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En quittant les bancs de l’école, les jeunes d’aujourd’hui ne peuvent exclure d’y revenir. Les études se poursuivent désormais à tout âge et la responsabilité de s’instruire retombe, non plus sur l’enseignant, mais sur l’étudiant adulte. Il s’agit maintenant d’apprendre par soi-même…

Si les êtres humains occupent une place privilégiée parmi les espèces vivantes, ils le doivent sans aucun doute à la capacité qu’ils ont d’apprendre. Seul, parmi les créatures qui peuplent notre planète, l’homo sapiens est capable de recevoir, d’assimiler et de concrétiser des idées. Étant donné l’extrême importance de cette aptitude, il est étonnant qu’elle n’ait pas été l’objet d’études approfondies, si ce n’est récemment. Un nombre considérable d’ouvrages ont traité des techniques d’enseignement, mais le phénomène de l’apprentissage a été largement ignoré.

L’explication en est simple : analyser séparément l’acte d’apprendre semblait inutile. En effet, tout enseignement structuré, par opposition aux connaissances acquises au gré de l’existence, suppose que le fait d’enseigner et celui d’apprendre sont aussi étroitement liés que la poule et l’oeuf. Si l’un enseigne, l’autre nécessairement apprend. L’idée que certains puissent désirer assumer eux-mêmes la responsabilité de s’instruire était autrefois une notion totalement saugrenue.

Cette conception s’explique facilement par l’histoire. Jusqu’au début du XXe siècle, l’instruction scolaire de la majorité des Occidentaux s’arrêtait à la dernière année des études primaires. Ayant acquis une base fondamentale en calcul, lecture et écriture, les étudiants étaient censés s’en remettre à l’expérience pour le reste de leur éducation et ne plus avoir à ouvrir un livre scolaire ou à entrer dans une salle de classe. Certains poursuivaient leurs études au niveau secondaire ou universitaire, mais ils constituaient l’exception qui confirme la règle. L’enseignement était comparable aux oreillons : un état que devaient subir les enfants, mais auquel la plupart des adultes échappaient.

Personne n’aurait pu imaginer, il y a 50 ans, que la majorité des adultes reprendraient le chemin des écoles pour des raisons récréatives ou professionnelles. La nécessité de recyclage, née de la révolution technologique, était alors inconnue et il était impensable pour des personnes en âge de voter de s’astreindre à suivre volontairement des cours, quels qu’ils soient.

Tant que l’éducation restait synonyme d’enfance, il était tout à fait naturel de négliger l’une des facettes de ce processus, à savoir l’acte d’apprendre. Le système qui permettait de dispenser un enseignement sérieux aux écoliers et à vérifier leurs connaissances par des examens fonctionnait relativement bien pour la majorité des élèves. Les enfants dépendaient des adultes pour leur éducation comme pour le reste. Dans l’ensemble, ils réagissaient comme ils le devaient aux récompenses et aux punitions, surtout à ces dernières d’ailleurs. La fonction de l’école était de remédier à leur manque d’expérience en leur donnant les connaissances, les aptitudes et le comportement jugés appropriés pour fonctionner dans le monde adulte.

Il était admis qu’en théorie les enfants suivaient plus ou moins le même stade de développement intellectuel. On leur enseignait donc la matière qui « convenait » aux stades où ils se trouvaient, selon un système rigoureusement établi. Le terme « pédagogie » exprime parfaitement ce type d’enseignement. Il dérive du grec ancien pais, « paidos », « enfant », et agein, « conduire ».

Il était alors facile d’en conclure que les techniques pédagogiques traditionnelles pouvaient s’appliquer aussi bien aux adultes qu’aux enfants ou aux adolescents. Cette impression était d’ailleurs renforcée par le fait que la plupart des établissements scolaires avaient initialement pour but de combler des lacunes, c’est-à-dire d’enseigner aux hommes et aux femmes, qui en avaient besoin, ce qu’ils auraient dû apprendre à l’école.

Puis ce fut la Seconde Guerre mondiale qui vit des millions d’hommes et de femmes endosser des uniformes et acquérir de toute urgence de nouvelles connaissances et aptitudes. La nécessité de former continuellement un nombre suffisant de personnes qualifiées répondant aux besoins industriels et militaires donna une soudaine importance pratique à l’étude du mécanisme d’apprentissage propre aux adultes.

Un certain nombre de découvertes devaient en résulter, notamment au chapitre de l’efficacité de l’éducation audiovisuelle. Mais la découverte la plus étonnante fut aussi la plus simple : loin de regimber à l’idée de retourner à l’école, les adultes témoignaient d’un vif désir d’apprendre. « L’éducation fut donc au nombre des expériences d’une multitude d’adultes qui ne demandaient qu’à reprendre leurs études si l’occasion leur en était donnée », précisait le rapport d’une étude pédagogique menée auprès des forces armées américaines. « Plus ils sont éduqués, plus les gens ont le désir d’apprendre. »

Les obligations nées de la guerre démontrèrent que, contrairement à l’idée généralement admise jusqu’alors, il était possible d’inciter des adultes à assimiler de nouvelles connaissances et que leur capacité dans ce domaine était bien supérieure à ce que l’on attendait d’eux. Malheureusement, la guerre ne changea en rien l’approche pédagogique : enfants ou adultes, les méthodes d’enseignement devaient rester les mêmes.

Le personnel militaire se retrouvait dans la même position que les écoliers. Soumis à la discipline militaire, il formait un groupe captif contraint à obéir. La plupart de ses membres n’étaient pas motivés ; ils apprenaient parce qu’il le fallait. Ils suivaient un programme rigide, établi par le système. La discipline à laquelle ils étaient asservis n’était guère propice à développer le désir d’apprendre par eux-mêmes.

On sait comment s’instruire, mais on ignore comment apprendre

Après la guerre, les grandes entreprises commencèrent à dispenser une formation plus structurée. Pourtant, il fallut attendre les années 60 pour que la nouvelle technologie les incite à former et à recycler tous les travailleurs.

Parallèlement, l’importance accrue des loisirs se traduisit par un désir généralisé d’instruction. Cette tendance devait d’ailleurs être confirmée par les recherches d’Allan Tough, de l’Ontario Institute for Studies in Education, effectuées au début des années 70, et qui furent les premières à porter sur l’enseignement aux adultes. Les résultats étaient surprenants : quatre-vingts pour cent des adultes canadiens entreprenaient un sérieux projet d’études, au moins une fois par an.

Cette nouvelle mentalité obligea à réévaluer les méthodes pédagogiques en tenant compte de différences fondamentales entre enfants et adultes, non pas au niveau de la manière d’apprendre, mais à celui de la motivation.

Dans son livre publié en 1975, Self-Directed Learning (Association Press, New York), Malcolm S. Knowles, spécialiste bien connu de l’enseignement aux adultes, regrettait que la distinction entre les techniques d’enseignement et l’apprentissage lui-même ne soit pas encore clairement comprise. « Il est tragique, écrit-il, que l’on sache comment s’instruire et que l’on ignore comment apprendre. »

M. Knowles justifie l’emploi du terme « tragique » en soulignant que les méthodes pédagogiques traditionnelles ne correspondent pas à la psychologie de l’adulte. C’est pourquoi, insiste-t-il, les adultes n’apprennent sans plaisir ni efficacité si un programme leur est imposé.

Il faudrait, pense-t-il, non seulement s’intéresser aux adultes, mais amorcer le « développement des adultes » au niveau secondaire. En effet, alors que l’enseignement traditionnel persiste à ce niveau, l’éducation postsecondaire est devenue moins structurée et comporte des programmes d’étude libre. « Les étudiants qui se lancent dans ces programmes, sans avoir été initiés aux techniques de recherches, souffrent d’anxiété, se sentent frustrés et souvent échouent », écrit-il.

Pour l’adulte, « apprendre comment apprendre » est une nécessité à une époque de constante évolution. « Dans un monde où la durée réellement utile de bien des connaissances se limite à 10 ans ou moins, une bonne partie des notions acquises à 20 ans sera dépassée à 30, remarque M. Knowles. L’éducation a donc pour tâche principale de développer l’aptitude à la recherche. En quittant l’école, il faut non seulement posséder une base de connaissances, mais avoir développé sa capacité à acquérir de nouvelles connaissances tout au long de la vie. »

On pourrait même soutenir que la seule aptitude valable à la fin du XXe siècle consiste à savoir apprendre. Notre adaptation aux changements extérieurs en dépend. Cette faculté ouvre de surcroît de nouveaux horizons intellectuels et spirituels et nous permet de réaliser pleinement notre potentiel d’être humain.

M. Knowles est le premier à parler « d’andragogie », mot qu’il a créé en remplaçant le « péda » de pédagogie par andra qui signifie « homme ». Par ce terme, ses disciples et lui entendent souligner l’importance d’élaborer des méthodes d’enseignement adaptées à l’adulte.

L’expérience acquise par les adultes, et que les enfants ou les adolescents n’ont pas, est importante. L’enseignement ne sert pas à suppléer à leur inexpérience. Pour certains pédagogues, cet état de choses représente un obstacle, des habitudes bien ancrées qui entraînent le refus des idées nouvelles.

Les défenseurs de l’andragogie soutiennent un point de vue différent ; se basant sur la « loi pédagogique d’association » qui stipule que les concepts et les aptitudes sont intégrés plus facilement s’ils ont un rapport avec ce que possède déjà l’apprenant, ils comparent l’acte d’apprendre à un jeu de cubes : chaque cube d’information s’ajoute à la structure des connaissances acquises par expérience. Par la pratique, les adultes ont acquis un actif bien spécifique, ce qu’ils apprennent complète généralement les connaissances qu’ils possèdent déjà.

Il est indéniable que l’expérience de chacun est unique ; il s’ensuit donc que l’instruction basée sur l’expérience ne peut être dispensée selon des méthodes établies pour la masse. Les enseignants qui s’adressent à des adultes doivent acquérir une nouvelle mentalité. Leur rôle est d’aider leurs étudiants à apprendre par eux-mêmes et non plus à leur dispenser un enseignement.

« Le rôle de l’enseignant n’est plus de discipliner ni d’orienter, mais de développer les talents et la volonté innée d’apprendre que possèdent les adultes », a écrit Robert A. Luke Jr, professeur à l’Université George Washington. Dans les écoles traditionnelles, la détermination des besoins d’instruction, la planification des cours et l’évaluation du travail sont toutes des fonctions qui reviennent au professeur. Dans un système « andragogique » c’est l’apprenant, en collaboration avec l’enseignant et ses camarades de classe, qui s’en charge.

Presque tout le monde apprend mieux en groupe ou à deux

Le succès ou l’échec d’un projet éducatif dépend totalement de l’apprenant. L’enseignant se borne à conseiller la personne qui organise et exécute le travail. Une des méthodes consiste, au cours de consultations, à rédiger un « contrat d’instruction » qui définit les objectifs du projet, les matériaux à utiliser, les étapes à suivre ainsi qu’une durée réaliste pour son exécution. En « négociant » le contrat, l’enseignant identifie les difficultés du projet, en explique les objectifs et renseigne l’apprenant sur les ressources mises à sa disposition.

Le contrat d’instruction a fait ses preuves dans des situations semi-structurées, notamment dans le cadre de programmes de formation interne ou de cours du soir. La réalité n’en reste pas moins que la majorité des connaissances acquises par les adultes sont le produit d’initiative personnelle, 73 pour cent, selon M. Tough. Comment une personne agissant seule peut-elle mettre à profit la discipline conférée par ce type de contrat ? Les éducateurs « andragogues » conseillent de conclure un contrat avec un ami ou un parent ; l’étudiant doit être cependant parfaitement conscient que le seul contrat valable est celui qu’il passe avec lui-même.

Apprendre en général est perçu comme une entreprise solitaire qui voit l’étudiant ancré à son bureau, devant des piles de livres ouverts, prendre des notes jusqu’à une heure avancée de la nuit. En fait, les apprenants indépendants qui réussissent apprennent rarement seuls ; même s’ils sont les seuls à étudier un certain sujet, ils peuvent faire appel à des directeurs d’étude, des conseillers ou des amis. Des recherches ont montré que la majorité des gens apprennent mieux en groupe ou à deux, sans doute en partie parce que chacun d’eux a acquis des habitudes d’étude incomplètes. Les personnes dont les facultés intellectuelles diffèrent se complètent les unes les autres pour former, en échangeant idées et impressions, ce qu’on appelle des « cerveaux d’étude globaux ». Admettant que deux têtes valent mieux qu’une, il est conseillé d’avoir au moins un partenaire (plusieurs vaudraient mieux encore) pour entreprendre des études.

L’autoanalyse est primordiale

Il va sans dire qu’un certain temps de préparation doit précéder l’exécution d’un projet d’étude. Pour ce faire, il est utile de connaître certaines méthodes d’étude éprouvées. Des recherches ont démontré, par exemple, qu’il était profitable de parcourir rapidement un ouvrage afin d’en relever les thèmes principaux avant de le lire soigneusement. Pour certains d’entre nous, lire en tenant un crayon ou un crayon fluorescent à la main aide à retenir. Pourtant, gardez-vous des excès. Ne soulignez ou ne prenez des notes que pour mettre en relief les notions essentielles. Autrement, vous n’arriverez qu’à vous embrouiller l’esprit. Rédigez vos notes dans vos propres termes ; vous serez ainsi sûr d’avoir saisi la pensée de l’auteur.

L’étude autodirigée débute avec l’autoanalyse. Il existe quatre approches distinctes : l’émotion, l’analyse, l’expérimentation et l’observation. Les éducateurs professionnels ont recours à des tests qui permettent de déterminer le « style » particulier à chacun et de sensibiliser les étudiants à leurs points faibles. Cette démarche permet de remédier à ses lacunes en utilisant sciemment les facultés intellectuelles qu’on tend à laisser sommeiller.

L’intuitif, par exemple, donne trop d’importance à l’intuition au détriment de l’analyse ; l’observateur aura tendance à négliger l’application pratique de ses idées. Sans le secours des tests, les étudiants ne peuvent, en se remémorant leur expérience scolaire, déterminer à quel type ils appartiennent ; s’ils découvrent qu’ils utilisent certaines facultés moins que d’autres, ils devront faire un réel effort pour aborder différemment les questions et les problèmes.

Bien que l’étude autodirigée soit par définition un acte individuel, certaines règles générales ressortent de l’étude de ce processus. Pour que cet enseignement soit efficace, il semble essentiel de reconnaître le besoin d’acquérir les connaissances visées ; de fixer des objectifs précis ainsi qu’une durée réaliste pour le projet. Si les objectifs sont vagues et les contraintes de temps trop exigeantes, il est probable que le projet ne sera pas mené à terme.

Pour bien apprendre, la plupart des êtres humains doivent partir de principes généraux pour aboutir aux détails spécifiques, se concentrer sur un seul point à la fois, savoir exactement à quoi leur serviront leurs études. S’il s’agit d’une technique, rien ne vaut la pratique. Se promettre de petits plaisirs, en guise de récompense, aide à se motiver. Les meilleurs résultats sont obtenus lorsque les apprenants analysent leurs travaux d’un oeil critique et désirent connaître l’avis objectif de leurs directeurs ou camarades d’études.

Cette approche exige, bien entendu, une certaine autodiscipline. Pourtant, nombreux sont ceux qui parviennent à apprendre avec assurance et, somme toute, une certaine aisance. « Savoir comment apprendre » mène en outre à d’autres succès. Au cours d’une étude menée auprès d’individus remarqués pour leur développement intellectuel et leurs réalisations exceptionnelles, M. Tough découvrit qu’ils consacraient, tous, plus de temps que leurs collègues aux projets éducatifs.

La poursuite d’une belle carrière, ambition certes louable, n’est qu’un des avantages qui découlent de la capacité à apprendre. La vraie valeur de cette activité est de pouvoir, au fil des années, vivre à nouveau la joie de découvrir et éprouver l’immense satisfaction d’avoir accompli quelque chose. La vie peut sembler courte ou longue, mais tant que vous apprendrez, vos jours ne seront jamais vides.