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Le contexte canadien a toujours donné au transport des marchandises et des personnes une dimension exceptionnelle. Nous envisageons ici le rôle joué par ce secteur dans la création d’un pays et la réalisation de ses objectifs les plus ambitieux…

Le trait le plus frappant du Canada reste son immensité. Ce pays occupe à lui seul un quinzième des terres de la planète et un observateur non averti pourrait facilement en conclure qu’il abrite une bonne partie de la population mondiale.

En réalité, la densité de sa population est la plus faible et la plus inégale de tous les pays industrialisés. Dans l’Est la plupart des villes canadiennes se situent à proximité des vastes étendues d’eau qui délimitent notre frontière avec les États-Unis ; de leur côté les rares villes de l’Ouest sont très éloignées les unes des autres. Quant aux agglomérations secondaires et aux villages, ils sont disséminés sur les grands espaces dégagés situés entre le Yukon et Terre-Neuve.

Un examen plus attentif de la carte du Canada révèle une sorte de constante. La plupart des points de concentration humaine sont situés à proximité d’une étendue d’eau, et presque tous sont reliés les uns aux autres par un réseau de routes et de voies ferrées qui explique comment un tel pays peut exister et prospérer.

La clé du mystère ce sont les transports. Aucun pays n’a jamais plus dépendu que le nôtre des moyens de transport qui s’offrent à lui. Le Canada est un marché commun interprovincial et un grand pays commerçant, qui exporte un cinquième de son produit national brut. De plus, les Canadiens sont, après les Américains, les gens les plus mobiles du monde.

Nos besoins de transports n’ont d’égal que les difficultés à surmonter pour acheminer personnes et denrées. Les obstacles dressés par la configuration et l’immensité de notre territoire sont décourageants. La partie continentale du Canada est flanquée de grandes îles telles que Terre-Neuve, l’Île-du-Prince-Édouard et celle de Vancouver, qui ne sont reliées à la terre ferme par aucun pont. Par ailleurs, des montagnes quasi infranchissables, des marécages traîtres, d’innombrables cours d’eau sur lesquels il faut jeter des ponts, des forêts denses comme des jungles, une toundra dénudée sous laquelle s’étend le pergélisol handicapent lourdement les transports.

Autre particularité, notre pays est une terre septentrionale, où sévit l’un des climats les plus froids et les plus capricieux du monde. Nos longs hivers perturbent l’exploitation des navires, des trains, des camions et des avions. Plus encore, la nature manifeste ses ardeurs en toute saison. Les inondations, les éboulements, les incendies de forêt sont autant de plaies auxquelles les entreprises de transport canadiennes doivent faire face.

En raison des distances et de ces difficultés, nos transports sont parmi les plus chers du monde et absorbent environ 12 pour cent de notre produit national brut. Ils sont si coûteux que les gouvernements ont jugé bon de les subventionner, dès le début du XIXe siècle, à l’occasion du creusement des canaux. Étant donné l’importance des capitaux qu’ils mobilisent, les transports jouent un rôle fondamental dans notre politique et certaines des controverses les plus mémorables de l’histoire parlementaire canadienne ont éclaté au sujet des subventions accordées par l’État aux transports.

Les transports ont une telle incidence sur notre économie, notre politique et notre société qu’ils constituent la toile de fond de l’histoire canadienne. De fait, ils ont joué un rôle prépondérant avant même que l’histoire de notre pays ne fût consignée. En effet, le mode de vie des habitants initiaux du Canada a été au moins autant conditionné par les transports que celui de leurs successeurs. Leurs besoins ont suscité une tradition d’ingéniosité qui se perpétue à notre époque.

Dès le début de la colonisation en Acadie et en Nouvelle-France, les techniques utilisées dans ce domaine par les Indiens se sont révélées essentielles à la survie des colons. Les charrettes étant inutiles dans un pays constellé de lacs, sillonné de cours d’eau et couvert de neige pendant une bonne partie de l’année, les colons adoptèrent le canot, les raquettes et les traîneaux pour se déplacer avec leurs vivres. Ce n’est qu’un siècle et demi après la naissance de la Nouvelle-France qu’une première route cahoteuse fut tracée de Montréal à Québec. Entre-temps, les Français avaient exploré en canot toute l’Amérique du Nord, de la baie d’Hudson au golfe du Mexique.

La machine à vapeur ouvre la voie de la Confédération

Si notre pays s’est développé sur des territoires de pareilles dimensions il le doit en partie aux canots en écorce de bouleau. Grâce à leur légèreté et à la facilité avec laquelle on les portait, ces canots pouvaient aller là où nulle autre embarcation n’aurait pu se rendre. Sans eux, de grandes étendues de terre seraient restées inaccessibles aux hommes qui ont dessiné nos premières cartes.

En recourant à des embarcations qui pouvaient transporter jusqu’à cinq tonnes, la Compagnie du Nord-Ouest mit sur pied, au début du XIXe siècle, un réseau complexe de distribution de fourrures et de denrées d’échange, qui s’étendait au-delà du cercle polaire. Chaque fois que la Compagnie trouva de nouvelles zones de traite, elle les plaça sous la souveraineté britannique puis canadienne. Comme l’a décrit l’historien Donald Creighton : « Alors qu’à l’Est, les pionniers avaient à peine occupé le bord du Haut-Canada, la Compagnie du Nord-Ouest définissait déjà les limites occidentales du futur dominion du Canada. »

Cette situation ne devait toutefois pas durer. Au fur et à mesure que progressait la colonisation du Haut-Canada, il devenait de plus en plus nécessaire de disposer d’une voie de passage pour accéder, par le Saint-Laurent, à l’océan Atlantique. Pour créer un tel débouché, et relier les diverses parties de la province, on construisit alors des canaux.

Ailleurs, les Nord-Américains britanniques préparaient l’avenir du Canada. Des chantiers navals florissants surgirent près des grandes forêts des colonies maritimes et les négociants de la région établirent des liens commerciaux avec les Antilles, qui devaient par la suite s’étendre au monde entier.

Une réussite beaucoup plus politique que technique

Au cours des années 1850, la construction navale et les transports maritimes des provinces atlantiques et du Bas-Canada s’étaient développés à un point tel que l’Amérique du Nord britannique pouvait se targuer d’avoir l’une des principales marines marchandes du monde. Cependant, la fin des grands voiliers approchait : en 1833, le Royal William, bateau construit à Québec et qui appartenait au grand armateur néo-écossais Samuel Cunard, fut le premier à traverser l’Atlantique uniquement sous l’impulsion de son moteur à vapeur.

L’application de la machine à vapeur aux transports terrestres sur de longues distances plaça le Canada sur la voie de son destin politique. Certes, les provinces Maritimes et les deux provinces du Canada étaient déjà reliées par un réseau routier sommaire, mais l’idée d’une fusion entre les éléments épars de l’Amérique du Nord britannique ne parut réalisable qu’après l’avènement du chemin de fer. L’essor de la construction ferroviaire au cours des années 1850 a été une grande page de notre histoire. Comme l’a écrit l’historien Arthur Lower : « S’il est vrai que le Canada de la première moitié du XIXe siècle devait son existence à ses voies d’eau, celui de la deuxième moitié du siècle dut la sienne à ses voies ferrées. »

Le chemin de fer, qui fit le lien entre les deux parties colonisées du pays, fut la cheville ouvrière du pacte confédéral de 1867. L’Intercolonial Railway, liaison ferroviaire de 1 200 kilomètres entre Halifax et Québec, qui fut financée par le nouveau gouvernement du Dominion avec l’aide du gouvernement britannique, entra en service en 1876.

Le premier ministre Sir John A. Macdonald, qui avait amené le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse à se joindre à la Confédération en leur promettant un chemin de fer, obtint le même résultat avec la Colombie-Britannique. La colonie de la côte ouest accepta de devenir une province en 1871 à la condition qu’un chemin de fer la relie au reste du pays dans un délai de 10 ans. Le Canada avait alors une population de 4 millions d’habitants et des revenus inférieurs à $20 millions par an ; son gouvernement promit néanmoins $25 millions comptant et 25 millions d’acres de terrain au consortium privé qui construirait le chemin de fer. Les étendues à traverser étaient terriblement dangereuses et accidentées.

Toutefois, les enjeux étaient de taille. Le chemin de fer était considéré comme essentiel pour éviter l’annexion de l’Ouest canadien aux États-Unis. Or, le scandale du Pacifique qui avait provisoirement provoqué la chute du gouvernement MacDonald devait retarder le projet de près de 10 ans. Lorsque le dernier crampon du chemin de fer du Canadien Pacifique fut enfoncé, il y aura 100 ans le 7 novembre, l’événement fut salué comme un haut fait technique ; cependant l’aspect politique de cette réalisation était bien plus important encore. W.S. McNutt écrivit d’ailleurs à ce sujet : « Pour ceux qui pensaient que le Canada était une véritable entité – et les gens qui s’en moquaient étaient devenus rares – le travail d’édification de la Confédération était achevé. »

Le chemin de fer donna véritablement naissance à l’Ouest canadien moderne. Les trains y amenèrent les colons qui formèrent le noyau de la population actuelle. De petites et de grandes agglomérations poussèrent presque du jour au lendemain en bordure des emprises. On construisit des lignes secondaires pour tirer parti des ressources agricoles, minérales et forestières, ainsi que pour ouvrir de nouvelles zones à la colonisation.

La domination exercée par une seule société privée sur une partie importante du pays, encore dans sa prime jeunesse, a marqué de façon permanente la politique canadienne. Les gens de l’Ouest ne tardèrent pas à se plaindre de ce que le chemin de fer était l’instrument qui permettait à l’Est de les exploiter. La société ferroviaire tirait profit des tarifs élevés qu’elle exigeait pour transporter sur le marché captif de l’Ouest des produits manufacturés au Centre du Canada. Ses tarifs visaient, disaient-ils, à maintenir la dépendance économique de l’Ouest.

Toutefois, le monopole du Canadien Pacifique s’effondra avec la construction de deux autres lignes transcontinentales au début de notre siècle : les Canadiens eurent ainsi l’honneur d’être le peuple de la terre qui avait le plus de voies ferrées par habitant. Cet honneur se révéla coûteux lorsque les deux nouvelles sociétés devinrent insolvables, si bien que l’État fédéral dut les reprendre en 1919. Cette reprise dota les Canadiens d’une autre institution : les Corporations commerciales de la Couronne. La corporation des chemins de fer Nationaux du Canada fut la première entreprise d’État à concurrencer les sociétés privées.

L’avion repousse les confins des terres habitées

Deux nouveaux moyens de transport vont cependant ébranler la suprématie des chemins de fer au Canada. En effet, dès les années vingt, la voiture particulière commence à détourner la clientèle des voyageurs pour les courtes distances et, déjà, des pilotes de brousse transportent hommes et matériel vers les mines et les exploitations forestières du Nord.

Le déferlement des voitures produites à la chaîne donne alors naissance à une société beaucoup plus mobile. Le nombre des voitures particulières, de 409 000 pendant les années 1920, grimpe en flèche à plus d’un million. Les associations d’automobilistes font une campagne pour la construction de bonnes routes. Les entreprises de camionnage apparaissent mais ne menacent pas immédiatement les chemins de fer. En 1930, elles ne s’adjugent que 2 pour cent du chiffre d’affaires du transport de marchandises au Canada.

Dans le même esprit que celui qui l’avait conduit à intervenir directement dans le cas du CN, l’État fonde en 1937 Trans-Canada Air Lines qui deviendra Air Canada. Entre-temps, les administrations fédérale et provinciales mettent sur pied une solide infrastructure de transports en améliorant les routes, les aérodromes et les ports.

La Seconde Guerre mondiale amène le Canada à se doter d’une infrastructure très développée dans le domaine des transports, notamment d’aérodromes militaires qui seront ultérieurement affectés à l’aviation civile. Elle favorise également le développement des chantiers navals, ainsi que des usines de matériel aéronautique et routier, qui prennent une grande expansion pendant les hostilités.

L’optimisme qui avait prévalu pendant la construction de la ligne du CP renaît durant l’après-guerre. Le Canada redevient le pays de l’avenir et par tous les moyens possibles repousse les confins des terres habitées. Les chemins de fer se fraient un passage à travers les étendues sauvages du Labrador et du Nord de la Colombie-Britannique. De nouvelles routes sont tracées, les banlieues se développent et le caractère de notre société évolue.

Des avions cargos vrombissent dans le Grand-Nord tandis que les avions du CP et de Trans-Canada franchissent les océans. Notre pays conclut avec les États-Unis un accord sur la construction de la Voie maritime du Saint-Laurent, qui doit permettre aux navires hauturiers de pénétrer jusqu’au coeur du continent. En 1950, le coup d’envoi de la route transcanadienne est donné, et ce grand projet de notre histoire inaugure le principe de la collaboration financière fédérale-provinciale.

La situation actuelle du transport au Canada découle dans une large mesure de l’existence de ce réseau routier. Les entreprises de camionnage ont pris le pas sur les chemins de fer et accaparent désormais la majorité du trafic. La voiture particulière est, de loin, le moyen de transport personnel le plus répandu et les chemins de fer du Canada instaurent des services intermodaux qui combinent les transports par route, par fer, et par mer, et lançent eux-mêmes des entreprises de camionnage.

L’insatisfaction est de rigueur

Les chemins de fer du Canada, ayant ainsi tourné à leur avantage la menace que faisaient planer les autres modes de transport, sont aujourd’hui les plus productifs du monde, malgré les problèmes d’exploitation que leur causent le terrain et le climat du pays. Les défis posés par l’environnement canadien ont suscité l’excellence dans le domaine des transports. Ils sont à l’origine de réalisations techniques telles que les avions à décollage et à atterrissage courts et la motoneige qui est peut-être l’invention canadienne la plus célèbre. La compétence des Canadiens est reconnue dans tous les domaines des transports : aujourd’hui des experts de notre pays collaborent à la construction de chemins de fer, d’aéroports et de ports dans maints pays ; le matériel canadien de transport et d’avionique est vendu dans le monde entier.

La compétence canadienne ne se manifeste pas uniquement vis-à-vis des méthodes les plus classiques. Le Canada est à la fine pointe de la recherche dans le domaine de l’acheminement des matières solides par pipeline et dans celui du transport de l’électricité sur de longues distances. Les communications et les transports ont progressé de pair depuis l’époque où l’on installait les fils télégraphiques en bordure des voies, quelques heures après leur pose.

Vu les résultats obtenus par le Canada dans ces domaines, il est logique que l’Expo 86, qui se tiendra à Vancouver, ait pour thème les transports et les communications. Vancouver a vu le jour grâce au mouvement des marchandises ; c’est maintenant l’un des plus grands ports du monde.

Entre-temps, les transports resteront sans doute une source de controverses politiques au Canada. Pas une seule semaine ne se passe sans qu’une allusion à leurs coûts, aux subventions qui leurs sont accordées ou à l’insuffisance des services, ne défraye la chronique. Les Canadiens témoignent d’un rare intérêt pour ce sujet. Par tradition, ils restent critiques à l’égard des transports et cette attitude, par son côté stimulant, n’est pas fondamentalement condamnable.

La Semaine nationale des transports, qui se tient chaque année à la fin de mai, vise à appeler l’attention du public sur les aspects positifs de la situation. Hormis toute considération technique, les transports sont une véritable force qui brise les barrières du régionalisme et rapproche les Canadiens d’un océan à l’autre. Les perfectionnements et l’efficacité de notre système actuel pourraient susciter l’envie de bien des pays. C’est un système dynamique, en expansion permanente, et dont les progrès sont garants de l’élargissement de nos horizons économiques.