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Le seul remède absolu contre le stress étant la mort, il est essentiel de cerner la nature de cette force présente chez chacun de nous. Pour maîtriser le stress et le tourner à son avantage, il faut penser aux autres aussi bien qu’à soi.

En termes techniques, le stress est la force qui est appliquée lorsqu’un corps ou la partie d’un corps exerce une poussée verticale, horizontale ou multidirectionnelle sur un autre. Fondement même de la construction et de la mécanique, cette force explique pourquoi les bâtiments tiennent debout et les machines fonctionnent.

Le stress, pris dans son sens moderne, est tout aussi vital : il est inhérent à toute action. Mais, comme en physique, un juste équilibre doit être atteint pour que la tension produise la force créative souhaitée. Trop de stress et rien ne se tient; trop peu et tout vole en éclats.

Aujourd’hui, le mot « stress » représente généralement les effets dus à un excès de tension plutôt qu’à un manque. On en parle d’ailleurs dans les mêmes termes et avec le même esprit qu’un ingénieur discutant des marges de tolérance : les individus sont surchargés, pressés, trop poussés.

Il existe cependant une différence fondamentale entre le stress appliqué aux objets animés et inanimés. Pour ces derniers, il s’agit d’une force extérieure; pour les premiers, d’une tension générée intérieurement découlant directement de la faculté d’éprouver des sentiments.

L’étrange créature à laquelle on donne le nom d’homme non seulement ressent des émotions mais est capable de spéculer et d’imaginer. Une grande partie du stress qu’il subit émane de sa psyché et de son esprit.

Strictement parlant, le stress est toujours interne puisqu’il représente la réaction de l’organisme à toute force exercée sur lui. Le stress n’est pas, comme on l’imagine souvent, cette force elle- même.

Cette dernière est l’« agresseur », l’agent stressant qui entraîne une chaîne de réactions au sein de nos systèmes physiologiques. Si, par exemple, la température tombe brutalement, nous frissonnons. Les bonnes odeurs de cuisson nous font saliver. Les odeurs, comme le froid, sont des agresseurs. Les frissons et la salivation sont le stress.

Nous sommes agressés à chaque instant de la journée mais nous n’en sommes conscients que lorsque nous nous sentons tendus ou nerveux. Nous en prenons pleinement conscience lorsque l’agresseur a le potentiel de nous nuire.

Selon le docteur Hans Selye, Montréalais originaire d’Autriche qui fait autorité en la matière, nous avons tendance à donner un sens impropre au terme « stress ». « Toute activité normale, qu’il s’agisse d’une partie d’échecs ou d’une étreinte passionnée, peut générer énormément de stress sans aucun effet nocif. Le stress qui produit des effets négatifs est, en fait, la ‘détresse’, » écrit-il.

La détresse se manifeste lorsque nous sommes en proie à ce que Walter B. Cannon de la faculté de médecine de Harvard appelle « la préparation à la fuite ou à la lutte. »

Cette réaction envers des agressions possibles produit des changements internes. La production hormonale, le rythme respiratoire et cardiaque et la tension artérielle augmentent pour fournir la poussée énergétique nécessaire. Les muscles se raidissent, notamment ceux de l’estomac dans lequel toute digestion s’arrête brusquement pour détourner l’afflux sanguin vers le cerveau, les bras, les jambes et les épaules. La vessie et les intestins se relâchent pour alléger le corps qui se prépare à fuir. Tous les sens sont sur le qui-vive.

Ces mécanismes se déclenchent chez l’animal lorsque sa vie ou son territoire se trouve clairement menacé. L’homme également manifeste la réponse préparatoire au stress. Il est d’ailleurs évident que sans ce système d’alarme biologique, il n’aurait pu survivre ou progresser. Cependant, dans l’environnement complexe qui caractérise notre société, la réaction d’alarme est causée non seulement par des agressions physiques, des dangers de mort ou des risques de blessure, mais également par la menace de pertes matérielles ou émotives.

Il arrive d’ailleurs très souvent que l’agresseur n’existe qu’à l’état de possibilité. Notre habitude de spéculer sur ce qui peut arriver nous prédispose à l’anxiété, « tension préparatoire ou crainte vague qui nous envahit dans l’absence de toute menace spécifique. »

« Nous payons chèrement les malheurs qui ne nous sont jamais arrivés,  » a remarqué Thomas Jefferson. Pourtant, il serait vain d’exhorter quelqu’un à ne pas s’inquiéter parce que ses craintes sont probablement exagérées. Notre seul recours est de considérer l’agresseur objectivement, de le définir et d’évaluer dans quelle mesure il est réel ou imaginaire.

Seul parmi les êtres qui peuplent la terre, l’homme a le sens du temps, c’est-à-dire de l’urgence. Dans l’univers qu’il s’est construit, le temps et la nécessité sont inextricablement liés. Le chauffeur de camion a tant d’heures pour transporter des marchandises d’un point à l’autre; le fermier a tant de jours pour rentrer sa récolte. Qu’il soit membre d’un conseil d’administration ou préposé au nettoyage, l’employé incapable de respecter les délais prescrits risque de perdre son poste ou son statut. De tels impératifs expliquent la raison d’être de la réaction d’alarme.

L’homme peut changer sa condition et, par conséquent, contrôler le stress

Le monde des humains abonde en agresseurs fortuits qui exacerbent la tension déjà présente : bruit, foule, circulation et autres. Cette pression est d’ailleurs aggravée par un système social de responsabilité qui oblige à s’inquiéter de ce qui arrive également aux autres.

Dans les pays occidentaux, en particulier, les changements succèdent aux changements, un grand nombre d’entre eux influant profondément sur le cours de nos vies professionnelles et personnelles. Nous sommes de surcroît bombardés par les médias qui nous informent de nouveaux problèmes et de nouveaux dangers. De telles conditions sont propices à l’éclosion de la « détresse ».

La présence d’un nombre excessif d’agresseurs fait que certains individus se trouvent constamment en état de réaction d’alarme. Le prix à payer est lourd : troubles cardiaques et artériels, hémorragie cérébrale, indigestion chronique, ulcère et migraine sont parmi les maladies les plus couramment liées au stress.

Ceux qui cherchent à y échapper ou à l’alléger ouvrent la porte à d’autres ennemis tels que l’alcoolisme ou l’accoutumance aux drogues. Psychologiquement, l’excès de stress peut provoquer la dépression et la paranoïa, qui s’accompagnent souvent d’impuissance ou d’obésité. Il y a quelques années, une étude du New York Times menée auprès d’un certain nombre de médecins a révélé que jusqu’à 80 pour cent de leurs patients souffraient de maladies associées au stress.

Ces spécialistes insistent d’ailleurs sur le fait que la plupart de ces affections ne sont pas dues nécessairement au stress lui-même. Deux sujets qui subissent le même niveau de stress réagissent différemment : l’un sera malade, l’autre en pleine santé. Notre tolérance au stress dépend en partie de notre nature : d’une façon générale, les êtres très ambitieux, anxieux, matérialistes et agressifs seront plus susceptibles au stress que ceux qui sont moins ombrageux. Le genre de vie est également un facteur. Un article récent sur les ravages de l’excès de stress parmi les hommes d’affaires américains, publié dans Newsweek, a révélé que « certains psychiatres estiment que les ‘baby boomers’ sont particulièrement vulnérables. Ils sont plus mobiles, se marient plus tard, ont moins d’enfants, caractéristiques qui tendent toutes à affaiblir les systèmes de soutien qui ont aidé nos ancêtres à supporter le stress. »

Toutefois, le poids du tribut physique ou mental levé par le stress dépend en dernier ressort de notre attitude. Ce qui distingue le plus clairement l’homme de l’animal est son aptitude à changer son milieu. Il peut contrôler ses pensées, ses sentiments et ses actes. Nous pouvons donc parfaitement maîtriser l’impact que le stress a sur nous.

« Il faut apprendre à ignorer ce qu’on ne peut contrôler et apprendre à contrôler ce qui est contrôlable », écrit M. Peter G. Hanson, auteur du remarquable ouvrage The Joy of Stress, livre à succès récent. « Prenez une part active à votre propre gestion; ne vivez pas en spectateur, en touriste passif. »

En essayant de supporter le stress, nous devons toutefois faire la distinction entre la maîtrise du stress et l’évasion. Ceux qui estiment pouvoir se protéger des pressions de l’existence en « ne faisant rien » découvriront que l’inactivité est très stressante. Un niveau de stress trop léger provoquera chez eux l’insomnie, l’introversion, le manque d’appétit. S’ils travaillent, ils seront prédisposés aux accidents, s’absenteront souvent et manqueront de jugement. Il est clair que la tension énergisante générée par un niveau raisonnable de stress leur fait défaut.

Le manque de forme est en soi une source importante de détresse

Les experts parlent d’une « zone de confort du stress », équilibre atteint par l’individu qui ne ressent ni stress ni apathie. L’étendue de cette zone varie selon les personnalités. Le seuil semble plus élevé pour certaines âmes fortes que pour le commun des mortels. Mais, en y regardant de plus près, l’on constate que ces calmes individus supportent mieux la tension que d’autres parce qu’ils affrontent la vie positivement.

« Le remède absolu contre le stress est la mort, » assure le docteur Selye. Mais si le stress ne peut être évité, il peut être neutralisé, voire tourné à son avantage. Premier impératif : ne pas confondre vitesse et précipitation.

La précipitation se caractérise par un côté hâtif et désordonné; la vitesse procède d’un esprit calme et méthodique. Beaucoup de stress pourrait être supprimé simplement en prenant l’habitude de ranger chaque chose à sa place, de s’organiser et de se préparer à toute éventualité.

En général, tout effort visant à alléger le stress devrait s’accompagner d’un programme de conditionnement physique. Le manque de forme est en soi une source importante de stress. Les méthodes traditionnelles utilisées pour soulager la tension sont vaines si l’individu fume, boit, mange trop ou prend des tranquillisants. En suivant un régime sain et en faisant quelques exercices, le stress physique peut servir à combattre la détresse mentale. La première ligne de défense contre les pressions est l’assurance qui naît de la joie de vivre.

Combattre la détresse par le stress est une technique reconnue. Les athlètes l’utilise lorsqu’ils se préparent mentalement à une compétition. Ils parviennent ainsi à augmenter leur taux d’adrénaline et à donner le meilleur d’eux-mêmes.

Ceux qui, dans leur travail, sont soumis à des délais très stricts, tels les journalistes, attendent délibérément d’avoir le couteau sur la gorge pour stimuler leur pouvoir créatif. Nombreux sont les dirigeants qui jouent avec le stress en se surchargeant pour accroître la productivité.

Le stress doit être perçu comme un défi et non comme une menace.

« Ne fuyez pas les agressions, » recommande le docteur Hanson; «  recherchez-les, au contraire. Sachez en extraire l’exaltation et en supprimer la manifestation menaçante… Connaissez le plaisir indicible de l’esprit bien organisé dans un corps sain. »

Ne pas douter de soi est le secret de la gestion du stress

« Je ne connais personne qui soit mort de surmenage, mais je connais un grand nombre d’individus qui sont morts de doute, » a déclaré le docteur Charles Mayo, fondateur de la célèbre clinique Mayo. Par « doute », entendons « doute de soi ». L’une des plus importantes contributions de Freud a été la découverte que la peur de soi-même et la peur du monde extérieur étaient étroitement liées et agissaient souvent l’une sur l’autre. Selon le psychologue Abraham Maslow, nous nous méfions instinctivement de nos impulsions, de notre mémoire, de nos capacités, de notre potentiel, de notre destinée, et nous avons tendance à reporter cette méfiance sur les événements externes réels ou imaginés qui sont susceptibles de mettre notre force intérieure à l’épreuve.

Les cours sur la gestion du stress qu’offrent de nos jours un grand nombre de sociétés apprennent aux employés à faire face au stress et à le mettre à profit. Ils mettent l’accent sur les modes de pensée négative qui découlent d’un manque de confiance en soi. En voici la liste principale, établie par Brian Simpson, conseiller en gestion de la revue Management Today  : « La jalousie sélective – l’herbe est toujours plus verte chez le voisin; l’extrapolation catastrophique – imaginer que de menus problèmes, en prenant de l’ampleur, provoqueront des catastrophes; l’homogénéisation – prononcer un jugement général et systématiquement donner aux événements une fausse interprétation pour étayer ce jugement; enfin la projection – croire absurdement que les autres pensent et agissent comme vous. »

Ces tendances peuvent être contrecarrées par ce qu’on appelle la «  réévaluation positive ». Vous pouvez, par exemple, vous libérer de toute jalousie sélective en énumérant toutes les raisons que l’autre a de vous envier. L’extrapolation catastrophique peut être combattue en imaginant comment vaincre les démons qui vous effraient au cas où ils se matérialiseraient et en refusant toute possibilité d’en être victime. L’homogénéisation peut être désarmée en passant en revue les raisons sur lesquelles est basé votre jugement initial et en lei évaluant d’un point de vue positif.

Vivre en parfaite harmonie avec soi-même

Le simple fait de penser positivement aide grandement à combattre le stress. Rien d’étonnant ni de fortuit à ce que les personnalités les plus optimistes soient celles qui ont dû faire face à l’adversité. Il y a un siècle, lorsque le stress professionnel était une notion inconnue, Thomas Carlyle a écrit : « Saluons l’homme qui chante en travaillant… La bonne humeur est une source de force étonnante et son aptitude à perdurer envers et contre tout l’est encore plus… L’homme joyeux travaille plus et mieux qu’un être triste et maussade et fait preuve d’une plus grande persévérance. »

La gaîté n’est plus à la mode à notre époque; c’est peut-être pourquoi le stress nous assaille de toute part. Où sont les joyeuses chansonnettes qui faisaient naître les sourires et oublier les soucis ? La culture populaire semble promouvoir un état psychologique propice à encourager une véritable névrose face aux problèmes, qu’ils soient d’ordre mondial ou personnel.

La faute en est peut-être au jargon utilisé pour expliquer le stress, lequel manque de transmettre le message fondamental, à savoir que ceux qui se prennent au sérieux et ne savent pas rire d’eux-mêmes sont des victimes toutes désignées.

Chez une personne joyeuse et optimiste, le stress devient une force positive, une source de stimulation et de plaisir. Il faut apprendre à contrebalancer une forme de stress par une autre, à échanger les frustrations professionnelles par d’autres, celles que procure le golf, par exemple. Le divertissement est important car il permet d’affronter avec une énergie renouvelée des situations stressantes et de les surmonter en les voyant sous un jour nouveau. Nous avons tous besoin de détente, aussi bien physiquement que mentalement. Les meilleures formules de relaxation sont celles qui permettent d’oublier temporairement les agresseurs négatifs.

Mais, après avoir passé sa vie à étudier les aspects médicaux du stress, le docteur Selye affirme que la seule arme vraiment efficace contre la détresse est une philosophie qui permet de vivre en parfaite harmonie avec soi-même. C’est ce qu’il appelle dans son ouvrage Stress Without Distress, publié en 1974, « l’égoïsme altruiste ». Cette philosophie prend en compte une loi de la nature qui veut que l’égoïsme soit au cour de la vie de chacun : tout organisme pense avant tout à satisfaire ses propres besoins.

L’égoïsme altruiste, écrit-il, étant « l’engrangement égoïste de la gentillesse, du respect, de l’estime, du soutien et de l’amour d’autrui est le moyen le plus efficace de donner libre cours à son énergie refoulée et de créer d’utiles et de belles choses. » Les adeptes de la recherche de « l’amour du prochain » n’auront plus le loisir d’être obsédés par leurs propres problèmes, et par conséquent ne ressentiront pas de détresse. Cette philosophie ne nie pas l’existence du stress mais s’attache à le détourner vers des voies créatives, afin que l’individu devienne un membre à part entière de la société grâce à l’aide qu’il apporte aux autres. Qu’il s’agisse de stress ou non, il semble qu’on ne puisse défier cette vérité éternelle : « C’est en aidant les autres qu’on s’aide soi-même. »