôle avec ceux contrôlés par l’adversaire. » (Les desiderata se définissent comme étant « ce dont vous regrettez l’absence, le défaut ».)

Les vrais négociateurs écoutent beaucoup plus qu’ils ne parlent.

Les êtres humains ne sont pas toujours conscients de leurs besoins et désirs profonds. Prenons l’exemple d’une employée qui demande à être mutée. Il s’avère très vite qu’en fait ce n’est pas une mutation qu’elle souhaite mais de ne plus devoir téléphoner aux clients en retard sur leur règlement parce qu’elle est timide. Son supérieur propose un marché : elle peut s’entendre avec un autre employé du même service pour qu’il la relève de cette fonction déplaisante ; en échange, elle acceptera d’effectuer une tâche qui ennuie ce dernier. Réussite totale : le chef de service garde une employée de valeur et tout le monde est satisfait.

Pour découvrir les vrais problèmes, il faut savoir poser les questions pertinentes. Une des qualités les plus précieuses du négociateur est d’amener son interlocuteur à parler. Les professionnels préparent leurs questions par écrit, se servant quelquefois des services d’un tiers pour les tester afin d’être sûrs de n’avoir rien oublié. Ils choisissent soigneusement leurs mots pour ne pas provoquer l’hostilité de leur adversaire, le blesser, ou mettre en doute sa probité. Même en face d’un adversaire grossier et agressif, vous avez tout à gagner en restant poli et imperturbable.

Questionner, toutefois, ne sert à rien si l’on ne prête pas attention aux réponses données. Vu que, dans une négociation, chaque mot compte, un effort de concentration intense est nécessaire pour suivre et absorber pleinement ce qui est dit. La plupart des malentendus qui ponctuent le déroulement des négociations sont dus au fait que l’un des protagonistes n’a pas saisi le sens des mots de l’autre, trop occupé, sans doute, à préparer mentalement les propos qu’il tiendra quand son tour viendra.

Les négociateurs professionnels écoutent beaucoup plus qu’ils ne parlent. Ils ne prennent longuement la parole que pour résumer périodiquement la progression des débats afin d’éviter tout malentendu. Vous pouvez compromettre votre propre position en dévoilant prématurément vos intentions.

Le silence est d’or surtout s’il oblige l’opposition à mettre cartes sur table. Les négociateurs expérimentés conseillent de laisser l’adversaire faire la première offre. Ne vous laissez pas entraîner, dans la chaleur de la discussion, à dévoiler d’un coup l’ensemble des compromis que vous êtes prêt à concéder. L’art est de les présenter un à un en réservant le plus important pour le moment où il produira le plus grand effet.

Il est beaucoup plus facile de dire oui après avoir dit non que vice versa.

Il est crucial de savoir se taire quand tout a été dit. Combien de fois, alors que le problème semblait réglé, les discussions reprennent de plus belle parce que l’un des opposants n’a pu résister à la tentation d’avoir le dernier mot ? La clôture des débats est la partie la plus délicate.

Une négociation n’est pas, bien sûr, contrôlée par un seul individu. Vous aussi devrez répondre à des questions et réfuter les objections soulevées. Il est conseillé de se préparer à cet interrogatoire. Demandez à un collègue ou à un camarade de vous interroger de façon serrée, essayez de prévoir les arguments de votre adversaire. Cet exercice vous fournira une liste d’éléments pour étayer votre cause. Il est important d’être sûr de vos sources. Des renseignements erronés ou incomplets compromettront sérieusement votre position.

Pour beaucoup d’entre nous, le mot le plus difficile à prononcer est « non ». Le négociateur chevronné doit être prêt à le prononcer fréquemment, repoussant toute velléité d’être agréable. N’hésitez pas à dire « non » si vous avez le moindre doute sur la valeur de la proposition offerte. Il est beaucoup plus facile de dire oui après avoir dit non que vice versa.

Des réponses négatives vous donnent également le temps de réfléchir. Les négociateurs professionnels demandent de fréquentes pauses et remettent à plus tard la discussion des points délicats pour se donner un temps de réflexion. Ils refusent d’être bousculés.

Permettez à l’opposition de céder gracieusement.

Pour négocier, il faut être patient. La patience vous permet de mieux protéger vos intérêts et d’arriver à des ententes durables. Dans son ouvrage intitulé Give & Take (Thomas Y. Crowell, New York, 1974), Chester L. Karrass, directeur du Center for Effective Negotiating, à Los Angeles, a écrit : « La patience donne à votre adversaire et à son organisation le temps de se faire à l’idée qu’un compromis est nécessaire entre ce qu’il souhaite et ce qu’il peut obtenir… les protagonistes peuvent ainsi prendre le temps de réaliser qu’une certaine solution pourrait être avantageuse à tous. »

Le signe infaillible du manque de sincérité d’un des protagonistes est sa hâte de conclure en essayant d’imposer arbitrairement une date limite. (« Je ne peux rien vous promettre après jeudi. ») ou en présentant sa « dernière offre ». Dans ce cas, en admettant que vous désirez vivement obtenir ce qu’il a à vous offrir, quelle attitude adopter ?

Plutôt que d’être contraint à accepter certaines conditions, montrez-lui combien une impasse nuirait à ses intérêts. Dans son ouvrage Power Negotiating (Addison-Wesley, Don Mills, 1980), le conseiller John Illich recommande l’utilisation de la technique du « Ce serait vraiment dommage ». Exemple : « Nous venons de trouver une solution à trois des quatre questions les plus importantes. Ce serait vraiment dommage d’en être arrivé là pour rien… Ce serait vraiment dommage d’abandonner maintenant sans avoir tout essayé. »

M. Illich fait remarquer que cette tactique permet de demander la continuation des délibérations sans supplications ni capitulation. Il est vrai qu’il est toujours possible que la « dernière offre » soit véritablement finale ; dans ce cas, il est préférable de clôturer les débats ; mieux vaut un échec plutôt qu’un marché désastreux. D’ailleurs, en général, cette « dernière offre » n’est qu’un bluff. Si vous restez fermement sur votre position, vous découvrirez rapidement que la date limite est loin d’être aussi rigide qu’on vous le laissait entendre.

En refusant de vous laisser intimider par votre adversaire, veillez à lui permettre de garder toute sa dignité. Quelle que soit la dispute, qu’il s’agisse d’un désaccord conjugal ou d’une fusion portant sur des milliards de dollars, la négociation est essentiellement une chaîne de réactions entre les êtres humains. Les émotions y ont leur place, notamment la fierté, « la face » comme l’appellent les Orientaux. Si vous ne laissez aucune porte de sortie acceptable à votre adversaire, son seul recours sera de se battre.

Bien que les négociations ne semblent pas, a priori, un lieu propice à la charité, il est bon de permettre aux autres de ne pas perdre « la face ». Cette vertu traditionnelle n’est d’ailleurs pas la seule qui soit de mise dans des négociations adroitement menées. La patience, la tolérance et la compréhension ont toutes un rôle à jouer dans l’arène des relations humaines. Vertus sociales par excellence, ces qualités tendent toutes vers le même but éminemment civilisé qui est de résoudre, dans un climat de paix, les différends qui ne manquent pas de survenir entre les êtres humains.